Tribune libre
Cela fait quelques jours maintenant que Peillon est sorti de ses petites lubies sexuello-dégenrées qu’il a eu la présence d’esprit de laisser à Najat Valleau-Belkacem dont le rôle de porte-parole du gouvernement n’occupait manifestement pas tout l’emploi du temps. Peillon, quant à lui, s’occupe donc d’Éducation Nationale, et comme tous ses prédécesseurs qui y avaient fait leurs petits besoins pour marquer leur territoire, le brave Vincent entend faire pareil avec l’une de ces énièmes réformes revigorantes qui vont « remettre l’école au cœur des préoccupations gnagnagna ».
Oui, gnagnagna : il faut lire la prose pénible du ministre, étalée sur trois longues pages dont on peut entendre le papier gémir « Pipeau ! Pipeauuu ! Piiiipeeaaaaaauuuu ! » sous l’avalanche de phrases indigestes, pour bien comprendre que les cohortes d’enseignants et de personnels éducatifs ne sont pas sortis de l’auberge avec cette nouvelle mouture de purée politicienne navrante.
Pourtant, le constat, renouvelé avec la constance et la régularité d’un coucou suisse, est accablant : le niveau scolaire moyen continue de s’affaisser mollement sur le bas-côté de la route de la servitude que les troupes socialistes tentent pourtant de suivre avec acharnement. D’ailleurs, pas plus tard qu’en début de semaine, le Haut Conseil de l’Éducation (Vous ne saviez pas que ça existait ? Vous n’avez pas reçu le mémo ?) s’inquiétait d’un échec scolaire croissant, façon fort polie d’exprimer la consternation devant le niveau catastrophique que la brochette d’experts qui président ce Haut Comité aura constaté (notez au passage la qualité des membres dont pas un n’est prof en exercice).
On comprend, devant ces atermoiements, que Peillon n’ait pas tardé à riposter avec les canons de 105, à savoir la bonne grosse réforme avec de la loi de programmation et d’orientation qui tache (et qui sanctuarise pour cinq ans les moyens nouveaux pour bâtir l’école de demain gnagnagloria alléluia, ne l’oublions pas). Concrètement, une fois qu’on ventile un peu ces phrases poussiéreuses, cela veut dire que l’institution républicaine va embaucher à tour de bras. Dans un pays en faillite (même plus virtuelle), c’est comique. Je dis ça, parce que si les données disponibles actuellement montrent quelque chose, c’est de façon limpide que ce n’est pas de moyens dont l’Éducation Nationale manque cruellement.
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Car si l’on peut constater que, certes, les dépenses pour les élèves du primaire en France sont plus faibles que d’autres pays de l’OCDE, le taux d’encadrement est lui très confortable. On est fort loin des 35 élèves par classe, tant dans le primaire que le secondaire. L’absentéisme (dont j’avais déjà parlé) joue un rôle clef pour expliquer le delta assez conséquent entre le taux calculé et le réel. Mais tant que ceux qui sont effectivement sur le terrain acceptent d’être ainsi moins payés pour que d’autres n’y soient pas, les classes seront toujours aussi bondées et les salaires … toujours aussi médiocres (notoirement plus faibles qu’en Allemagne, par exemple). La différence salariale est encore plus acide lorsqu’on regarde le nombre d’heures prestées — jolies barres mauves — en regard des salaires distribués — les barres oranges — (26€ de l’heure contre 57 en Allemagne) ce qui place gentiment nos instituteurs dans une case mitoyenne des stagiaires en office beverages & staples management.
Et en plus de ce niveau général qui plonge, de l’ambiance générale de foutoir qui filtre dès qu’on lit les lourdes peillonnades épistolaires, et des salaires rikikis, l’étude des performances de l’Éducation Nationale en termes d’impact sur la société laissent pantois. Tout indique que l’institution républicaine n’est plus capable que de reproduire fidèlement les classes sociales de la société française, sans la moindre innovation, sans mobilité. De plus, on serait en droit de demander à ce qu’elle permette, au moins, de donner à ses clients élèves quelques clefs indispensables pour décrocher un emploi ou parvenir à créer le leur.
Or, les statistiques INSEE ne laissent guère de doute : plus on reste longtemps au chaud dans le cursus scolaire, moins on est autonome, moins on est capable de créer sa propre entreprise. En substance, l’université forme des universitaires et les grandes écoles forment de grands écoliers prêts à trouver une place confortable dans une grande entreprise. L’esprit d’aventure, la prise de risque aura été consciencieusement étouffée au fur et à mesure d’un parcours scolaire duquel toute velléité d’individualisme et de différenciation auront été gommés.
Peillon, comme les autres bricoleurs du dimanche qui le précédèrent et s’empressèrent de réformer à la pelleteuse mécanique, froufroute et s’agite pour ajouter son lot de marques indispensables, sa kyrielle de circulaires encombrantes et ses nouveaux programmes pleins de refondation pédagogique baveuse dont l’évident mérite sera de porter son nom et laisser ainsi une trace à la postérité. Les élèves qui subiront cette nouvelle avalanche de changements dilatoires ne s’en porteront certainement pas mieux. En effet, ne reculant devant aucun sacrifice des autres, les nuées de pédagolos ont réussi à introduire toujours plus de matières amusantes pour l’édification de l’élève dont la capacité de raisonnement, sans cesse amoindrie par de nouvelles activités intempestives à besoin de concentration méticuleusement dosé, tend rapidement vers zéro.
Transformé en gerbille épileptique du savoir mousseux, le frétillant apprenant touche à tout, tripote des mathématiques, bricole du français, bidouille de l’histoire, traficote de la géographie, tâtouille des sciences, tente les découvertes vertes, expérimente la poterie, le macramé ou le yoga, et devient un gros cador qui pwned tout le monde à Call Of Duty mais ne sait pas faire une division euclidienne et l’écrit « divizion euklidiène ». Le bourrage de crâne est saisissant ; les élèves ne sont plus formés à rien, ils ne font plus que gober, religieusement, la purée qu’on leur fournit. Pas étonnant, du reste, que les campagnes dégoulinantes de niaiserie agressive comme celle sur le mangibougisme et autres trucs idiots marchent aussi bien. D’un autre côté, il faut bien comprendre qu’un peuple non éduqué est certainement plus facile à manipuler, et il n’y a même pas besoin d’ourdir un complot pour comprendre que la sociale-démocrassie tend naturellement vers ce résultat à mesure que le confort douillet, acheté à crédit, s’installe dans les esprits : comme on te répète qu’on te doit un téton nourricier, puis un job sympa, un logement cossu, un repas roborratif, puis un cercueil capitonné, tu finis par le croire, et la quantité d’effort pour les obtenir diminue jusqu’à nullité.
C’est d’ailleurs le constat dressé par Marion (le prénom n’a pas été changé), une de mes lectrices, professeur de philosophie en terminale, qui explique :
« Je n’ai pas besoin de moyens supplémentaires. J’ai surtout besoin d’avoir des élèves capables de capter ce que je raconte, en fait, et pas d’élèves qui m’écrivent : « Quand tu doutes, c’est que t’es certain. » »
Mais le plus préoccupant, dans le véritable troll qu’à ainsi lancé un Peillon en pleine déroute mentale, c’est que bien rares et timides sont les tentatives de prise en compte des tendances d’avenir et du véritable tsunami qui pointe à l’horizon de l’éducation. En effet, pendant que le ministre et sa batterie de conseillers pédagogiques font avancer l’EdNat et les petits scolonautes festifs sur la pente glissante d’un edutainment toujours plus creux, le reste du monde prend conscience qu’avec les nouvelles technologies, la façon même d’enseigner est profondément bouleversée. Pour donner le change, Peillon propose bien d’assouplir l’obligation scolaire dans certains cas précis afin de laisser la porte ouverte à un enseignement numérique et à distance. Rassurez-vous : le contrôle du contenu sera toujours laissé à la charge de l’institution séculaire qui vérifiera qu’on a bien fait son quota de découpages, de collages de gommettes colorées, de poterie, de visites de musée, d’activités théâtrales, d’expression corporelle, de jardinage, de chaudronnerie pour filles et de couture pour gars (dégenrage oblige). Mais à part ça, le recentrage de l’école sur ses missions essentielles, l’apprentissage de bases solides, on n’en parle pas.
Le reste du monde, lui, se contentera des cours de Harvard en ligne, ceux du MIT, de laKhan Academy (qui se développe à présent en Français), et des expériences de Sugata Mitra dont j’avais déjà parlé ici et dont je remets la vidéo ci-dessous parce qu’elle est fun :
> h16 anime le blog hashtable.
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