La semaine passée à commémorer l’armistice de 1918 a donné lieu à un redoutable mélange des genres et des gens. Il n’est pas facile de revenir sur ce passé qui a progressivement perdu tous ses témoins, et plus encore ses acteurs. Si quelques certitudes subsistent, comme les immenses sacrifices consentis par les combattants, ce sont les questions qui l’emportent sur les réponses pour le reste. Les illusions rétrospectives, les anachronismes, les intérêts présents, les interprétations partisanes se bousculent pour donner à cette célébration une image assez confuse. Si le spectacle d’hier a été, comme d’habitude, assez réussi, il a été précédé par une semaine où se mêlaient cérémonies et petits bains d’une foule habilement sélectionnée. Il était évident que la reconquête du public passait avant l’hommage aux morts. La grandiloquence des discours laissait place à des échanges au cours desquels le Président s’efforçait maladroitement de faire « peuple ». Jupiter devenu « Bibi » sonnait faux. Il faut être bien naïf pour s’y laisser prendre.
Dimanche, 11 Novembre, le décor de l’Olympe était à nouveau dressé autour de l’Arc de Triomphe puis à la Villette. Chefs d’Etat et de gouvernement se pressaient autour du Président français. Ils entendirent un discours impeccable sur le plan rhétorique, dans le fond, la forme et la diction. Mais là encore, la remémoration du passé était entièrement tournée vers le présent et le futur proche. Comme l’itinérance mémorielle avait surtout voulu désamorcer la colère populaire qui monte, plus préoccupée de la pluie de taxes actuelles que de celles des obus de 1914-1918, la liturgie mémorielle du 11 Novembre visait les échéances européennes qui apparaissent de plus en plus comme les élections de mi-mandat d’Emmanuel Macron. Le souvenir de la guerre servait avant tout à désigner et à stigmatiser l’adversaire caricaturé de demain : le nationalisme. C’est lui qui avait provoqué la Première Guerre mondiale. C’est lui qui avait resurgi pour conduire à la seconde. Et c’est encore lui qui menace aujourd’hui la paix, puisqu’il est bien entendu que le 11 Novembre, c’est la paix qui est fêtée et non la victoire. Sans doute, en partie, celle-ci fut engendrée par le nationalisme ancré au coeur des Français et qui s’est bien émoussé dans l’entre-deux-guerres, mais c’est un point qu’il est préférable de laisser dans l’ombre. Le nationalisme, voilà le mal. Il s’oppose au patriotisme. Le premier exprime l’égoïsme d’un peuple qui ne regarde que ses intérêts, le second serait l’amour qu’on porte à une nation qui porte l’universel, qui serait un « soldat de l’idéal ».
Cette opposition déclamatoire est habituelle dans la rhétorique française. Elle n’a aucun sens. Les relations internationales consistent à confronter les Etats-Nations et leurs intérêts. La diplomatie consiste souvent à envelopper les intérêts immédiats dans de grands principes qui les dissimulent. Ainsi, qu’on approuve ou non la politique du Général de Gaulle vis-à-vis de l’Algérie, on voit bien en lisant le « C’était de Gaulle » de Peyrefitte que l’obsession du Général n’était nullement la liberté des Algériens et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais la volonté de se débarrasser au plus vite d’un boulet qui compromettait le développement de la France et son rôle sur la scène internationale. Ses propos sur la nécessité de freiner l’immigration et de favoriser les naissances en France ( tome II pg 436) ne laissent aucun doute sur le nationalisme de de Gaulle, sur le fait qu’il mettait les intérêts de la nation française au-dessus de tout, comme Trump, non comme Macron. La vraie distinction entre patriotisme et nationalisme devrait reposer sur le caractère agressif et expansionniste de ce dernier. Lorsqu’il ne l’est pas, qu’on l’appelle patriotisme ou nationalisme n’a aucune importance. La défense des intérêts d’une nation, de « l’intérêt supérieur de la patrie », comme disait l’homme du 18 Juin, est le devoir de tout homme d’Etat. Ce n’est pas une option. La présence de Chefs d’Etat, et les plus importants, comme par hasard, Donald Trump, Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan ou encore Benjamin Netanyahu, tous viscéralement attachés à l’intérêt national pouvait faire sourire en entendant le Président français. D’ailleurs, Donald Trump, particulièrement visé, notamment par une sortie intempestive sur l’armée européenne, n’a pas daigné participer au Forum de l’après-midi.
Ainsi les grands discours, et la mise en valeur d’Angela Merkel, avaient des objectifs beaucoup plus immédiats que la Paix dans le monde ou la lutte commune contre « le spectre du réchauffement climatique ». Cette dernière est d’ailleurs bien compromise par le choix allemand du charbon américain. Mme Merkel et M.Macron on perdu beaucoup de crédit auprès de leurs peuples respectifs. Or il leur est indispensable de faire gagner le fédéralisme européen lors des prochaines échéances pour que la « libre circulation des personnes et des biens », c’est-à-dire notamment l’immigration et le mondialisme des échanges continuent à prospérer. Entre les Chefs d’Etat qui privilégient l’intérêt national, et ceux qui poursuivent des buts idéologiques et partisans, parce qu’ils pensent profondément que la nation est dépassée et appelée à disparaître, l’opposition westernienne de Macron entre le bien et le mal mérite sans doute d’être inversée.
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