Ce soir se déroulera un débat télévisé que sans doute beaucoup de Français regarderont. Ils se colleront devant leur poste dans le but de savoir quel candidat de droite à la candidature mérite leur préférence. Pourtant comme dans certaines courses cyclistes sur piste c’est dans la période immobile, d’observation et de position avant le départ, que se joue la plus grande partie de la confrontation.
La procédure des primaires, faussement importée du système américain, a singulièrement déformé la réforme de 1962. Au prix d’une forfaiture, celle instituait en France l’élection du président au suffrage universel. Et sur cet élu on a fait reposer toute l’architecture des pouvoirs. Et c’en est au point qu’on se demande pourquoi il existe des assemblées supposées élaborer et voter les lois. On entend couramment parler d’un pouvoir suprême, sans s’interroger sur le détenteur de ces superpouvoirs. Ce concept infantilisant se révèle de moins en moins plausible tant il est attribué à personnalités de plus en plus falotes, fragiles et friables, selon une courbe régulièrement déclinante depuis un demi-siècle.
Si j’en crois en effet Mediapart ce matin “voter ou ne pas voter Juppé à la primaire de droite (quand on est de gauche) ?” serait devenu le débat à la mode, et probablement le seul, entre gens de gauche, et l’occasion de longues dissertations sur ce que le journal gauchiste en ligne appelle “deux visions du vote : l’électorat stratège et l’éthique de la délibération.” Et de faire de la sorte le tour d’horizon des arguments les plus pertinents, ou les plus vicieux, de chaque camp.
Autrefois on pouvait penser, et je le pensais fortement, que la république avait simplement, seulement, bêtement, peur du peuple. Quand on compare Louis XIV déjeunant à Versailles devant le défilé de ses peuples, et nos présidents hyperprotégés, ridiculement sursécurisés, on prend conscience de la différence entre l’autorité naturelle et paternelle du prince et l’autoritarisme administratif des élus. Le roi de France guérissait les écrouelles avec l’aide de Dieu, nos chefs d’États républicains se barricadent dans leurs palais.
Je laisse le lecteur deviner ma préférence et ne reviens pas sur le sentiment qu’inspire cette comparaison.
Mais il convient certainement d’aller plus loin. On doit constater que les couches dirigeantes, au fil de l’évolution des régimes eux-mêmes sont devenues essentiellement, unanimement, voire brutalement méprisantes à l’endroit de ceux, dont pourtant elles tirent leur mandat, sans aller jusqu’à utiliser le mot franchement inapproprié de légitimité. Sans le vote populaire, elles ne sont rien, et pourtant, c’est devenu une sorte de règle mondiale de mépriser l’opinion populaire. Le mot “populiste” désignait autre fois les démocrates chrétiens. Il pourrait être considéré comme un doublon pour “démocrate”. Or, il passe aujourd’hui pour l’inculpation éliminatoire majeure, sans que l’on en connaisse d’ailleurs une définition claire.
Ce n’est pas une dérive exclusivement française c’est une tendance mondiale. Quand on attribue le Prix Nobel de la paix à un politicien désavoué par le peuple comme Santos en Colombie, on marque bien quelle valeur est accordée au droit de suffrage.
Dans les manuels scolaires d’hier figurait en bonne place une caricature du Second Empire dénonçant la procédure du plébiscite, un “bibiscite” c’est un mot latin qui veut dire oui.
De plus en plus la réponse est devenue non, sans qu’en fait on sache vraiment la question. Hier, c’était une plaisanterie de Woody Allen “la réponse est non mais rappelez-moi la question” disait l’humoriste new-yorkais. Ce n’est plus une boutade c’est désormais une règle morale. Pardon, il faut dire : une “valeur”.
Car ce non, dans la pratique ce non est interprété comme un oui.
Aux primaires de la droite on trouve donc normal que la gauche s’institue l’arbitre. Doit-on dès lors s’étonner du mépris qui en résulte ?
> Jean-Gilles Malliarakis anime le blog L’Insolent.
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