Avec la solennité qui commandait compte tenu de la gravité des événements, notre Président l’avait dit, clairement, dès mars dernier : « Létapéra ! » Ceci, en l’espèce, se traduit, après quelques nécessaires semaines de petits calculs pointus, par un magnifique Plan de Relance couillu et particulièrement bien doté, bien pensé et bien ciblé qui, on le sait, permettra évidemment au pays de se redresser d’un coup dans une turgescence aussi ferme que l’ensemble des actions prises jusqu’à présent.
Car oui, les plans de relance, ça marche ! Regardez la façon dont l’économie française s’est littéralement envolée en 2008 après le plan de relance mis en place à l’époque, a tel point que la Cour des Comptes estime (à bon droit) qu’il a coûté plus qu’il n’a rapporté ! Rappelez-vous du coup de fouet que le plan de relance de Mauroy aura donné à la France en 1981, si puissant que le pays a frôlé la faillite complète, ou celui de Giscard en 1975 qui se sera soldé par une inflation galopante et un gros déficit du commerce extérieur ! Pas de doute, vu l’historique, on sait que ce plan va merveilleusement fonctionner, tout comme le plan de relance européen qui n’est pas du tout une solide arnaque sucrée.
Et c’est d’autant plus vrai que, point important, la presse, elle aussi, bénéficiera d’un petit coup de pouce salvateur. Ouf. Il était temps.
D’une part, ceci garantira que le bilan qui sera dressé (par la presse) de ce plan de relance (dont elle bénéficie) sera immanquablement le reflet exact de la réalité. Voilà qui rassurera tous les contribuables puisqu’on va clairement leur expliquer, quel que soit le résultat réel, que leurs deniers ont été éparpillés et cramés avec diligence pour les meilleures raisons. Au moins en dormiront-ils mieux.
D’autre part, ce plan de relance pour la presse permet enfin de consacrer un peu d’argent gratuit des autres pour sauvegarder ce secteur économique en péril à mesure que les outils numériques se développent, voyez-vous ma brave dame. Il faut en effet comprendre que la presse, en France, est le parent pauvre de la distribution de pognon magique puisqu’au contraire de beaucoup trop d’associations lucratives sans but, elle est tenue de présenter un résultat palpable sous forme de journaux, de magazines ou d’enquêtes journalistes palpitantes.
Et puis, tout le monde le sait : ces dernières années, la concurrence du numérique a beaucoup fait de mal aux petits éditeurs de presse, aux organes régionaux autant qu’aux nationaux et à toute la profession journalistique qui a dû continuer à vivre très chichement comme autant d’Albert Londres à chacun de ses reportages au milieu de l’action. Ce fut particulièrement tendu tant les petits robinets d’argent public étaient obstinément fermés.
Dès lors, on ne peut que se réjouir – comme le font d’ailleurs nos journaux récipiendaires – que le gouvernement, dans son extraordinaire munificence, se soit décidé à larguer plus de 480 millions d’euros à ce secteur en difficulté : le président Macron a en effet présenté un vaste plan ayant pour but d’accompagner sa transformation numérique et lui permettre de supporter les lourdes pertes enregistrées depuis le début de la crise sanitaire.
Vraiment, il était temps : on sent bien que l’informatisation, les intertubes, les autoroutes de l’information, tout ça, ça va pulser grave dans quelques temps – c’en est fini du minitel, m’ame Ginette, que voulez-vous ! – et qu’il ne va pas falloir louper le virage numérique. Dès lors, rien de plus normal que la Puissance Publique claque votre pognon investisse l’argent du contribuable pour aider les journaux, dès 2020, à s’adapter à la nouvelle donne numérique qui a déboulé sans crier gare il y a à peine un quart de siècle.
Un autre aspect, rappelé par le président Macron, impose qu’une aide précieuse soit dévolue à notre grande presse : en effet, il ne faudrait pas que l’actuel pluralisme de nos journaux s’éteigne suite à la crise ! Réfléchissez deux secondes, M’ame Ginette : grâce à une aide judicieuse de l’État, on peut enfin garantir que tous les journaux favorables à cet argent magique survivront, les autres (opposés à ce genre d’aides) ne pouvant alors que reposer sur leur lectorat. Voilà assurément garantie la pluralité d’expression de l’opinion qu’il faut des aides à la presse !
Mieux encore : en gommant ainsi les difficultés financières de ces organes, à grand renfort d’argent des autres pioché dans les larges poches contribuables, on ne leur impose pas du tout de dépendre des fortunes personnelles de magnats de l’industrie qui pourraient ainsi acheter des titres et en orienter le contenu à leur guise ! Pas de ça en France, m’ame Ginette, le président Macron s’en assure ici encore une fois avec le zozotant brio qu’on lui connaît !
Enfin, cette foisonnante pluralité de la presse, heureusement largement visible dans l’écosystème actuel où toutes les tendances du socialisme et du politiquement correct s’expriment en toute liberté, permet à chaque contribuable de financer indirectement, au travers de l’impôt, des idées qui lui sont chères : l’antimilitariste est heureux de retrouver une partie de son obole fiscale au Figaro de Monsieur Dassault ; le chrétien pratiquant se réjouit de la pièce donnée aux anticléricaux de Charlie Hebdo ou de Libération par le truchement de son Cerfa n°2042 ; quant aux communistes, même s’ils ne s’abonnent plus trop à l’Humanité (dont le lectorat n’existe plus, à vrai dire), au moins seront-ils heureux d’apprendre qu’ils participent indirectement à la survie de La Croix ou d’autres journaux chrétiens.
Car c’est cela, la grandeur de la France, m’ame Ginette, c’est ça, ce viol moral des consciences pour une pluralité inexistante de la presse et cette survie d’épaves journalistiques tenues par des milliardaires qui les font renflouer par l’argent public. Et ça, franchement, m’ame Ginette, on ne peut pas, on ne doit pas s’en passer, d’autant que, je vous le rappelle, l’étapéra quoi qu’il arrive. Ce qui veut dire vous, m’ame Ginette.
Sachant enfin que ce plan exceptionnel de 483 millions d’euros s’ajoute au 840 millions d’euros d’aides annuelles sous forme directe et indirecte dont les aides postales, ce serait vraiment dommage de s’en priver, m’ame Ginette.
Alors on compte sur vous. Et ne vous abonnez pas, ce n’est pas nécessaire, l’État vous a abonné à la source.
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