Le 22 Août, j’avais publié un article dont le titre était emprunté à une formule apocryphe du Général de Gaulle, « Les Français sont des veaux ». Il s’agissait d’un texte polémique, certes, résolument hostile au pouvoir actuel, et reprenant la liste des reproches qui peuvent lui être adressés : légitimité originelle douteuse, grand remplacement en marche, gestion désastreuse de la crise sanitaire, stratégie économique incohérente et suicidaire, soumission à une Europe de plus en plus allemande, explosion de l’insécurité, et accélération de la décadence morale avec la loi bioéthique. L’utilisation de la peur face au Covid-19 est devenue une manipulation de l’opinion publique afin de la détourner d’autres sujets, de poursuivre l’entreprise de réduction des libertés, et notamment de celle qui est la plus fondamentale dans une prétendue démocratie libérale, la liberté d’expression. C’était un réquisitoire, mais guère différent de mes publications habituelles. Aussi, quelle ne fut pas ma surprise lorsque je reçus une notification de Facebook m’annonçant ma suspension pour trois jours : « Votre publication ne respectait pas nos Standards de la communauté concernant les discours haineux. 24 août 2020 · Fermé. » Je m’empressais de répondre. Le même message dénué du moindre argument précis revint et sur chacune des pages que je suis supposé « gérer ». L’ensemble m’amena à 30 jours d’éviction. Manifestement, j’aurais du poser la question à laquelle nous sommes de plus en plus souvent soumis sur la « toile » : « êtes-vous un robot ? » La réponse aurait été positive, à l’évidence. La seule explication de cette censure se trouve dans le titre qui identifie des êtres humains, les Français, à des animaux, les veaux. Structurellement, la formule est semblable à celle qui réduirait les personnes de couleur à l’état animal. Leur signification, leur registre sont pourtant tout différents : l’une est humoristique puisqu’il s’agit d’une formule par laquelle un Français se moque du peuple qui est le sien, l’autre est clairement injurieuse. L’impossibilité où je me trouvais de faire comprendre à une machine la subtilité du langage, son lien fondamental avec la liberté et l’intelligence humaines capables d’interpréter une phrase y compris en lui donnant le sens contraire de ce qu’elle paraît affirmer, m’a conduit à une seule conclusion : Orwell ne vient pas. Il est déjà là. On est attiré vers internet et ses réseaux pour pouvoir jouir d’une liberté d’expression que ne permettent pas les médias traditionnels où la censure est la règle. Et on découvre avec effarement que celle-ci y est encore plus stupide. Facebook, c’est Big Brother : la liberté d’expression reposait sur la création, sur la souplesse voire l’ambiguïté des mots et des phrases, sur l’importance des connotations et des références. Désormais, le langage doit être appauvri au point de pouvoir être contrôlé par des machines. C’est le règne de la novlangue ! Lorsqu’on interdit certains mots, on oblige évidemment à en employer d’autres, et on impose peu à peu le règne de la pensée unique. Le totalitarisme le plus sournois est au bout du piège tendu par les réseaux sociaux. Ceux-ci tissent une prétendue communauté mondiale, contrôlée le plus souvent à partir des Etats-Unis, imposent à leurs membres des « standards », c’est-à-dire des dogmes, des voies uniques de la pensée, et transforment la réflexion en réflexes afin que l’autocensure agisse plus sûrement que la censure a posteriori.
Descartes, ce penseur français essentiel avait dit que le langage était le Rubicon que l’animal ne franchirait jamais. C’est un penseur américain, un linguiste, d’ailleurs beaucoup moins heureux sur les problèmes sociétaux, Noam Chomsky qui avait insisté sur ce point dans « la Linguistique cartésienne » : le langage humain n’est pas de l’ordre du réflexe contrairement aux modes de communication employés par des animaux. Il n’est pas univoque : c’est ce qui fait sa richesse, son lien avec la conscience et la liberté. Manifestement, il est impossible de faire entendre à un robot américain le sens d’une formule du Général de Gaulle parlant des Français et des veaux. Le paradoxe est intéressant : la censure automatique dont j’ai été victime supprime la différence entre l’expression humaine et les communications animale ou robotisée. Elle conduit à la Ferme des Animaux, l’autre ouvrage d’Orwell, cette fable animalière sur le totalitarisme soviétique. Ainsi, en censurant une image bien innocente comparant certains hommes à certains animaux, Facebook a clairement réduit l’homme conscient et pensant à n’être qu’un animal soumis au troupeau, contraint de meugler, timidement, s’il est un veau et de bêler s’il est un mouton. S’il ne peut plus parler, au moins qu’il rugisse !