Le milliardaire américain Warren Buffett avait déclaré avec une ironie corrosive : « la lutte des classes existe et c’est ma classe, celle des riches qui est en train de la gagner ». Ces dernières semaines semblent donner raison à ce cynisme sans complexe. Le populisme paraissait avoir le vent en poupe. Le brexit suivi de l’élection de Trump constituaient les signes évidents d’un réveil des peuples. En fait, ils traduisaient dans les pays occidentaux, industrialisés depuis longtemps la convergence des classes populaires autochtones que le recul voire l’effondrement de l’industrie frappaient de plein fouet et d’une classe moyenne qui peu à peu perdait son statut et parfois son existence. Ouvriers menacés par le chômage et indépendants, commerçants, artisans, professions libérales, cadres d’entreprise se trouvaient pour beaucoup unis contre un même adversaire qui pouvait bien avoir le visage des riches dont parlait Buffett. Les premiers accusaient d’abord la mondialisation, et la concurrence déloyale des pays à bas salaire, puis l’Europe trop ouverte au monde et toujours favorable aux nouveaux venus et à leurs travailleurs détachés. Les seconds voyaient de plus en plus dans le libéralisme et la dérégulation la cause de la naissance et du développement de groupes importants avec lesquels la concurrence est impossible. L’ubérisation promise de certaines professions paraissait briser les dernières résistances corporatives. La souveraineté d’un Etat protecteur, l’identité nationale culturelle, mais aussi démographique face aux vagues d’immigrants, la conservation d’une façon de vivre se trouvaient ainsi réunies dans un vaste mouvement que la médiacratie servile rejetait avec mépris sous le nom de populisme. La technocratie européenne dont les résultats démontrent l’inefficacité voire la nocivité tremblait sur ses bases. L’establishment américain se raidissait contre la menace.
La contre-attaque a été lancée et a remporté ses premières victoires. Précédée et accompagnée par une couverture d’artillerie médiatique intense, présentant tour à tour les ravages supposés du brexit, les bourdes épaisses voire les trahisons de Trump, les malheurs d’immigrés qu’il serait inhumain de repousser, et les bonheurs d’une société liquide, multiculturelle, libérée des stéréotypes, constituée d’individus destinés à s’épanouir chacun pour soi, elle a remporté sa première grande victoire, dans notre pays, la France. Contrairement au Royaume-Uni, plus qu’aux Etats-Unis, l’uniformité des grands médias publics et privés y a puissamment contribué. Leur dévotion totalitaire à la pensée unique a été sans faille. Malgré le bilan calamiteux de Hollande, ils sont parvenus à briser l’image de son successeur présumé, François Fillon et à faire s’envoler dans les nuées de l’adulation irrationnelle, l’un de ses ex-ministres. Du jamais-vu ! Cela témoigne-t-il de la jeunesse inépuisable de notre nation ou de sa sénilité avancée ? L’avenir nous le dira. Le présent impose un constat : la droite a choisi un candidat conservateur , mais non populiste. Son conservatisme était insuffisant et la prééminence de la rigueur économique dans son programme au détriment des questions sécuritaire et migratoire constituait un pari sur la rationalité des électeurs qui s’est révélé d’autant plus risqué que la machination médiatique et judiciaire montée contre lui a fait fondre la confiance qui lui était nécessaire. Si les conservateurs ont voté Fillon, les populistes ont choisi Marine Le Pen ou Mélenchon. Les premiers ont été confrontés aux insuffisances de leur candidate. Les seconds ont mêlé leurs voix à celles des banlieues sans prendre conscience de la contradiction.
Comme le disait récemment Eric Zemmour, lors d’un dîner-débat de la Droite Libre, la France se retrouve en 1830, lorsque repoussant les réactionnaires légitimistes d’un côté, et les révolutionnaires républicains de l’autre, le blanc des uns et le rouge des autres, le drapeau bleu-blanc-rouge de la monarchie louis-philipparde symbolisait l’union des bourgeoisies triomphantes. Collomb et Raffarin, même combat ! Juppé et Macron sont appelés à réaliser aujourd’hui le rêve de Giscard : l’unité dominatrice du grand groupe central ! C’est juste politiquement, mais ce ne l’est pas sociologiquement, car sur ce plan, le grand groupe central, les classes moyennes, sont en train de disparaître. Elles disparaissent à mesure qu’elles grandissent dans les Brics, en Inde et en Chine où leur nombre dépasse déjà notre population nationale, ce qui n’est pas sans intérêt pour certaines entreprises européennes, l’automobile allemande ou le luxe français tant l’envie de se différencier est forte chez les nouveaux riches. Ce décalage entre la politique et la sociologie constitue la grande illusion d’aujourd’hui, l’immense déception de demain. L’Allemagne, avec son industrie puissante, son excédent commercial monstrueux, et sa démographie catastrophique se situe dans le courant du mondialisme. Elle exporte des produits et importe des hommes. Hier est tellement lourd à porter que demain importe peu. La France se trouve dans une situation inverse. Son industrie est démantelée. Contrairement à Fillon qui voulait relancer l’offre en baissant les coûts, avec une sorte de TVA sociale, Macron va s’appuyer surtout sur la demande, en transférant des charges et des impôts en faveur des dépensiers et au détriment des épargnants. La CSG frappant les retraités aisés, et le fisc à l’assaut des propriétaires immobiliers annoncent ce choix qui repose non sur sur un redressement du pays, mais sur une amélioration passagère du moral des ménages. A plus long terme, on placera les espoirs dans une avancée du fédéralisme européen et une plus grande générosité de notre voisin d’Outre-Rhin, mais on devrait surtout craindre que l’alignement des astres actuel, avec une énergie bon marché, un euro faible, et des taux d’intérêts quasi nuls, ne dure pas. Les accommodements persistants de la Banque Centrale Européenne comme les déficits américains sont des périls qu’on ne peut négliger. Avec le recul des conservateurs au Royaume-Uni, le mondialisme des riches et l’Europe de Bruxelles ont enregistré un nouveau succès. Celui-ci n’est qu’une apparence. Ce sont les deux tendances du populisme, celle qu’anime de mauvais gré Thérésa May, et celle des travaillistes emmenés par Jeremy Corbyn qui l’ont emporté. C’est pourquoi la vague d’euphorie qui semble s’emparer de la France risque bien de conduire à l’amertume, à la rancoeur et à la révolte. Macron danse avec les riches, mais c’est sur un volcan !
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