Dans ce climat foireux de fin de règne que l’on pourrait mieux qualifier d’aigrefin(s) de règne, le discours sur l’Europe n’en finit pas d’accumuler non-sens, contre-vérités, crocs-en-jambe des canards boiteux de la droite autant que de la gauche, bref un pâté avarié d’alouette, reprenant la classique proportion d’une alouette malade de la vérité, et d’une vieille carne politicarde.
Ils vont donc parler de l’Europe, si juteuse pour certains, et si néfaste pour l’Occident. Ils vont même ressortir les grands ancêtres pour se parer des plumes du paon : Jean Monnet, le célèbre VRP des Américains, et Robert Schuman surnommé Le Père de l’Europe. En quelque sorte, ils vont faire voter les morts.
Mais il se trouve que les morts, certains d’entre eux du moins, ont encore des choses à dire. Et nos débatteurs du jour seraient bien contents de rajouter quelques pelletées de terre sur quelques cadavres trop remuants.
De Jean Monnet, par exemple, cette note secrète de 1943 au sujet de de Gaulle :
« Il faut se résoudre à conclure que l’entente est impossible avec lui ; qu’il est un ennemi du peuple français et de ses libertés ; qu’il est un ennemi de la construction européenne, qu’en conséquence il doit être détruit (sic) dans l’intérêt des Français. » (1)
De Robert Schuman, qui, au-delà de son surnom, promut la CECA (la communauté européenne charbon acier) et fut le premier président du Parlement européen. Car Robert Schuman eut le « grand tort » d’écrire Pour l’Europe (2), un livre paru en 1964, alors que le grand homme mourut en 1963. Au moment où les technocrates et stipendiés de tout genre nomment Europe le fourre-tout de leur fromagerie à ciel ouvert, Robert Schuman, se sachant proche de la fin – et donc doublement intouchable – prévoyait il y a plus de cinquante ans :
Sur la fédération forcée :
« Il ne s’agit pas de fusionner des États, de créer un super-État. Nos États européens sont une réalité historique : il serait psychologiquement impossible de les faire disparaître. Leur diversité est même très heureuse, et nous ne voulons ni les niveler ni les égaliser. » p. 23
Sur la défense « tout azimut » :
« Une tâche européenne, constructive et valable, consiste sans doute à assurer la défense collective contre toute agression possible. » p. 31
Sur la pensée occidentale :
« L’Europe, avant d’être une alliance militaire ou une entité économique, doit être une communauté culturelle dans le sens le plus élevé de ce terme. » p. 35
Sur la désinformation :
« La désintoxication des manuels d’histoire est une des premières nécessités. Elle n’est en contradiction ni avec la liberté de penser et d’expression des adultes, ni avec le véritable patriotisme qui doit être enseigné à la jeunesse. » p. 50.
Sur les vrais prolégomènes démocratiques :
« L’Europe, c’est la mise en œuvre d’une démocratie généralisée dans le sens chrétien du mot. » p. 53.
Sur les racines chrétiennes de l’Europe :
La démocratie sera chrétienne ou elle ne sera pas. Une démocratie antichrétienne sera une caricature qui sombrera dans la tyrannie ou dans l’anarchie. La position du démocrate peut être définie ainsi : il lui est impossible d’accepter que l’État ignore systématiquement le fait religieux, qu’il lui oppose un parti pris qui frise le mépris ou l’hostilité. L’État ne saurait méconnaître l’extraordinaire efficacité de l’inspiration religieuse dans la pratique des vertus civiques, dans la si nécessaire sauvegarde contre les forces de désintégration sociale qui sont partout à l’œuvre. » p. 70
Sur l’état actuel de nos gouvernements :
« Dans une démocratie véritable, il y a une seule limite à la liberté : les assises de l’État et de la société doivent rester à l’abri de la violence et des entreprises destructrices. p. 75.
Sur la techno-bureaucratie mortifère :
« L’intégration européenne doit, d’une façon générale, éviter les erreurs de nos démocraties nationales, surtout les excès de la bureaucratie et de la démocratie. La complication des rouages et l’accumulation des emplois ne sont pas une garantie contre les abus, mais sont parfois elles-mêmes le résultat de la surenchère et du favoritisme. L’ankylose administrative est le premier danger qui menace les services supranationaux. » p. 146.
Alors, faut-il tuer le Père de l’Europe au nom de ses descendants dévoyés ? Ils en sont bien capables. Car, à bien le relire, pas sûr que son vote d’aujourd’hui eût été « européennement correct ».
Et nous, le 25 mai… ?
Notes :
1. http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Monnet#cite_note-5
2. Schuman Robert, Pour l’Europe, Genève, les éditions de Nagel, 1964
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