Le Pape a dit « génocide »…

Ils sont vraiment susceptibles, ces Turcs ! Pas contents du tout que le Pape François ait parlé de génocide à propos du massacre des Arméniens en 1915, ils rappellent leur ambassadeur et demandent des explications au représentant du Saint-Siège à Ankara. Comment ose-t-on parler de « génocide », pour les morts arméniens victimes en grande partie accidentelles selon la Turquie d’une guerre civile entraînée par l’offensive russe dans le nord-est du pays durant la première guerre mondiale ? Il faut le croire : il n’y a pas eu d’intention génocidaire dans la genèse de la Turquie actuelle. Il y avait 80% de musulmans et 18% de chrétiens en 1912 sur le territoire actuel du pays. Les musulmans sont maintenant 98%. Est-ce le fruit du hasard ? En fait les chiffres parlent. La « turquification » est le moteur de l’histoire de la Turquie moderne, au moins depuis l’arrivée au pouvoir des « Jeunes Turcs » au début du siècle dernier. Être turc consiste moins à appartenir à la race des envahisseurs successifs qui ont conquis le pays à partir du XIe siècles, qu’à présenter des caractères nationaux, comme la religion ou la langue, qui consacrent une homogénéité nationale sourcilleuse et répressive à l’encontre de minorités installées bien avant l’arrivée des Turcs. Les Arméniens ont été les premières victimes, en même temps que d’autres minorités chrétiennes. Les Grecs ont suivi. Aujourd’hui, les Kurdes, qui ont la chance d’être musulmans, sont toujours en conflit larvé avec l’Etat turc. La passivité de celui-ci devant l’offensive de l’Etat islamique contre les Kurdes syriens, alors que sa puissante armée pourrait balayer les djihadistes facilement, éclaire la stratégie implicite d’un Etat que certains voudraient intégrer à l’Europe !

Le génocide arménien est évident. Simplement, il s’est moins agi d’éliminer un peuple en particulier que de réaliser l’unité du pays par l’élimination des minorités. Si l’on se réfère à celui qui a défini le concept, Rafaël Lemkin, le terme est amplement justifié : « la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique… la mise en place de différentes actions coordonnées qui visent à la destruction des fondements essentiels de la vie de groupes nationaux, en vue de leur anéantissement ». Le génocide consiste donc non seulement dans l’élimination physique des membres du groupe, mais aussi dans l’éradication de son identité. Le génocide est la forme extrême du remplacement. Celui-ci peut viser des quartiers, des villes, des régions, des pays entiers. Il peut prendre des formes diverses : massacres, déportations, expulsions, expropriations, conversions ou mariages forcés, enlèvements d’enfants, destructions d’édifices ou de symboles, atteintes aux libertés fondamentales. La volonté d’anéantir un groupe racial en raison de critères pseudo-génétiques a donné à la Shoah son aspect particulier, extrême, à la fois systématique, rationnellement organisé, et d’une absolue stupidité. L’Histoire est malheureusement riches de génocides différents par leur forme, mais animés de la même volonté d’éliminer physiquement ou culturellement un groupe humain.

La Turquie illustre, parfaitement quant à elle, l’idée du remplacement ethnique. Les Turcs sont originaires d’Asie centrale. Ils ont envahi l’Empire Byzantin héritier de l’Empire Romain d’Orient dominé par les Grecs et peuplé de nombreuses ethnies majoritairement chrétiennes. Sa capitale était Constantinople, la ville du premier empereur romain chrétien. Certes, les invasions ne sont pas rares. Fréquemment, l’envahisseur, minoritaire, finit par se noyer dans le peuple conquis, épousant sa langue ou sa religion. Il peut aussi lui apporter une civilisation séduisante ou dominante. Il peut enfin éliminer le peuple indigène. La Turquie actuelle appartient à la troisième catégorie. Les envahisseurs turcs, convertis à l’islam, ont par divers moyens, notamment le régime fiscal lié à la dhimmitude, réduit l’immense majorité chrétienne à 20% de la population avant la guerre 14-18. Avec l’affaiblissement voire l’effondrement de l’Empire Ottoman, la volonté d’achever le remplacement par la force s’est accélérée. Déjà le sultan Abdulhamid II s’en était pris aux minorités chrétiennes, arménienne et syriaque en 1895. Parmi les 80 000 ou 300 000 victimes figurent les 3000 Arméniens brûlés vifs dans l’église d’Ourfa. Le nationalisme turc a pris le relais de la religion avec l’arrivée des « Jeunes Turcs », du Comité Union et Progrès ». Dès 1909, les Arméniens sont massacrés en Cilicie, lors des fêtes de Pâques. En 1915, il ne peut y avoir aucun doute sur le projet criminel du pouvoir turc d’éliminer ces dissidents potentiels suspectés d’être pro-russes que sont les Arméniens. Le Ministre de l’Intérieur, Talaat Pacha, est explicite : « Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence.. ne tenir compte ni de l’âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici. » Surtout dans l’Est et le Sud du pays, moins à Istamboul ou à Smyrne, trop observées, les massacres commencent en frappant d’abord l’élite intellectuelle puis en se poursuivant par des marches de la mort durant lesquelles les victimes mourront de faim, de soif, de mauvais traitements, sous les coups des gendarmes, d’irréguliers kurdes ou de délinquants libérés pour l’occasion. Une Organisation Spéciale a été créée à cette fin, mais le caractère relativement confus des exactions permettra de fonder le négationnisme turc. La justice passera en 1921 par l’assassinat à Berlin de Talaat Pacha par Soghomon Tehlirian. Entre-temps, l’Empire aura disparu, vaincu et démembré, mais Kemal Ataturk va gagner la seconde guerre, celle de libération, qui permettra entre 1920 et 1923, de se défaire de l’autre grande minorité chrétienne, celle des Grecs, majoritaires sur les rivages de la Mer Egée et d’une partie de la Mer Noire, depuis la haute antiquité. Les chiffres, malgré leur imprécision, en raison du caractère douteux des recensements ottomans, sont effarants : ont disparu plus d’un million d’Arméniens, 500 000 Assyriens, 350 000 grecs pontiques. La Turquie a perdu entre 1912 et 1926 5 Millions d’habitants, dont 3 200 000 morts, aux 3/4 civils, et 2 Millions d’ »expatriés ». Dans ce pays, « génocides » s’écrit au pluriel.

Pour avoir à deux reprises dû renoncer à une loi mémorielle, sur le « rôle positif de la France Outre-Mer… »et sur le génocdide des Ukrainiens lors de l’Holodomor, et m’être rallié aux conclusions de la Mission Parlementaire plaçant le jugement historique hors du champ législatif, j’admets que l’on puisse parler librement de ces sujets, mais avec le risque de l’odieux ou du ridicule quand on conteste de mauvaise foi la tragique évidence. La Turquie assume ce risque. Les pays européens doivent en tirer les conséquences.

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13 Comments

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  • Gisèle , 13 avril 2015 @ 16 h 24 min

    Les merdias ont bien remué la m …. dès le départ !
    Il fallait bien s’en douter !
    Alors moi aussi je dis : GENOCIDE !
    Et vous ??? allez sur Facebook , tweeter et autres réseaux ….
    Ecrivez le en grosses lettres .

  • lepitt , 13 avril 2015 @ 16 h 43 min

    Et moi je dis que le “peuple élu” ne va pas être content du tout de cette AOP et de cette AOC (appellation d’origine protégée) et (appellation d’origine contrôlée)…

  • philippe Mouillac , 13 avril 2015 @ 17 h 34 min

    Vivement que l’on nous demande (ou pas d’ailleurs!!!!!) notre avis pour la rentrée de la Turquie en Europe!!!!! mais on va encore un peu attendre car les esprits ne sont pas encore assez “modelés” pour accepter et dire “OUI”.

  • Catholique & Français , 13 avril 2015 @ 18 h 38 min

    Il y a quasiment exactement 100 ans, extrait d’une lettre du Bienheureux Père Charles de Foucauld à Laperrine (6 décembre 1915) :
    «…J’espère que nos affaires marcheront bien sur tous les fronts. Fronts dont le nombre augmente. Quelle barbarie que les massacres d’Arménie : ventes d’esclaves en gros, choix de femmes pour les harems ! Si, après cela, on laisse subsister la Turquie comme État, ce sera une honte pour les Alliés. C’en est déjà une pour les Américains et autres neutres, qui pourraient réprimer ces infamies, et qui se croisent les bras. J’avais cru, en entrant dans la vie religieuse, que j’aurais surtout à conseiller la douceur et l’humilité; avec le temps, je vois que ce qui manque le plus souvent, c’est la dignité et la fierté ! Je désire ardemment deux choses : que la Turquie cesse d’être un État, qu’elle soit morcelée, divisée entre les États européens, et que l’Allemagne soit mise à merci, perde son unité, n’ait plus les Hohenzollern comme princes, et soit mise hors d’état de nuire. Comme chose secondaire, je désire que nous n’ayons aucune parcelle de la Turquie, de la Terre sainte, ni autre chose. Nous avons assez de notre immense empire colonial : occupons-nous de le faire progresser, prospérer, de le bien administrer, et ne l’accroissons pas…»

  • Pascal , 14 avril 2015 @ 1 h 43 min

    C’est une honte, une infamie, d’avoir attendu si longtemps pour prononcer le mot !

  • Daniel chaudron , 14 avril 2015 @ 10 h 12 min

    Cher Christian Vanneste, vos articles sont trop longs.
    Aristote était plus concis…

  • Gisèle , 14 avril 2015 @ 19 h 18 min

    Quand un chef maure dépose les armes aux pieds de la Vierge

    En 778, l’empereur français Charlemagne, lassé par la résistance opiniâtre du Seigneur sarrasin Mirât occupant la citadelle de Mirambel (l’actuelle citadelle de Lourdes, en France) s’apprête à lever le siège lorsqu’un compagnon de Charlemagne l’évêque du Puy-en-Velay, ville de la région française d’Auvergne, a une inspiration et obtient l’autorisation d’aller parlementer avec l’assiégé.

    Il propose à Mirât de se rendre, non pas au souverain, mais à la Reine des cieux. La proposition plaît au chef Maure qui dépose ses armes aux pieds de la Vierge noire du Puy et se fait baptiser. Le jour de son baptême, Mirât prend le nom de Lorus qui, transmis à la ville, devint plus tard Lourdes.

    Lors de la reddition il est écrit que Mirât : « ne connaît aucun mortel au-dessus de lui et préfère la mort à la honte de la capitulation ; qu’il rend les armes au serviteur de Notre Dame, et est prêt à recevoir le baptême, à condition que son comté ne relève jamais, soit pour lui soit pour ses descendants que d’Elle seule. » Charlemagne signe l’accord. Le 11 février 1858, Notre Dame apparaît à Sainte Bernadette et demande à être vénérée à Lourdes.

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