Note préliminaire : cet article ne prétend pas à l’objectivité, mais donne une grille de lecture pour mieux comprendre les enjeux de la situation en Ukraine. Par manque de place et soucis de clarté, des raccourcis ont été pris avec l’histoire de la Russie, de l’Ukraine et de la Yougoslavie.
La situation des dernières semaines en Ukraine a fait couler des fleuves d’encre, sans pour autant apporter beaucoup de clarifications, entre les copier-coller de dépêches AFP, et les déclarations flamboyantes du “camp du bien”, composé de politiciens occidentaux, de “philosophes” et “d’experts” d’un coté ; et les déclarations pro-Poutine souvent mal étayées et parlant plus de la situation interne des pays occidentaux que de l’Ukraine de l’autre. Sans compter les prêcheurs d’apocalypse annonçant la Troisième Guerre mondiale…
Pour prendre de la distance, des éléments historiques sont fort utiles. Il faut comprendre, tout d’abord, que l’Ukraine est liée à la Russie depuis les origines, la ville de Kiev étant souvent considérée comme l’un des points focaux de l’histoire de la civilisation des Rus’.
À cela, s’ajoute une divergence entre la région et la Russie moscovite lors de la formation de l’Empire russe. Plus de multiples influences des puissances lithuanienne et polonaise sur sa partie est. Et une extension de l’Ukraine plutôt récente au XXe siècle, l’Ukraine historique étant bien plus réduite que l’Ukraine actuelle.
Vient ensuite l’Holodomor (“extermination par la faim”), famine organisée par les communistes soviétiques qui tua environ 10 millions d’Ukrainiens, remplacés par des colons russes.
La Crimée est un cas particulier : elle fut tatare et musulmane jusqu’à sa conquête par l’Empire russe au XVIIIe siècle, et effectuait régulièrement des raids au Nord pour capturer des esclaves à vendre dans le monde musulman. Une fois conquise, la région fut progressivement russifiée (entre autres par déportation des Tatars sous Staline), sans lien politique avec l’Ukraine durant cette période.
Ce n’est qu’en 1954 que Khrouchtchev “offre” la Crimée à la République soviétique fantoche d’Ukraine. Une situation qui aboutira à ce que la Crimée obtienne un statut particulier au sein de l’Ukraine post-soviétique, de région autonome avec son propre parlement. Fut également maintenu le port militaire stratégique de la Mer Noire, avec un accord autorisant la Russie a stationner 25 000 hommes maximum en Crimée (environ 15 000 avant la crise).
L’Ukraine post-soviétique à été marquée par une corruption énorme, jugulant toute croissance économique, l’une des pires des pays post-soviétiques.
Depuis la révolution Orange de 2004, déjà dirigé contre Viktor Ianoukovitch, l’Ukraine a connue une forte instabilité politique. Celle-ci semble avoir été en partie organisée et fortement soutenue par des agences d’influence américaines (entre autre USAID, le National Endowment for Democracy, l’International Republican Institute, le National Democratic Institute for International Affairs et Freedom House, d’après le Gardian).
On peux honnêtement considérer que les manifestations ont débuté à cause d’une insatisfaction sincère, d’une réelle envie de changement et d’une véritable frustration face au niveau de vie et aux manœuvres inconstitutionnelles de Ianoukovitch. Mais elles furent rapidement récupéré et utilisé par de multiples groupes d’influences aux ambitions diverses. Nationalistes, agences de renseignements occidentales (CIA, l’ex-Blackwater peut-être également), groupes soutenus par Georges Soros (lié aux Femens parmi d’autres), “philosophe” va-t-en guerre à la BHL, etc …
Et de pacifiques, ces manifestations ont rapidement dégénéré en guerre urbaine, avec assauts contre les bâtiments officiels et des équipements militaires puis riposte brutale de la police de Viktor Ianoukovitch. Cependant, on peut se demander quelle aurait été la réaction du gouvernement français si quelques milliers de manifestants du Jour de Colère, soutenu officiellement par Moscou, avaient attaqué avec des cocktails Molotov des ministères français…
Si la Russie a soutenu Viktor Ianoukovitch, c’était plus par soutien à un président élu légalement et démocratiquement, à un an des prochaines élections, mais aussi du fait de l’absence d’un candidat pro-russe alternatif valable, que par réelle volonté d’appuyer un président perçu comme corrompu, peu fiable dans ses engagements internationaux (voir jouant un double jeu) et impopulaire.
Une situation complexe mais pas de conflit majeur en vue
La situation n’est cependant pas sans rappeler aux autorités russes l’éclatement de la Yougoslavie. Les Serbes orthodoxes, alliés historiques de la Russie, ont été attaqués par les puissances occidentales. Et la Yougoslavie, sous pression occidentale, a éclaté en une guerre civile entre ses composantes ethniques, aboutissant entre autres à la création de l’Albanie et du Kosovo. Le Kosovo est maintenant sous contrôle albanais, avec pour raison mise en avant qu’une majorité d’Albanais habitent le pays.
Mais la Russie de 2014 n’est pas l’empire en décomposition des années 90. Elle est déterminée à défendre ses alliés, comme dans le cas de la Syrie, particulièrement lorsque ceux-ci hébergent une base militaire russe importante. Et fort ironiquement, elle met en avant l’argument ethnico-culturel pour justifier une intervention “protégeant les minorités russes” et le droit des minorités russes à faire sécession, le même que les Occidentaux invoquaient en Yougoslavie. De plus, le sentiment d’être menacé s’est répandu parmi la minorité russo-ukrainienne et les Russes avec l’annulation d’une loi donnant des droits aux minorités linguistiques par le nouveau gouvernement ukrainien.
Il est clair que Poutine a uniquement les intérêts de la Russie et des Russes en tête, pas ceux de l’Ukraine. Voire uniquement ses intérêts propres. Mais l’Occident est aujourd’hui mal placé pour donner des leçons de droit internationaux après la Yougoslavie, l’Irak, l’Afghanistan, la Libye et la tentative ratée d’intervention en Syrie.
L’une des meilleures solutions semble se dessiner aujourd’hui avec un référendum en Crimée sur l’indépendance ou le rattachement à la Russie. Un référendum qui ne serait pas fondamentalement plus choquant en Crimée qu’en Catalogne ou en Écosse.
L’autre problème est la division profonde entre l’ouest (nationaliste et/ou pro-UE) et l’est (pro-Russes) de l’Ukraine. Il est douteux que cette fracture se résolve facilement. Une solution de type fédérale, copiant le modèle suisse serait sans doute préférable. Cependant, aucune des parties ne semble disposée à aller dans cette direction, entre un coté russe qui souhaite la scission, et un gouvernement ukrainien non-élu qui ne semble pas vouloir exclure un conflit, ou en tout cas qui manie une rhétorique martiale.
La Russie n’a pas d’intérêt à un conflit armé avec l’Occident, qui reste son principal client ; même si ces deux dernières années risquent de l’encourager à accélérer son virage à l’Est, en direction de la Chine. L’Occident n’a, lui non plus, rien à gagner dans une guerre, qui rappelons-le, pourrait rapidement dégénérer en un conflit nucléaire.
Beaucoup des habitants de Crimée ne se sentent pas envahis, mais protégés par les forces armées russes. Beaucoup des Ukrainiens craignent la Russie et portent le traumatisme des années soviétiques. Beaucoup des Russes-Ukrainiens de l’est redoutent les actions du nouveau gouvernement et avaient voté pour Viktor Ianoukovitch, qui à leur yeux a été destitué illégalement par un coup d’État fascisant. Les nationalistes ukrainiens pensent être en train de refonder leur nation. Une importante part de la population rêve de l’UE, de prospérité facile et “magique”, mais oublie le sort récent des citoyens grecs ou chypriotes.
La suite des événements risque donc de continuer vers la crispation avec un seuil à ne pas franchir (la guerre ouverte), conduisant vers une probable partition de l’Ukraine qui n’est pas sans rappeler la guerre froide. La Crimée devenant une nation indépendante vassale de la Russie, ou directement intégrée dans la Fédération de Russie.
Il est particulièrement dommageable que les dirigeants occidentaux se soit figés dans une narration aussi manichéenne sur une situation aussi complexe, bloquant toute possibilité de résolution intelligente. Cependant, la division spatiale de ces divergences (est-ouest) permet d’espérer une résolution pacifique et relativement calme, d’autant plus qu’une intervention destructrice et déstabilisante comme celle du Kosovo semble impossible sans dégénérer en un conflit bien plus grave.
NB : Concernant les liens logiques géopolitiques a faire a l’échelle mondial sur les ressources et la situation au moyen Orient, Charles Gave offre un complément.
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