Il était une fois un espace en forme de triangle dans la zone des îles Bermudes. Y pénétrer, c’était courir le risque de disparaître des écrans des radars, de s’évaporer à tout jamais sans laisser la moindre trace. Vérité ou légende, ce mystérieux triangle faisait le bonheur des journalistes en mal de copie, les jours de disette en matière de catastrophes ou de scandales. C’était le marronnier idéal. Or ce triangle naufrageur est réel, il existe : il est chez nous, en France, et n’a coulé qu’un navire, celui sur lequel nous naviguions, sereins et forts de notre supériorité intrinsèque de patrie des droits de l’homme et de République exemplaire. Ce bateau était la démocratie. Il n’est plus qu’un radeau à la dérive à la merci des vents et des courants. Une poignée d’hommes s’en sont rendus maîtres et ne comptent pas libérer l’équipage ni les passagers.
Ce triangle comprend en un point les médias, et en particulier ceux de gauche qui privilégient la dérision mais entraînent avec la rapidité d’un ouragan le reste de la presse. Un autre est occupé par des magistrats dont la voile répressive est gonflée par la tempête idéologique qui souffle dans leurs cerveaux épris d’une justice vengeresse, à moins qu’elle ne soit plus doucement soulevée par le zéphyr des promotions amicales. Le troisième, enfin, et non le moindre, est celui qu’occupent les politiciens de gauche plus soucieux de s’accrocher au pouvoir que d’assurer l’avenir du pays.
La France connaît tous les cinq ans l’événement le plus important de la vie politique, l’élection du Président de la République. C’est à chaque fois, le choix de l’homme ou de la femme qui va incarner la nation aux yeux du monde entier. C’est à chaque fois, la décision collective de déterminer le futur du pays en fonction du projet annoncé par le candidat élu. La période qui correspond à la campagne devrait donc répondre à deux impératifs : d’abord, une sorte de respect sacré du rite, qui devrait écarter les coups bas contre les concurrents ; ensuite, une concentration de l’information sur les contenus de leurs programmes. Dans les deux cas, le but est d’informer pour que les citoyens puissent voter sereinement, en connaissance de cause, et en fonction des enjeux reconnus. Paradoxalement, ces deux exigences ont été observées durant les primaires. François Fillon l’a emporté en raison du sérieux de son analyse et de ses propositions. Benoît Hamon, de la même manière a attiré à lui la masse des gogos indécrottables qui sont le noyau dur de la gauche et considèrent l’argent public comme un fleuve intarissable dont les riches seuls détournent la générosité inépuisable. Le grand moment de la confrontation était arrivé, non seulement entre eux, mais avec ceux qui n’avaient pas passé l’épreuve des primaires, soit que leur parti s’opposât à cette étape importée des Etats-Unis et effectivement peu conforme à l’esprit de la Ve République, soit que l’Elysée et une bonne partie des médias aient inventé un candidat conforme aux canons de la publicité, une sorte de slogan de la mode en chair et en os.
Mais depuis, la campagne a disparu, les primaires ont été oubliées. La presse a escamoté le débat au profit de diversions qui impliquent le triangle médiatique, politique et judiciaire et qui concentrent l’attention au profit de l’affectif et au détriment de la réflexion. Elles ont comme par hasard un impact électoral évident. Il s’agit là d’un détournement de démocratie, comme il y a des détournements d’avions. Depuis deux semaines, une non-affaire déclenchée par le « Canard », immédiatement reprise par le Parquet, c’est-à-dire par la justice aux ordres, rend inaudible le candidat largement vainqueur de la primaire de la droite et du centre, François Fillon. Les sondages actuels semblent même l’écarter du second tour. Si une telle perspective se réalisait, il s’agirait d’un véritable vol : on aurait subtilisé le candidat de droite, celui qui a été désigné par les millions d’électeurs de la primaire et représente le parti largement majoritaire dans l’opposition parlementaire. La navette scandaleuse entre la presse et la justice au mépris du droit, du secret de l’enquête et de la présomption d’innocence, vise à dégrader l’image du candidat et affaiblir sa candidature. Les faits sont pourtant clairs : François Fillon n’a pas négligé les intérêts de sa famille en usant de moyens parfaitement légaux pour le faire. Ce n’est pas admirable, mais c’est compréhensible. Le fait de mettre cette famille au pilori quand on s’est peu préoccupé des maîtresses logées ou protégées aux frais de la République en dit long sur la partialité de ceux qui mènent cette opération.
Une autre manipulation médiatico-politique a pris le relais. Théo, un éducateur d’Aulnay-sous-bois, a voulu s’interposer lors de l’interpellation d’un guetteur par quatre policiers qui intervenaient dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue. Le guetteur s’est enfui, mais Théo a été gravement blessé au cours de son arrestation. Que s’est-il passé ? Les deux versions divergent. Pour les policiers, c’est un accident dû à la rébellion de l’intéressé et aussi à la fatigue de policiers ulcérés par les caillassages. L’IGPN qui n’est pas tendre à l’égard des « bavures » a conclu à l’accident et au malencontreux dérapage de la matraque télescopique. Pour l’avocat de Théo, Maître Dupond-Moretti, il s’agit d’un viol, puisqu’il y a eu pénétration et blessure anales. On pourrait imaginer que dans cette situation confuse et explosive, puisque des manifestations et des réactions violentes ont eu lieu dans le quartier, on laisse à la justice le temps de faire son travail sereinement, en bénéficiant de l’appel au calme lancé par la victime. Non ! l’imputation de viol a été retenue par le juge d’instruction à l’encontre de l’un des policiers. La presse a monté cette affaire en épingle en donnant à plein dans le fantasme gauchiste de l’inversion des valeurs et des rôles : des policiers racistes et violents se sont acharnés sur un brave garçon sans histoire. L’un d’eux l’a violé. Certains commentateurs se sont émus de la préférence donnée à cette affaire par rapport à celle de ce médecin tué de 48 coups de couteau à Nogent-le-Rotrou où la police a arrêté un suspect, Mourad. B. Entre les deux victimes et les deux coupables éventuels, la politique a fait aussi son choix. Le Président de la République s’est précipité au chevet de Théo. Les policiers brûlés à Viry-Chatillon n’avaient eu droit qu’à la visite du Ministre de l’intérieur qui avait curieusement qualifié les auteurs de cette tentative d’assassinat de « sauvageons ». Cette discrimination renversante dans la sélection, l’imputation des faits et l’attention portée aux victimes n’est pas le fruit du hasard. Elle témoigne d’une intention où se mêlent l’idéologie et la manipulation. Mobiliser la gauche, notamment celle des minorités visibles et choquer la droite afin de la faire glisser, elle aussi, plus à droite, sont des manoeuvres qu’affectionne un Président qui dans sa vie n’aura su faire que cela.
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