Le faux problème du travail dominical

Le travail du dimanche serait-il le serpent de mer de la politique économique française ? Lors du débat lancé par Nicolas Sarkozy il y a quelques années, l’aspect confessionnel de la question avait surtout attiré l’attention des commentateurs. Il est vrai que le Jour du Seigneur ne pouvait laisser indifférent les chrétiens. Et ce d’autant moins que, de douloureuse mémoire pour eux, en 1880, la IIIème République avait supprimé l’obligation de choisir le dimanche, trop empreint de l’héritage chrétien, comme jour de repos hebdomadaire, laissant aux patrons la liberté de décider.

Aujourd’hui, le dimanche apparaît comme un acquis social. Et c’est peut-être là son point faible. Les salariés en viennent à s’opposer aux syndicats, nous l’avons vu récemment encore avec l’ouverture des grandes enseignes. Ceux-là même qui sont sensés les défendre sont parvenus au point de rupture de l’idéologie de l’acquis social. En poussant à l’extrême la défense de ces « acquis » ils font passer la défense des salariés, donc des personnes, au second plan. Et là nous touchons du doigt la dichotomie essentielle entre idéologie et vérité. Tôt ou tard la première se retourne contre la seconde et l’être humain en fait les frais. L’idéologie finit toujours par mettre en place ses propres instances de défense et de survie. Le mythe de l’acquis social en est la parfaite illustration. L’acquis étant par nature ce qui ne bouge plus ne change plus, les syndicats, pour ne parler que d’eux, l’ont peu à peu transformé en principe constitutionnel à la lumière duquel il convient de lire toute action ultérieure. L’acquis devient un dû arraché de haute lutte contre un adversaire toujours soupçonné de vouloir reprendre le combat et menaçant sempiternellement le sacro-saint acquis. L’idée marxiste de la lutte des classes a décidément la vie bien dure. Il s’agirait de prendre sur le dos de l’autre ce dont nous avons besoin. N’y a-t-il donc pas une autre façon de considérer les relations humaines et particulièrement les relations sociales et économiques ? Si, au lieu de chercher des acquis à défendre contre d’obscurs prédateurs, nous recherchions le bien ? Celui qui profiterait aux uns sans spolier les autres. Ce bien commun qui alors serait justice et non acquis.
Dans la question qui nous occupe, il ne s’agit pas d’abord de savoir si le repos dominical est un acquis, car les salariés qui se battent pour travailler le dimanche considéreront comme un acquis une victoire. Mais il s’agit de placer la dynamique en amont. Face à la demande formulée, qu’est ce qui est bon ? Bon pour celui qui demande, mais aussi pour la société dans laquelle il vit. En d’autres termes, le travail, comme le repos dominical, induit des problématiques plus profondes que le simple gain financier.

Se pose donc la question du travail, du repos, du temps de repos et de travail, du jour choisi, mais aussi de la liberté du travailleur à pouvoir choisir de travailler ou de se reposer et de le faire tel jour plutôt qu’un autre. Se pose également la question du service rendu par ce travail dominical, car le travailleur n’est pas isolé et son choix va impacter le reste de la société. Il faut enfin évoquer, et ce n’est pas la moindre des interrogations, le problème d’un jour de repos commun à tous, autrement dit l’aspect sociabilité du travail et du repos. Le travail a au moins deux vocations irréductibles. Il est intimement lié à la dignité de la personne, tout en étant un service rendu « aux autres ». Or la dignité suppose la liberté. Liberté de choisir de travailler ou non. Mais la liberté appelle la responsabilité, en lien donc avec le service rendu dans ce cas-là. Qui ne travaille pas en assume les conséquences. Mais il est difficile de faire porter à une personne endettée la responsabilité de sa dette si on lui refuse la possibilité de gagner plus. Il faut qu’il y ait un intérêt majeur supérieur pour interdire à l’Homme de gagner sa vie. Mais cet intérêt ne peut en aucun cas se faire au détriment du travailleur. Nous retournerions à la lutte des acquis en nous éloignant de la recherche du bien. Une telle interdiction ne pourrait se faire que si elle correspondait à un bien effectif de chaque personne et de la société.

Cela revient à poser la question différemment. En quoi le repos hebdomadaire commun − quel qu’en soit le jour − est-il un bien ? Pourquoi faudrait-il légalement créer un espace commun de repos à tous ? Une fois entendu que le travail nécessite un repos, pourquoi vouloir que ce temps de repos soit commun à toute la société ? Si nous considérons que ce temps de repos partagé est un bien pour tous et pour la société, comment faire en sorte qu’il ne se fasse pas au détriment des travailleurs qui auraient besoin de travailler plus pour gagner plus ?
Le problème se présente encore sous une autre facette. Comment se fait-il que de plus en plus de travailleurs soient obligés de réduire à leur demande leur temps de repos pour pouvoir vivre dignement ? Comment enfin, expliquer la contradiction entre le besoin d’un jour commun de repos (si tel est le cas) et la nécessité de travailler tous les jours ?

La problématique est complexe, mais sa solution est relativement simple. Si nous posons comme postulat que la liberté fait partie de la dignité humaine, le travailleur doit pouvoir choisir librement de travailler ou non, selon un contrat qu’il a librement accepté. Mais la liberté suppose plusieurs préalables. D’une part que le salarié ne soit pas aux abois, prêt à tout accepter pour survivre. D’autre part qu’il puisse exercer sa responsabilité, c’est-à-dire qu’il soit conscient des conséquences que son choix de travailler ou non ont sur lui et sur la société, depuis ses proches, jusqu’à l’ensemble de la population de son pays, voire au-delà.
Concrètement cela veut dire qu’il ne doit pas être contraint financièrement de renoncer à son repos nécessaire et qu’il soit convaincu qu’avoir un temps de repos en commun avec le reste de la société est un bien pour lui comme pour elle. Il est alors difficile de se poser en vérité la question du travail du dimanche tant que les conditions de liberté et donc de crise économique ne sont pas résolues. Ici plusieurs niveaux peuvent être considérés. L’urgence tout d’abord. Des situations critiques particulières dans le contexte actuel peuvent-elles justifier de renoncer à ce repos constitutif de la dignité et jugé comme important pour la vie sociale ? Si tel était le cas, une telle situation ne pourrait être que passagère. La rendre structurelle nuirait durablement au travailleur, à sa famille et au-delà donc à la société. En revanche, empêcher quelqu’un de gagner sa vie et le mettre en péril pour préserver son repos et la vie commune serait injuste. La vraie question est de savoir s’il n’y a pas d’autres moyens à lui offrir. Second niveau, la sortie de crise. Si pour un temps limité, il faut mettre les bouchées doubles pour sortir d’une situation délicate, alors par une adhésion libre, il est possible de remettre en cause ce temps de repos, jusqu’à ce que les difficultés se résorbent. Mais il convient pour cela de s’assurer que ce moyen est effectivement efficace pour obtenir un tel but, qu’il sera limité dans le temps et que les conséquences humaines et sociales ne seront pas pire que le mal. En ce sens un effort collectif peut s’avérer nécessaire voire être décrété. C’est ce qui s’est plus ou moins passé avec le lundi de Pentecôte, bien que les fondements anthropologiques n’aient pas vraiment été sollicités, d’où nombre d’incompréhensions et de maladresses. Ce lundi de Pentecôte s’est transformé en un jour choisi dans l’année. Ne pourrait-on pas alors envisager la même souplesse pour le repos hebdomadaire ?

Cela revient à estimer la pertinence d’un repos commun à l’ensemble de la société. En quoi l’Homme aurait-il besoin d’un jour commun aux autres ? Tout d’abord le travail n’épuise pas toute la réalité de la personne qui est fondamentalement un être de relation et un être social, fait pour la vie commune. Comme nous avons besoin d’un lieu pour vivre ensemble, nous avons besoin de temps à partager. Trois dimensions socialisent l’Homme, le temps, l’espace et la durée. Un temps commun est la possibilité de créer un sentiment d’appartenance, de donner à toute une population de respirer ensemble et de pouvoir se retrouver ensemble. L’espace commun permet d’inscrire le temps dans le paysage, de lui donner la possibilité de s’incarner. La ville, le quartier, la maison familiale, le local associatif, sont autant de lieux où prendre le temps de vivre ensemble. La durée nous inscrit dans l’Histoire, celle de notre quartier, de notre pays, de notre famille. Aussi disposer d’un temps commun de repos partagé permet au travailleur de réaliser davantage la plénitude de ce qu’il est et de le poser dans une relation gratuite vis-à-vis des autres. Ce jour-là n’est pas fait pour gagner sa vie ni s’épanouir dans son travail, mais pour être gratuitement avec tous que ce soit ses enfants, sa famille, ses amis, les plus pauvres ou son club de sport. La question au fond (avant d’être celle du dimanche) est de savoir si l’Homme a besoin pour son épanouissement de ce temps commun, ce temps social. Parce qu’il introduit le travailleur à plus que ce qu’il est et parce que l’Homme est d’abord une personne humaine avant d’être un travailleur, ce temps social commun à tous est indispensable à la dignité et à la liberté de l’Homme. Mais il est également nécessaire à la cohésion sociale que nous préférons appeler solidarité, c’est-à-dire ce lien intrinsèque qui unit toutes les personnes d’une même communauté et par lequel ce que l’un fait rejaillit sur l’autre. Aussi il importe de préserver et défendre ce temps de sociabilité unique comme un bien commun. Mais le défendre suppose de donner à chacun la possibilité d’être libre et responsable face à sa décision. Si nous voulons favoriser le temps en famille parce que la vie de famille a besoin de ce moment pour son épanouissement, comment concevoir que les parents doivent renoncer à ce temps pour faire vivre dignement leurs enfants ? La dignité sauvée d’un côté est atteinte de l’autre.
La vraie question n’est donc pas celle du travail du dimanche, mais bel et bien comment faire pour que celui-ci ne soit pas un mal nécessaire ? Ne pas poser en ces termes le problème reviendrait à ne pas traiter la réalité des enjeux et passer à côté de ce qui serait véritablement profitable aux personnes comme à la société.

> Cyril Brun anime le blog Cyrano.net

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27 Comments

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  • Martina , 13 décembre 2014 @ 23 h 39 min

    Tous acclament les allemands et leur réussite économique
    Essayez donc d’acheter ne serait-ce qu’un pain un dimanche après 11h
    Tous les commerces sont fermés .
    Faux problème que celui là
    Il s’agit de déconstruire ce qui reste de notre société …..

  • jjames , 14 décembre 2014 @ 11 h 13 min

    On ne bosse pas pour créer des emplois mais pour s’en sortir comme bon nous semble.
    Réglementer tout et son contraire au nom d’une idée supérieure du bien commun, ne me convient pas.
    Si d’autres dans mon coin choisissent de bosser la nuit et que cela ne fonctionne pas, c’est leur problème, nous sommes tous adultes et responsables,
    Ce n’est pas au pouvoir de me dire comment je dois faire, seul le contrat doit fixer les règles, si j’accepte d’être viré selon le bon vouloir de celui qui m’engage, cela me regarde.
    Un code du travail usine à gaz et qui s’étoffe chaque jour ne résoudra pas le chômage pléthorique.

  • vu de sirius , 14 décembre 2014 @ 17 h 45 min

    Je ne comprends pas le retour encore et encore de ce marronnier. Déjà, surtout en période de fêtes, beaucoup de commerces ouvrent déjà le dimanche. Ne peut on en rester là ? ce n’est encore pas suffisant pour le consumérisme du 21éme siècle devenu fou?
    L’Allemagne que l’on prend pourtant toujours comme modèle a ses commerces fermés le dimanche . Alors? n’y a-t -il pas des sujets plus graves à l’heure actuelle ?

  • Gisèle , 14 décembre 2014 @ 19 h 11 min

    On donne le doigt * volontairement * et librement … ils nous prennent le bras plus tard ….. pour enfin nous avaler en entier ….obligatoirement !

  • kanjo , 14 décembre 2014 @ 23 h 17 min

    par contre, ça peut en détruire, car les petits commerces n’ayant qu’un seul salarié devront fermer un jour par semaine, et perdront des clients au profits des grandes surfaces.

  • kanjo , 14 décembre 2014 @ 23 h 25 min

    “Si d’autres dans mon coin choisissent de bosser la nuit”
    c’est du dumping social, tout simplement. Et très vite, ça deviendra obligatoire car ceux qui ne “choisiront” pas de travailler la nuit ou le dimanche feront faillite. Mais cela n’augmentera pas le pouvoir d’achat des clients, donc le Les futurs commerçants gagneront en 70 heures ce qu’ils gagnent actuellement en 50 heures hebdomadaires, environ.
    Ou comment travailler plus pour gagner moins.

  • Dofiar , 15 décembre 2014 @ 0 h 44 min

    Le travail le Dimanche est en effet une régression sociale et fait partie du projet de déchristianisation de la France. Certains Chrétiens accepteront de travailler le Jour du Seigneur, d’autres n’accepteront pas et se verront contraints au chômage pour ne pas accepter de travailler le Jour du Seigneur.

    Travailler un jour consacré au repos, à la famille ou à la vie spirituelle est le retour à l’esclavagisme.

    En toute cohérence, les Chrétiens ne devraient rien acheter le Jour du Seigneur, pas même leur pain, afin de ne pas empêcher un salarié de se reposer le dimanche ou de l’empêcher de se rendre à la Messe. C’est ce que je fais. Si tous les Chrétiens achetaient leur nourriture le samedi, les commerces, ne faisant pas d’affaires ce jour-là, se verraient contraints de fermer le Jour du Seigneur.

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