A priori, je suis très réservé sur le principe même de la primaire. Tout a été dit sur le fait que ce système, importé des Etats-Unis où la vie politique est si profondément différente de la nôtre, était contraire à notre logique institutionnelle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la gauche, allergique depuis toujours à la constitution de 1958, a été la première à organiser des primaires. Il faut aussi dire que les primaires aggravent les vices du « régime des partis », puisque l’élection ne vise plus à la rencontre d’un homme, d’un programme et d’un peuple, mais à l’organisation des courants au sein des partis. J’ajoute que je ne peux pas, pour ma part, respecter la règle du jeu qu’ont adoptée les candidats, à savoir soutenir le vainqueur, quel qu’il soit et quel que soit son programme. Je trouve d’ailleurs absurde cet engagement. Beaucoup font aujourd’hui un procès d’intention à Jean-Frédéric Poisson, parce qu’il a manifesté peu d’enthousiasme à l’idée de voter Juppé si celui-ci emportait la primaire. Mais peu semblent s’interroger sur la « logique » qui consiste à dire que, si un candidat de gauche gagne la primaire de droite, tous les électeurs de droite doivent voter pour lui. Pour ma part, j’ai toujours voté soit pour faire battre le plus nuisible (le plus souvent), soit pour soutenir le plus proche de mes convictions. Et, selon toute vraisemblance, il y aura au premier tour de la présidentielle des candidats plus proches de mes convictions que le vainqueur annoncé, Alain Juppé. J’attends de voir les candidats et les programmes, mais le contraire me surprendrait.
Malgré ces objections de principe, je voterai donc à la primaire dite pompeusement « de la droite et du centre » – alors que toute la droite n’y est pas invitée et que le centre a refusé d’y participer.
J’avoue que la charte me pose un problème : il paraît qu’il faut certifier que l’on adhère « aux valeurs républicaines de la droite et du centre ». J’ignore totalement ce que cela veut dire, et je crois que tout le monde est dans le même cas que moi. Pour ne prendre qu’un exemple, tantôt, adhérer aux valeurs républicaines, cela veut dire militer pour l’islamisation de la France – auquel cas, ce sera sans moi ! –, tantôt cela veut dire interdire l’expression de l’islam dans l’espace public. J’ai même entendu de mes propres oreilles Jean-Luc Mélenchon, alors sénateur, déclarer dans l’hémicycle que l’on pouvait être royaliste et adhérer aux valeurs républicaines. Ce qui, pour moi qui suis un indécrottable fidèle du comte de Chambord, vaut blanc-seing ! Plus sérieusement donc, je signerai cette charte sans avoir la moindre idée de ce qu’elle signifie, mais en lui apportant la signification suivante : Je suis de droite (pas tellement du centre, je dois le confesser !) et je suis attaché à la res publica (et pas du tout à la république !). Si ce positionnement idéologique interdit de participer, je remercie par avance la Haute autorité (c’est fou le nombre de Hautes autorités que nous avons, à mesure que l’autorité tout court disparaît davantage de notre vie publique…) de bien vouloir me le signaler.
En attendant, donc, l’autre contrainte, c’est de payer 2 euros. Et je trouve que deux euros, ce n’est pas excessif pour participer à un sondage grandeur nature sur les convictions des électeurs de droite.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Au premier tour de la primaire, nous fixons le rapport de forces des diverses tendances qui constituent la droite française – à l’énorme réserve près que, de façon incompréhensible, le FN, beaucoup plus « républicain » que moi, et majoritairement de droite, n’a pas été invité à participer.
Pour le moment, si je comprends bien les positionnements des uns et des autres, nous avons trois tendances. Pour reprendre les catégories de René Rémond (que j’ai souvent critiquées, mais qui ont le mérite de la simplicité), nous avons, tout d’abord, une droite bonapartiste, indifférente aux questions morales et culturelles, attachée à l’autorité. C’est la droite de Nicolas Sarkozy et de Jean-François Copé. Ensuite, une droite orléaniste, défendant toutes les conquêtes de la gauche, à l’exception du socialisme. C’est la droite d’Alain Juppé, de Bruno Le Maire et de Nathalie Kosciusko-Morizet. A mon humble avis, c’est la droite la plus contestable. Depuis 150 ans, elle ne cherche qu’une chose : être encensée par la gauche – qui ne veut rien avoir à faire avec elle ! – et dire tout le mal qu’elle pense du reste de la droite. De ce point de vue, la droite bonapartiste a un avantage majeur sur la droite orléaniste : elle se moque d’être encensée par la gauche et elle n’hésite pas à briser en visière avec le politiquement correct. Son seul défaut, mais il n’est pas mince, c’est que se moquant éperdument des questions idéologiques, elle les abandonne à la gauche, sans comprendre que défendre l’autorité de l’Etat, c’est bien en soi, mais que, si cet Etat est celui de Joseph Staline ou, plus pitoyable, celui de François Hollande, cela s’appelle marquer contre son camp : la défense de l’Etat vaut alors agression de la France. Enfin, il y a la droite légitimiste, représentée par Jean-Frédéric Poisson dans cette élection, la droite de l’enracinement dans les terroirs de France et, surtout, la droite qui s’oppose aux « immortels principes de 1789 », en promouvant la doctrine sociale de l’Eglise.
On aura compris que c’est à cette droite-là que je me raccroche. Je précise d’ailleurs que je ne crois pas que les autres soient des droites. Je vois bien que la « droite légitimiste » ne pèse guère électoralement, mais c’est la seule qui ait une doctrine cohérente et ferme, reposant sur une anthropologie claire – et donc, à long terme, c’est la seule qui soit capable de battre durablement la gauche.
Le lecteur attentif aura constaté qu’un nom manque dans ma liste : il s’agit de François Fillon. Cela tient à une raison simple : j’ignore où le situer. Sociologiquement, il paraît assez proche de la droite légitimiste, mais son parcours politique s’est largement fait du côté de la droite bonapartiste, et la lecture de son livre programme montre sa grande proximité idéologique avec la droite orléaniste (je recommande, en particulier, la lecture du passage – à mes yeux, totalement délirant – sur les Lumières et l’émancipation de l’homme, mais, évidemment, il faut aussi faire une mention spéciale des trémolos très « NKMistes » sur l’avortement, « droit fondamental », que la France aurait mission d’enseigner au monde ébahi…). Bref, autant les autres sont aisés à classer, autant lui ne l’est pas et je ne saurais dire de quel côté il penche aujourd’hui.
En tout cas, la révélation de cette primaire a été Jean-Frédéric Poisson, précisément parce que la droite légitimiste avait disparu des radars électoraux. Ce parfait inconnu paraît bien un peu incongru dans cet aréopage de célébrités qui ont toutes une part de responsabilité importante dans l’effondrement de la France, et qui, surtout, refusent de contester idéologiquement l’hégémonie de la gauche. Ses déclarations, très posées, très calmes, très argumentées, tranchent sur la manie de la petite phrase destinée à dissimuler le vide sidéral de la doctrine de ses concurrents. En tout cas, il apporte une fraicheur que nous n’avions pas connue dans le débat politique depuis longtemps.
Mon ami, le politologue Guillaume Bernard, disait que la logique politique voudrait que Jean-Frédéric Poisson, seul tenant d’une droite classique dans cette primaire, y figure au deuxième tour. C’est aussi mon avis, même si les urnes ont peu de chances de confirmer cette logique politique.
Mais il faut bien comprendre que ce premier tour de primaire est un choix idéologique et non pas d’abord un choix électoral. Quoi qu’on pense du principe des primaires, il nous ramène à la vieille logique communiste, selon laquelle une élection est principalement une occasion d’imposer un rapport de force idéologique. On s’est gaussé naguère de Georges Marchais qui commentait une défaite électorale du PCF en disant : « C’est une défaite électorale, mais c’est une victoire sémantique. » Il faut vraiment appartenir à la « droite la plus bête du monde » pour ne pas comprendre cette phrase qui démontre l’extraordinaire supériorité politique d’un saltimbanque apparent comme Marchais sur les prétendus hommes d’Etat de son époque. A contrario, combien de victoires électorales de la droite ont-elles été des défaites sémantiques au cours des dernières décennies ? Il ne sert à rien de gagner, si on gagne sur les idées de son adversaire !
C’est donc principalement pour obtenir une victoire sémantique, je veux dire faire progresser mes idées et donc préparer demain des victoires électorales durables, que je voterai Poisson.
Face à cette option décidée, certains opposent l’importance de voter pour un « grand » candidat, puisque la primaire désignera probablement le futur président français et qu’il faut à tout prix éviter un tel ou un tel (en général Sarkozy ou Juppé).
Je comprends tout à fait la logique du vote utile et je ne la trouve pas universellement répréhensible. Mais nous partons pour une élection à 4 tours (sans compter les législatives qui suivent). Si nous votons « utile » dès le premier tour de la primaire, nous sommes assurés d’avoir au deuxième tour de la présidentielle un choix impossible et sans aucun intérêt !
Je voterai donc Poisson au premier tour.
D’abord, pour des raisons de fond. Il est, en effet, le seul à défendre clairement l’anthropologie chrétienne, si violemment attaquée, que ce soit sur l’avortement, l’abrogation de la loi Taubira, l’enracinement, la défense de l’identité chrétienne de notre patrie…
Pour des questions de « psychologie » aussi : je n’arrive pas à croire ceux qui nous annoncent des réformes drastiques pour demain, alors qu’ils ont eu le pouvoir pendant des années et que, non seulement ils n’ont pas fait ce qui devait être fait, mais ils ont considérablement aggravé la situation (et cela vaut, malheureusement, pour tous les autres concurrents, spécialement les « grands » concurrents qui, tous, ont été président ou premiers ministres). En matière d’immigration, de clientélisme, de démagogie, de fiscalisme, de chômage, de politique étrangère, etc., ils ont mené des politiques contraires aux intérêts de la France – et souvent contraires à celles qu’ils prétendent mener demain. Face à eux, Jean-Frédéric Poisson me semble infiniment plus raisonnable : au lieu d’aligner des chiffres toujours plus vertigineux, il se « contente » d’égrener ses valeurs et ses principes. Cela trace un cap et cela évite le catalogue à la Prévert des mesures oubliées aussitôt après l’élection.
Enfin, je voterai aussi Poisson pour des raisons beaucoup plus « politiciennes », car la politique, ce n’est pas seulement de l’idéologie ; c’est aussi un rapport de forces.
Un Poisson à un niveau élevé au premier tour de la primaire, c’est une amorce de recomposition de la droite sur des bases saines.
Poisson est, en effet, le seul à dire à la fois ce qui le rapproche du FN et ce qui l’en éloigne. Tous les autres y vont de leur couplet moralisateur, sur le thème : le vote FN, c’est mal, ou alors de leurs fausses transgressions, sur le thème : moi, j’ai l’audace incroyable de parler aux électeurs du FN. Mais nous ignorons toujours ce qu’ils reprochent au programme du FN ou ce qui pourrait constituer la base d’une alliance.
Il y a des raisons de ne pas partager certaines prises de position de Jean-Frédéric Poisson. Par exemple, j’ai trouvé maladroite sa déclaration d’opposition à la préférence nationale (même si son explication récente sur le Salon beige me semble assez convaincante) et je ne suis pas d’accord avec son refus systématique et de principe de la peine de mort. Je crains que, dans certains cas, la protection de la société n’implique de mettre les terroristes ou les psychopathes définitivement hors d’état de nuire. Mais il me semble indispensable de prendre le FN pour un parti normal, avec lequel l’ex UMP peut être en accord sur tel point, en désaccord sur tel autre, et pourrait aussi demander des précisions sur un troisième (je suis, par exemple, actuellement incapable de dire ce que pense le FN de la liberté scolaire, sujet central pour moi, mais sur lequel on entend certains cadres du FN défendre le chèque scolaire, tandis que d’autres sont manifestement revenus au programme commun de la gauche en 1981, réclamant un service public unifié et laïc…).
Beaucoup de Français, spécialement ceux qui sont attachés à la droite hors les murs et qui ne se sentent représentés ni par l’UMP ni par le FN, espèrent une recomposition de la droite, permettant une alliance entre d’un côté Poisson, Dhuicq ou Breton et de l’autre Marion Maréchal, en passant par les lecteurs de Zemmour ou les électeurs de Villiers. Mais cette recomposition ne se fera que sur des bases idéologiques claires. Et elle ne se fera que s’il devient parfaitement évident, à l’occasion des élections de 2017, que les appareils du FN et de l’UMP brident la droite de conviction.
A ce sujet, j’attire, en particulier, l’attention des lecteurs qui votent FN pour soutenir la tendance Marion. Tout observateur un tantinet attentif aura pu remarquer que, si cette tendance est probablement majoritaire dans l’électorat du FN au plan national, elle est ultra-minoritaire au sein de l’appareil où la ligne social-étatiste domine de façon écrasante. Selon toute vraisemblance, l’immense majorité des futurs députés FN seront sur la ligne Philippot. Voter Poisson, c’est aussi envoyer un message fort au FN et soutenir cette ligne Marion : plus Poisson est haut, plus Marine sera obligée de tenir compte du vote catho et plus elle sera obligée de laisser sa nièce monter, en concurrence de Florian Philippot. C’est d’ailleurs pour cela que tous les messages du FN visent à détourner les électeurs FN de la primaire : moins les électeurs proches de la ligne Marion iront voter, plus Poisson sera bas et donc moins la ligne Marion sera prise en compte. Ce qui permettra, après les législatives, de la « mettre à mort » sans difficulté pour faire enfin du FN le vrai parti chevènementiste dont certains semblent rêver…
Parvenu à ce stade, vous pourriez me rétorquer que mes réflexions ne sont pas inintéressantes dans le ciel des idées, mais qu’elles n’ont aucune réalité politique. Quel pourrait bien être, en effet, l’intérêt d’une candidature de témoignage ? Faire 2%, n’est-ce pas condamner les « cathos » à ne jamais peser ? Eh bien, je voudrais répondre à cette dernière objection de façon chiffrée. Personnellement, je n’ai aucune intention de soutenir une candidature de témoignage et il ne me semble pas déraisonnable de viser un score de Poisson autour de 10% – ce qui constituerait un véritable séisme politique, tant à l’UMP qu’au FN. D’où sort ce chiffre, alors que les sondeurs parlent de 2%, me demanderez-vous ? Tout simplement d’une réalité électorale brute : voici deux ans, Christine Boutin a réuni près de 150 000 voix sur les listes de Force Vie aux européennes. Or, l’immense majorité des électeurs ignoraient l’existence de ces listes. Ceux qui ont voté pour elles ont souvent été obligés d’imprimer leur bulletin. Autant dire que les conditions n’étaient pas optimales pour faire un score. D’autant qu’une bonne partie des électeurs de la droite de conviction ont profité de ces élections pour donner un gros score au FN. Or, le FN n’est pas – je le rappelle – aux primaires. Il ne me semble donc pas délirant d’imaginer que Jean-Frédéric Poisson puisse faire au moins 300 000 voix. Et 300 000 voix, c’est 10% de 3 millions d’électeurs (on estime qu’entre 2 et 4 millions de personnes voteront et je crois, moi, que nous serons plus près de la fourchette basse, tout simplement parce que c’est l’intérêt de Nicolas Sarkozy qui, jusqu’à plus ample informé, contrôle encore l’appareil du parti).
D’ailleurs, si nous comptons que nous avons été plus d’un million de personnes à manifester contre la loi Taubira – marqueur important de la campagne de Jean-Frédéric Poisson –, nous pourrions être beaucoup plus ambitieux et viser même une participation au deuxième tour. Je crains, pour ma part, que les vieux réflexes qui poussent à mettre de côté ses convictions le temps du vote ne reprennent le dessus chez un trop grand nombre de personnes, mais ce ne serait pas absurde. En particulier, si les millions de soutiens de la ligne Marion allaient voter aux primaires, comme il me semble que c’est leur intérêt…
Reste la question de savoir quoi faire d’un bon score. Eh bien, la réponse est toute simple : peser. J’entends parfois dire que Jean-Frédéric Poisson ne fait cela que pour être ministre. Personnellement, je n’en crois rien. Tout simplement parce qu’il est jeune (53 ans) et qu’il a donc tout intérêt – même s’il ne considérait que son simple intérêt personnel, ce qui n’est certainement pas le cas – à construire un mouvement : entre avoir un petit secrétariat d’Etat pendant 18 mois et construire un mouvement appelé à peser 10 ou 20% de la droite, voire à bâtir l’une des pièces maîtresses de la reconstruction de la droite, seul l’imbécile court-termiste peut choisir le premier terme. Or, je ne crois pas que Poisson soit un imbécile, ni, moins encore, qu’il soit court-termiste.
A mon avis, donc, ce qu’il y a lieu de faire d’un bon score aux primaires est évident : négocier une quinzaine de circonscriptions éligibles aux législatives. Si, au sein de la future majorité, nous disposions d’un groupe parlementaire de droite conservatrice – au bon sens du terme –, capable de s’allier tant avec les LR qu’avec le FN, nous aurions monté une marche considérable, décisive pour la suite. Pour le moment, c’est un espoir. Si nous nous y mettons tous, cela peut devenir une réalité prochainement.
PS : à ce propos, et pour garder les pieds sur terre, je conseille à ceux qui ne l’ont pas encore fait de regarder où se trouve leur bureau de vote, en cliquant ici.
> Guillaume de Thieulloy est le directeur de publication des Nouvelles de France.
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