Tribune libre et contre-révolutionnaire
« T’es plutôt du style abbé Beauvais ou abbé Pierre-Hervé Grosjean ?
— Plutôt Xavier Beauvais, déjà à cause du ‘X’, c’est rassurant. C’est une croix. Celle du calvaire j’entends, pas celle de la Légion d’honneur. Et puis Saint-Louis, c’était Louis IX ; il y a eu aussi Charles X, c’était un bon roi je crois ; et les papes Pie IX, saint Pie X, Pie XI et Pie XII, c’était quand même de la haute voltige. Et puis, quand j’essaie de m’imaginer saint Bernard de ClairvauX prêchant la deuxième croisade, je pense à Xavier Beauvais. »
L’actualité sulfureuse du mois dernier a mis sur le devant de la scène deux figures du monde ecclésiastique que tout oppose : l’abbé Xavier Beauvais, curé de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris (Ve), et l’abbé Pierre-Hervé Grosjean du diocèse de Versailles.
L’actualité du blasphème — du Piss Christ de l’été dernier au Golgota picnic de l’hiver prochain — aurait dû réunir les catholiques derrière une même bannière, et pourquoi pas ces deux abbés (rires). Ce fut exactement l’inverse qui se produisit : la pièce de Roméo Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu, exaspéra les divergences latentes entre les « tradis » et les « moderneux », c’est-à-dire entre ceux, d’une part, pour qui l’ambiguïté du message trahissait les intentions perfides de l’auteur (la meilleure arme du diable n’est-elle pas de faire croire qu’il n’existe pas ?) et ceux, d’autre part, qui, pour tout un tas de raisons, ont prétendu « mieux comprendre » la pièce en y voyant un quelconque message caché ou subtil… qui n’existe pas.
Disons-le tout de suite, ces derniers sont tombés dans le panneau de la libre interprétation personnelle, un peu comme des protestants lisant la Bible, c’est-à-dire en fonction de ce qu’ils veulent y trouver selon leurs intérêts du moment, ou, s’ils sont naïfs, à cause de leur crédulité. Plus soupçonneux en revanche sont, et plus lucides, ceux qui ont vu que cette pièce avait quelque chose de salaud et de malsain puisqu’elle a visiblement changé de contenu au cours de ses diverses représentations et varié en fonction de l’actualité (tantôt c’est la scène des enfants lapidant le visage du Christ qui est supprimée, tantôt ce sont les effluves de matière fécale qui le sont). Une pièce donc volontairement obscure, susceptible de mille interprétations personnelles et par conséquent de désaccords tout aussi nombreux.
On distinguera donc en conséquence l’abbé Xavier Beauvais de l’abbé Pierre-Hervé Grosjean et sur le plan politique l’Institut Civitas (Alain Escada, François-Xavier Peron, etc.) du Parti Chrétien-Démocrate (Christine Boutin, Jean-Frédéric Poisson).
L’abbé Grosjean et Christine Boutin sont les produits typiques d’un christianisme vague et concupiscent, démocratique et laïque, docile et lénifiant, voire relativiste et libéral ; bref, ils flirtent avec l’hérésie moderniste brocardée par les papes depuis au moins Pie IX et ne prennent la parole que pour dénoncer la fierté, l’ardeur, le militantisme et l’amour de la vérité d’une jeunesse, d’une communauté et d’un clergé résolument catholiques. Les uns rampent dans le silence, tout vautrés qu’ils sont dans la compromission avec le monde moderne libéral, financier, amoral, immoral, avorteur, inhumain, athée ; les autres refusent de se laisser glisser sur cette pente, par charité, par amour, par esprit de sacrifice.
Tout catholique doit aujourd’hui se dire qu’il sera jugé sur ses actes. De ses actes dépendra son salut. Et cette vérité première rend obsolète un certain nombres d’arguments qui ont pu être avancés pour blâmer l’activisme des jeunes catholiques traditionnels. J’en dénonce deux : l’un qui consiste à dire qu’une croix ou qu’une image ne sont rien dans les mains d’un athée et l’autre, encore plus fumeux, qui consiste à vouloir un contraste total entre ce que devrait être le catholique et ce qu’est le musulman (dans une opposition absolue où ils ne se rejoindraient sur aucun point et où le catholique devrait « changer » pour n’être pas être assimilable au musulman).
- Premièrement, une croix, à plus forte raison un crucifix, une représentation pieuse du Christ vrai homme et vrai Dieu, ça n’est pas « rien » ; dira-t-on que le drapeau tricolore n’est rien ? Non. C’est trois bouts de tissu, certes, mais c’est avant tout un symbole de ralliement, représentation ultime de l’Unité du peuple français, comme un crucifix, comme le visage du Fils de Dieu sont des symboles du peuple chrétien. Les souiller, c’est souiller tous ceux qui s’y reconnaissent. Torchez-vous avec le drapeau tricolore ou le drapeau d’Israël, ce qui n’est pas totalement absurde comme exemple puisqu’il y a eu un concours de photographie organisé par la Fnac à Marseille il y a plusieurs mois dont le lauréat, « l’artiste », fut récompensé pour sa photographie d’un homme (disons typé), le drapeau bleu-blanc-rouge entre les fesses. Et dans ce cas que se passe-t-il ? Vous verrez les mêmes qui nous disent « fanatisés », les Boutin, les Grosjean, les Delanoë, les Mitterrand, s’offusquer immédiatement de l’affront, et, que je sache, aucun média, personne n’ira les traiter de « sans-culottes intégristes », de « fondamentalistes laïcs », de « républicains obscurantistes », de « démocrates embrigadés », de « franc-maçons fanatiques ».
- Deuxièmement, au sujet de l’obsession de certains de se distinguer intégralement des musulmans. J’imagine qu’il doit y avoir là-dessous quelque sionisme chrétien. Mais je ne comprends pas l’argument. Si les musulmans marchent, comme nous, sur leurs pieds, devrions-nous changer de démarche de peur d’être assimilés à eux ? Il y a là un raisonnement qui pue le protestantisme et qui a pour logique finale la dissolution insensible des religions dans la superstructure oppressive de la laïcité. Je renverrais donc à l’excellent Joseph de Maistre qui disait dans Sur le protestantisme :
« Le mahométisme, le paganisme même auraient fait politiquement moins de mal, s’ils s’étaient substitués au christianisme avec leur espèce de dogmes et de foi. Car ce sont des religions, et le protestantisme n’en est point une. »
Et en effet, demandons-nous simplement de quelle nature fut la manifestation du 29 octobre. Réponse : de nature religieuse. Dans le cortège des manifestants, on a certes vu beaucoup de chrétiens et parmi eux surtout des catholiques. Mais plus généralement ? Profil type : jeune et tradi. Quelles traditions ? Religieuses : on a vu des musulmans ; aucun protestant. Il y avait, bien sûr, bien d’autres profils à cette manifestation : personnes de tous âges et de toutes paroisses, le traditionalisme parisien est complexe et pluriel, l’ardeur est aussi bien à Saint-Nicolas-du-Chardonnet qu’à Saint-Eugène, Saint-Paul, et chez les très conciliaires paroissiens de Saint-Léon, etc. Mais il est important de souligner que la jeunesse y a joué un grand rôle.
Ces jeunes catholiques de tradition, contrairement à ce qui a souvent été dit, ne sont pas des béotiens insensibles à toute forme d’art. Au contraire, ils se font une trop haute opinion de l’art pour accepter qu’on en appelle à ce noble terme pour parler de la pièce de Castellucci ou de la photo de Serrano. Les catholiques connaissent la richesse que le canon, avec sa batterie de règles strictes, est susceptible d’engendrer, un canon simultanément castrateur et séminal ; dans les limites définies par les grandes Poétiques, l’artiste est invité à se transcender pour dire quelque chose avec les formes pour le dire. Cette impression de carcan libère paradoxalement les forces les plus vivaces de la liberté.
« In der Beschränkung zeigt sich erst der Meister,
Und das Gesetz nur kann uns Freiheit geben » (Goethe)
Or, l’affaire Castellucci a suscité un débat autour de l’art, de ses libertés, de ses limites éventuelles.
Mais le statut de l’art a changé. Nous datons cette rupture du milieu du XIXe siècle. La logique mercantile avait alors commencé à contaminer le domaine de l’art, réputé inestimable. Cette contamination est parallèle au triomphe de la bourgeoisie et à la marchandisation du monde : toutes les réalités, jusqu’aux réalités sacrées, devinrent des valeurs marchandes, comme les arts — a priori irréductibles à une valeur monétaire — ou comme les hommes traités en animaux de trait par l’industrialisation en marche.
C’est dans ce contexte que l’art reçut une valeur nouvelle — marchande — qui se substitua à sa valeur éternelle —esthétique et éthique — ; cette sécularisation de l’art — la culture est désormais un marché — a aussi pour conséquence de faire entrer la notion de « progrès » dans l’art. On s’imagine l’art sur un plan d’équivalence avec la science : l’art d’aujourd’hui dépasserait l’art d’hier.
Ces trois « artistes (sic) contemporains » que sont Andres Serrano, Romeo Castellucci et Rodrigo Garcia, sans aucun talent artistique et à des années-lumières de nos vrais génies, savent pertinemment que la mort les emportant n’épargnera pas non plus leur nom et leurs œuvres, condamnés à périr et à brûler avec eux dans l’oubli le plus total et la solitude éternelle de leurs cris. Pas sûr non plus qu’ils conquièrent en enfer une quelconque notoriété.
Ils ont du moins su, ici-bas, organiser leur renommée en faisant éclater le scandale ; renommée évidemment volatile : ils ont peut-être une actualité aujourd’hui, une clientèle bobo prête à les enrichir, demain ils seront plus vieux qu’Homère et plus inconnus qu’un pécore mort dans l’indifférence d’une épidémie.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : un artiste véritable n’a pas besoin de scandale pour qu’on se souvienne de lui pendant des siècles ; son œuvre s’impose d’elle-même, par ses propres forces, et elle n’a pas besoin qu’on lui fasse de publicité.
Comme disait quelque part George Steiner avec ironie, on voit que les Grecs, étrangers au Plexiglas, aux métaux légers, à la simulation holographique et au calcul sur ordinateur qui permettent à un architecte moderne de conceptualiser et de réaliser (grâce aux progrès conjoints de la science et de la technique) des projets impensables pour un Vitruve ou un Palladio, on voit bien, disons-nous, que les Grecs étaient arriérés, ignares, que la modernité providentielle du progrès à laquelle ils n’accordaient aucun crédit leur était inconnue. Je rajouterais du reste qu’on voit bien de combien le Centre Georges Pompidou surclasse en beauté le Parthénon de l’Acropole, et de combien Romeo Castellucci avec sa pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu met minable Eschyle avec ses pauvres Perses ou Racine avec sa lamentable Phèdre.
Castellucci fait partie de ces « artistes contemporains » (paradoxe) partisans du « nouveau à tout prix », car il sait qu’en imitateur il ne fera jamais mieux que tous ceux qui l’ont précédé. Pas d’Antigone nouvelle en vue, ni de Moderne Alcibiade. Alors du nouveau. Mais comme tout a déjà été dit, il ne reste plus qu’à aller tourner dans la croupe de l’humanité son bâton de metteur en scène pour en faire sortir un maximum d’immondices. La merde, c’est le prix de l’originalité, et ça fait parler. Voilà la nouveauté de l’artiste contemporain. Et le bobo de s’extasier et d’en redemander. Le bobo tient du coprophage quand il « parle art ».
Il y a aujourd’hui, dans le monde contemporain, une partie des catholiques qui est demeurée fidèle, envers et contre tout, à la Tradition et à l’Eglise catholique, et qui a pris le risque de s’engager sur une ligne de crête d’où deux gouffres la menacent: celui du ralliement total à Rome d’une part ; celui du schisme définitif d’autre part. Il s’agit de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Ce qui fait sa grandeur, c’est quelle maintient le cap, malgré les sollicitations des sédévacantistes et malgré les séductions du modernisme: elle ne transige pas, elle ne voit que Dieu. Elle reste donc doctrinalement et canoniquement légale et légitime: elle fait de la doctrine des saints Pères de l’Église la pierre de touche de son excellence intellectuelle, et elle reconnaît par ailleurs tous les papes de l’Église, sous la tutelle desquels elle se reconnaît de jure. De facto, elle s’en écarte par sa liberté de parole.
Il y a bien une dissidence catholique, mais elle n’est pas vraiment à chercher du côté du schisme (sauf pour Mgr Vingt-Trois, très hostile à la Fraternité). Ces catholiques sont en dissidence vis-à-vis des avatars du monde moderne en général et du régime sous lequel nous vivons en particulier.
Tancrède, membre rédacteur de la gazette catholique en ligne Le Rouge & le Noir, pour Nouvelles de France.
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