Il parle bien, longtemps et en plusieurs langues. Tant mieux pour lui, et les Français en ont été flattés. Le coq n’est pas par hasard leur animal symbolique, qui chante en dominant la basse-cour. Chantecler s’imagine qu’il fait lever le soleil, et beaucoup de Français, séduits par l’assurance du personnage, se sont mis à y croire. Malheureusement, à part la colère des gilets jaunes, le chanteur n’a rien soulevé. On peut même relever aujourd’hui la liste cuisante de ses échecs. La dernière est cruelle car elle touche à la fois le terrain de prédilection de M. Macron, l’Europe, et son intimité psychologique, puisque c’est sa surestimation de soi qui a été atteinte tout en étant la cause même de cette humiliation, jubilatoire pour beaucoup. Le plaisir en a été redoublé par le numéro de celui qui, avec un sourire affiché, demandait d’une voix pointue des explications, et tentait de justifier piteusement l’échec en dénonçant le ressentiment et la petitesse des députés européens et en rejetant la responsabilité sur Mme Von der Leyen, la présidente de la Commission. « C’est pas moi, c’est elle, et si je m’en étais occupé… » Vous avez dit : ressentiment et petitesse ? En réalité, la colère frétillante sous le masque souriant du président français n’aurait dû viser que lui-même pour les deux fautes majeures qu’il a commises : M. Macron est arrivé en politique par le haut grâce à une élection biaisée après avoir cheminé dans les cabinets, les couloirs et les antichambres, en passant par une banque d’affaires, sans jamais affronter la réalité des élections et des électeurs, ni les membres d’une véritable organisation politique. La présomption née de cette facilité lui a fait négliger la psychologie des élus, leur besoin de reconnaissance et de respect. Or, il a passé son temps à couvrir de son mépris ses opposants français, les conservateurs européens, et notamment Manfred Weber le président du groupe PPE au Parlement européen, issu de la CSU bavaroise, qu’il a écarté de la présidence de la Commission, et enfin les populistes ou souverainistes auxquels il a déclaré la guerre. Lorsqu’on doit assurer l’élection d’un candidat qui a besoin des 2/3 des voix, ce n’est pas très malin. Quand il négocie au sommet en ignorant la piétaille parlementaire sur laquelle il n’a aucune prise, à la différence de la France, la piétaille se rebiffe ! Rien d’étonnant ! Sa candidate a été écrasée par 82 voix contre 29, soutenue par le groupe libéral où siège Mme Loiseau évincée de la présidence pour les mêmes raisons, et qui se retrouve isolé alors qu’il devait être le ferment de la nouvelle majorité. Seconde erreur : élu grâce à l’instrumentalisation médiatico-judiciaire d’une affaire bénigne, et faisant de la moralisation de la vie politique son étendard, comment celui qu’on prétend si futé, a-t-il pu croire qu’une candidate discréditée par deux enquêtes allait être élue sans difficulté ? Mme Goulard est toujours impliquée dans les procédures visant les assistants des parlementaires européens du Modem, lancées par la justice française et par l’OLAF ( Office européen de lutte anti-fraude). Certes, elle n’a pas été mise en examen, mais les députés, eux-aussi, « comprennent mal » que celle qui a dû quitter le Ministère de la Défense pour cette raison puisse être recyclée à la Commission dans le poste le plus important, après la présidence, celui chargé du « Marché intérieur » puisqu’il couvre l’industrie, le numérique, la défense et l’espace. D’autant plus qu’on a découvert que cette « excellente » députée européenne avait été très largement rétribuée pendant son mandat (350 000 Euros/2 ans) par l’Institut Berggruen, un groupe de pression, agent d’influence peu compatible avec l’indépendance que l’on doit exiger d’un député en dehors de ses engagements politiques revendiqués.
Or, cette gifle survient dans un domaine où le président se voulait conquérant. On se souvient déjà de la réponse des Allemands à ses propositions : Le budget européen pour la zone euro ne sera en définitive qu’un « instrument budgétaire pour la convergence et la compétitivité », très loin des ambitions affichées par la France. En revanche, si les Français leur font partager le siège au conseil de sécurité des Nations Unies, et abandonnent Strasbourg au profit de Bruxelles pour le Parlement européen, avec leur générosité habituelle, ils sont d’accord ! Sur la scène internationale, les déceptions s’accumulent : il y a deux ans, la France se voulait en flèche sur le dossier syrien, appelant au départ de Bachar Al-Assad, et se glorifiant de sa participation à l’écrasement de l’Etat islamique. On mesure aujourd’hui son impuissance face à l’agression turque. On chercherait en vain des succès compensateurs sur la scène intérieure : de jour en jour, et d’affaire en affaire, la démission de Castaner est réclamée. Les Français peuvent-ils croire leur sécurité assurée dès lors que le terrorisme islamiste resurgit au coeur même de la Préfecture de Police de Paris ? Peuvent-ils espérer un redressement de leur économie alors que leur commerce extérieur ne cesse de se dégrader, et leur industrie de s’effondrer. Les difficultés actuelles de Michelin et la fermeture d’une usine à La Roche-sur-Yon sont un signal inquiétant.
Le pouvoir actuel ne tient que sur deux piliers : la Constitution qui donne à l’exécutif un pouvoir énorme et, ce que de Gaulle ne connaissait pas, la connivence d’une majorité des médias avec le pouvoir. Que le premier journaliste à avoir parlé d’attentat islamiste à propos des assassinats commis à la Préfecture de Police ait pu être menacé par sa direction pour avoir contredit le ministre de l’intérieur en dit long sur l’évolution de notre pays.