Zemmour a une difficulté avec son temps : c’est un raisonneur. Il devrait pourtant savoir que l’idée, la logique, le discours sont démodés, totalement obsolètes. Seule compte l’émotion. Seule l’image a un impact. La conscience collective ou l’opinion publique n’ont plus de suite dans les idées. Bousculées chaque jour par des événements qui brisent la continuité et suscitent des réactions contradictoires, elles réagissent au coup par coup, de façon contradictoire et dans la division. La photo truquée d’un enfant mort sur une plage va soulever la compassion en faveur des migrants et justifier dans les esprits l’ouverture à leur accueil. Un attentat ou une agression sexiste plus loin, le rejet des migrants devenus des envahisseurs va refermer les portes. Les deux vagues opposées vont rejeter de part et d’autre les citoyens d’une cité éclatée devenue incapable de cohésion et de cohérence. Dans cette confusion, les sentiments les plus hypocritement joués valent mieux que les démonstrations les plus solidement étayées. Aujourd’hui toute thèse à la fois structurée et originale est suicidaire pour son auteur car elle va affronter le tir croisé des préjugés. Dire que l’islam est incompatible avec notre société, c’est affronter la bienpensance qui désigne aux regards l’immense majorité des musulmans immigrés qui vivent normalement et qu’on ne doit pas amalgamer avec les fanatiques. Dire que ces derniers sont respectables parce qu’ils sont capables de mourir pour leurs idées alors que nous ne le sommes plus, c’est s’exposer à la colère légitime des innocents qui ont subi cette violence, c’est paraître faire l’apologie de ceux que la société a désignés comme le mal absolu.
Comment a fait Zemmour pour se retrouver accusé de redoubler la douleur des victimes des terroristes et quasi complice du djihad, lui qui passait hier encore pour un islamophobe enragé ? Dans les deux cas, le dérapage dont on l’accuse tient paradoxalement à sa volonté de raisonner en droite ligne sans se perdre dans le brouillard mental ambiant. Au lieu de répéter bêtement que l’islam est une religion de paix et d’amour, tout en peinant à expliquer pourquoi tant de ses adeptes se livrent à des actes monstrueux, Zemmour a lu les écrits qui constituent la Sunna, la tradition, le Coran, les Hadiths et s’est intéressé à l’Histoire de la religion musulmane. Il en a déduit très logiquement que la violence n’y était pas accidentelle mais essentielle et que les djihadistes d’aujourd’hui, certes minoritaires par rapport à la masse des musulmans, sont néanmoins non des hérétiques, mais au contraire des gens qui suivent à la lettre les préceptes initiaux de la religion, fondée sur un texte que nul n’a le droit de changer. Celle-ci ne sépare pas le religieux et le politique, réunis dans le califat. Elle ne sépare pas la vie privée et la vie publique soumises l’une et l’autre à de multiples préceptes. Elle est totalitaire et méconnaît la laïcité, ignore la liberté et proclame l’inégalité. Elle est donc incompatible avec la République. Pour un musulman, l’islam est non seulement la seule religion vraie, mais elle doit devenir la religion de toute l’humanité. Avant ce terme, nul ne peut la quitter, et ni le croyant, ni l’infidèle, ni l’homme, ni la femme ne sont égaux entre eux. Ce rappel est blessant pour beaucoup de musulmans qui n’ont pas lu les textes davantage que ne le lisent les catholiques « à gros grains », mais il jette une lumière crue sur la réalité à laquelle nous sommes confrontés. C’est avec la même cohérence dérangeante qu’aujourd’hui l’essayiste, un rien provocateur, dit que les terroristes islamistes, donc d’authentiques musulmans, sont respectables parce qu’ayant des idées ils sont capables de mourir pour elles. Difficile d’admettre ce respect quand, sans idées politiques ni croyances religieuses, on a vu mourir un de ses proches sous les roues d’un camion un soir de feu d’artifices qu’on voulait montrer à ses enfants. Lorsque l’argument rationnel brave la sensibilité commune, il n’a aucune chance d’être entendu.
En fait, Zemmour a eu le tort de n’avoir pas témoigné de compassion pour les victimes parce que sa pensée est toute entière tournée vers les causes et non vers les conséquences. C’est logique, car c’est du côté des causes que se trouvent les solutions et non du côté des conséquences, des fleurs, des bougies et des discours éplorés dont nos dirigeants sont prodigues. Le respect de Zemmour pour les djihadistes est comparable à celui d’un officier qui va commander le peloton d’exécution d’un adversaire à qui on rend les honneurs avant de l’envoyer dans l’autre monde parce qu’il est vraiment trop dangereux dans celui-ci. Il veut souligner ce danger qu’on minimise en évoquant les troubles psychologiques à l’origine de la radicalisation, selon certains. On perçoit aussi ce qu’il y a d’implicite dans cette position. Il le révèle en soulignant que nous ne sommes pas, nous, capables de donner notre vie pour des idées. En fait dans sa vision de l’islam comme dans son respect pour les terroristes, Zemmour se veut surtout le contempteur de notre société inapte à percevoir avec lucidité l’ennemi qui le menace et toute aussi incapable de se battre contre lui avec le courage dont il fait preuve. Zemmour aime tellement peu les terroristes qu’il voudrait que nous soyons sans faiblesse à leur égard. Mais son raisonnement se brise alors sur deux obstacles élevés dans l’opinion formatée au « politiquement correct » par les médias : d’une part, tous les musulmans ne sont pas comme ça et d’autre part en respectant les terroristes, vous insultez les victimes. Le scénario du lynchage de la sorcière se poursuit donc : le penseur dérangeant doit s’excuser pour le dérangement. Il ne le fera pas parce qu’il a sa dignité. Des associations spécialisées dans l’inquisition contemporaine vont le traîner devant le tribunal pour apologie du terrorisme. Penser justement, mais un peu trop sèchement, fait de vous aujourd’hui un délinquant potentiel.
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