Le Comité norvégien vient de décerner le Prix Nobel de la Paix. Si on peut reconnaître une certaine valeur aux prix scientifiques et littéraire attribués par les institutions suédoises en charge des autres « Nobel », celui de la Paix ne mérite pas sa renommée. C’est indirectement le Parlement norvégien qui l’attribue de manière politique. C’est ainsi qu’il a été offert à Obama en cadeau de bienvenue, avant même qu’il ait fait quoi que ce soit pour en être digne. La droite, majoritaire en Norvège désormais, a fait un choix plus judicieux qui reflète néanmoins la bonne conscience idéologique occidentale. A voir la mine défaite des journalistes qui s’attendaient à la consécration de Mme Merkel et de sa politique favorable à l’immigration, on ne peut que saluer la décision.
Le Quartet du Dialogue National tunisien regroupant les représentants de salariés et d’entrepreneurs, la ligue des droits de l’homme et l’ordre des avocats est récompensé pour avoir joué un rôle déterminant dans l’avènement démocratique et consensuel du pouvoir actuel incarné par le parti Nida Tounès et le Président Beji Caïd Essebsi. Il est vrai que la « révolution de Jasmin » tunisienne qui a fait tomber Ben Ali est la seule à ne pas avoir conduit à la guerre civile ou à un retour au pouvoir autoritaire après une expérience islamiste. Ennahdha, le parti islamiste proche des Frères Musulmans, a certes occupé le pouvoir quelque temps comme son homologue égyptien, mais il l’a abandonné après des élections et non à la suite d’un coup d’Etat. Il participe au gouvernement modéré qui lui a succédé. Le Nobel salue donc le seul rescapé du Printemps arabe, souligne le rôle de la société civile dans ce sauvetage et veut donc voir dans cette exception la preuve qu’une société démocratique et pluraliste à l’occidentale est possible dans le monde arabo-musulman. Cet optimisme tente de passer outre les menaces qui pèsent sur la Tunisie. Entre la dictature militaire algérienne et le chaos libyen, ce pays dénué des ressources naturelles de ses voisins, doit affronter une situation économique et sociale que le terrorisme a aggravée en s’attaquant au tourisme. Cette reconnaissance « internationale » est donc un soutien moral appréciable. Dans un pays fragile, le patriotisme animé par la fierté nationale, est le seul rempart face à l’extrémisme religieux. La Tunisie fournit le plus gros contingent des djihadistes en Syrie avec 3000 combattants !
Il faut donc être prudent avant d’imaginer la possibilité d’une sorte de « démocratie musulmane » comme il y a une démocratie chrétienne. Les fondements religieux sont très différents, notamment en ce qui concerne la guerre et la violence, et les réalités politiques ne démentent pas cette différence. La Turquie, qui semblait emprunter cette voie, montre par sa répression de la minorité kurde et par son soutien aux islamistes syriens dans le but de renverser Assad que ses intentions sont d’une autre nature. A l’époque où la Turquie membre de l’Otan était l’alliée des démocraties occidentales contre la Russie soviétique, son régime politique importait peu. Aujourd’hui, le bon droit des démocraties qui veulent aider les Turcs et autres Saoudiens à renverser Assad est plus douteux. Les amitiés pétrolières de monarchies théocratiques, l’étonnante sélection entre les méchants djihadistes de Daesh et les bons d’Al-Nosra, la désinformation systématique sur l’intervention russe, ses cibles et ses risques brouillent l’image, déjà écornée, de l’Empire du Bien. L’affolement qui semble avoir saisi Washington depuis que l’offensive lancée par Poutine a souligné l’inaction occidentale, au mépris des souffrances endurées par la population, résonne aujourd’hui comme un aveu. Le Kremlin pourrait bien ne plus détenir le monopole du mensonge. Son mensonge pourrait même être moindre que celui des vertueuses démocraties. A ce jeu, celles-ci risquent de perdre leur légitimité morale. A Passau, Jean-Claude Juncker aurait déclaré que l’Europe ne devait plus se laisser dicter sa politique envers la Russie par les Etats-Unis… Le début de la sagesse ?
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