L’agonie de Kobané réveille des souvenirs. La résistance d’une poignée d’hommes contre un ennemi implacable, par ailleurs l’ennemi de la France, qui peut être secourue par un allié puissant possédant les moyens d’intervenir et qui ne le fait pas par calcul, au mépris de la vie et du courage des combattants ainsi sacrifiés, c’est du déjà-vu. La Turquie est notre « alliée » au sein de l’OTAN. Le prétendu « état islamique » est un ennemi implacable. L’armée turque pourrait intervenir et nettoyer les islamistes rapidement. Elle ne le fait pas parce qu’elle ne veut pas indirectement soutenir le régime de Damas et révèle ainsi son véritable objectif. Elle ne le fait pas parce qu’elle ne veut pas aider les Kurdes qu’elle traite en citoyens de seconde zone chez elle, et qui pourraient constituer une zone autonome en continuité avec le Kurdistan turc alors que de part et d’autre de la frontière, les autonomistes du PKK et ceux du PYD sont en bons termes. Elle ne le fait pas parce qu’il est assez clair désormais que la Turquie a favorisé les djihadistes, y compris ceux de l’« Etat islamique », en laissant passer les armes et les hommes, en leur permettant de s’entraîner et d’être soignés sur son sol, et en leur fournissant peut-être même un appui militaire discret.
En 1944, les patriotes polonais déclenchent l’insurrection de Varsovie. L’armée rouge est de l’autre côté de la Vistule. Elle ne bougera pas tant que les Allemands n’auront pas anéanti la révolte. Ce qui restait de l’armée polonaise et de ses officiers après son écrasement par les nazis et les soviétiques en 1939, après le massacre d’un grand nombre de ses cadres sur l’ordre de Staline à Katyn, pouvait soutenir avec les résistants patriotes le gouvernement légitime réfugié à Londres et non celui soutenu par les communistes à Lublin. Staline a laissé faire le travail par Hitler pour permettre aux Russes de dominer la Pologne pendant près d’un demi-siècle. L’impérialisme russe se recouvrait habilement de l’idéologie socialiste, si pleine d’un avenir radieux. De même aujourd’hui, l’islamisme dit « modéré » d’Erdogan voile assez bien la renaissance d’un impérialisme turc.
En 1954, des soldats français sont encerclés à Dien-Bien-Phu par les communistes du Viet-minh. Un Etat-Major imprudent mal informé par un service de renseignement défaillant s’était fait piéger. Le 13 Mars les communistes lancent l’assaut. Le 23, le Chef d’Etat-Major français, Paul Ely croit obtenir de son homologue américain la promesse d’une frappe massive sur les attaquants et leur artillerie. Cette intervention aurait été l’application de la politique d’endiguement du communisme et de la théorie des « dominos ». Mais le cher général Eisenhower, au sourire enjôleur, ne l’entendait pas ainsi. L’Amérique ne devait pas ternir sa mission divine de libératrice de l’humanité en soutenant une armée coloniale. Elle tentera cependant de se substituer à la France dans ce qu’il subsistera de l’Indochine après le départ de la France, et tandis que les français prisonniers subiront un calvaire. En somme, l’Amérique avec componction, avait joué le même scénario que l’Oncle Joe, et couvert l’impérialisme national sous le manteau de l’idéologie démocratique, humaniste et libérale. Certes, les Etats-unis sont une colonie émancipée, mais où ce sont les colonisateurs qui se sont libérés et non les colonisés, lesquels ont a peu près disparu… La politique actuelle d’Obama doit nous rappeler les ambiguïtés permanentes de la diplomatie américaine, son mélange de générosité affichée et d’égoïsme cynique pratiqué, dont leurs alliés ont souvent fait les frais. Elle doit nous rappeler les interventions militaires trop tardives, celles qui ont été menées maladroitement ou qui ont été stoppées pour des raisons de politique intérieure et au mépris des populations concernées, de la Corée à l’Irak.
Les Etats-Unis aimeraient présenter leur obsession anti-russe actuelle comme le combat du Bien dont le champion serait le gentil Barack contre le Mal du méchant Vladimir. Certes, ce dernier défend clairement les intérêts de la Russie et veut préserver ce qui lui reste d’influence sur ce qui était aussi un Empire. Mais il le fait sans masque idéologique. On ne saurait en dire autant du Président américain qui fait de la géopolitique d’intérêt national mais en se drapant dans les plis de la conscience pure de l’Amérique. Quant à l’ »allié » turc, il fait la même chose en nappant le nationalisme ottoman sous une couche d’islamisme « modéré ». Entre Poutine qui aide les prorusses en Ukraine, et Erdogan qui soutient les djihadistes en Syrie, c’est le second qui est plus dangereux car l’ami de nos ennemis est notre ennemi… à moins que les masques deviennent à ce point insupportables qu’ils soient obligés de tomber.
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