L’affaire Benalla commence à lasser. On le sent dans les médias dont les équipes prennent manifestement congés, la vacance physique s’ajoutant à leur habituelle vacance intellectuelle. On le sent aussi sur les réseaux sociaux dont les internautes, cuits au soleil caniculaire d’août, ne trouvent plus la force de se scandaliser pour les turpitudes du palais. De tout ce cirque, parions qu’il ne ressortira pas grand-chose.
Cependant, au-delà des éléments de langage idiots, des tombereaux de mensonges ou des approximations consternantes des uns et des autres que cette affaire aura révélés, l’observateur extérieur ne pourra s’empêcher de noter un élément saillant qui revient, dans cette affaire comme dans d’autres avant elle, et qui continue de ronger, lentement mais sûrement, toute la crédibilité de l’appareil républicain.
J’en veux pour preuve les intéressantes découvertes de la police lors des différentes perquisitions qui furent menées dans le cadre de l’affaire Benalla. On apprend ainsi que des armes de poing non déclarées ont été retrouvés dans une armoire des locaux de La République En Marche, ce qui ne peut que laisser un petit goût amer de tous les pratiquants sérieux de tir sportif qui ont à cœur de faire enregistrer leurs pistolets et de les ranger correctement au coffre comme la loi – qui s’applique normalement à tous, LREM comprise – le leur impose.
Plus intéressant encore, on découvre qu’en marge de cette panoplie d’armes à feu dont certains semblaient se servir avec une décontraction assez manifeste, la perquisition menée au domicile de Benalla n’a pas permis de remettre la main sur plusieurs autres armes à feu, normalement rangées dans un coffre fort.
Des armes non enregistrées qui apparaissent au grand jour, d’autres, enregistrées, dont on ne connaît pas la localisation ? Pour des individus travaillant dans la sécurité, au contact étroit avec les forces de l’ordre et normalement au fait des textes de loi relatifs à ces armes, tout ceci ressemble au mieux à de l’amateurisme assez inquiétant, au pire à des dissimulations parfaitement illégales.
Pourtant, rassurez-vous : tout ceci n’aboutira à rien du tout, puisqu’il n’y aura aucun élargissement des investigations à la disparition du coffre contenant des armes. Ce non-élargissement, logique sur le plan strictement judiciaire, n’en laissera pas moins une impression de belle légèreté voire de laxisme surtout si l’on s’en tient à la précédente affaire qui avait secoué la République et dont on nous disait qu’elle avait été remarquablement bien menée par une justice aussi rapide qu’efficace.
Difficile en effet de ne pas rapprocher la rapidité et la profondeur des investigations qui furent lancées dans le cadre de l’affaire Fillon avec la grande confusion et ces décisions fort clémentes concernant l’affaire Benalla, et ce alors même que, dans les deux cas, les agissements de Fillon comme de Benalla sont en pratique difficilement condamnables autrement que sur les plans moral ou politique, plans que la Justice d’un pays qui fonctionnerait normalement n’aurait aucune velléité d’aller explorer.
Las, comme je le remarquais quelques paragraphes ci-dessus, la multiplication d’affaires pour le moins louches, et les décisions de certains magistrats de poursuivre ou pas en fonction du sens du vent politique, laisse planer un doute de plus en plus visqueux sur la capacité du pays à fournir une Justice digne de ce nom. Outre la partialité de certains parquets, dont les juges auront bien du mal à cacher leurs amitiés avec un Syndicat de la Magistrature à l’ancrage gauchiste difficilement oubliable, la façon dont certaines affaires sont lancées ou, inversement, carrément enterrées ne permet plus le moindre optimisme sur l’institution judiciaire française.
Et s’il faut ajouter un exemple pour s’en convaincre, on n’aura même pas besoin de chercher loin ni de ressortir un énième angle de l’affaire Benalla puisque, pendant que cette dernière défraie encore et toujours la chronique mollassonne d’un été caniculaire, une autre affaire semble, elle, laisser la presse et surtout les parquets de marbre (pratique : l’affaire peut alors y glisser sans faire de bruit) : le service de presse du Secrétariat d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes a en effet été mis à contribution pour la promotion de la dernière œuvre littéraire de Marlène Schiappa, sa patronne, ce qui constitue un détournement de finalité de fichier et un détournement de fonds publics.
Qu’à cela ne tienne : moyennant un petit mea culpa ministériel et l’assurance par Édouard Philippe que cette bévue ne se reproduira plus, tout ceci sera prestement oublié.
Dès lors, on comprend mal pourquoi on a assisté à un tel déferlement médiatique puis l’ouverture d’enquêtes dans l’affaire Benalla alors qu’il aurait manifestement suffit que ce même premier ministre assure d’une reprise en main des pratiques et d’un peu de nettoyage ici ou là pour que tout rentre dans l’ordre, de la même façon qu’on aurait évité le psychodrame politique pendant la campagne électorale de 2017 si Fillon avait calmement reconnu « une erreur humaine » et annoncé un « réexamen » des procédures entourant le placement de sa femme, dix ans auparavant, comme assistante parlementaire. À moins bien sûr que seul le talent et le charisme diabolique d’Edouard Philippe permettent d’aboutir à ce résultat…
En tout cas, il semble que les choses soient fort complexes en République Française : un coup, ça méritera la diligence d’un parquet, un autre méritera un tribunal populaire virulent que les médias se feront fort de mettre en place, un autre enfin, rien du tout. L’arbitraire semble de mise, et le fait que les décisions de justice soient à la fois illisibles et de plus en plus souvent entachées de biais politiques grossiers provoque une méfiance systématique qui n’aboutit qu’à la ruine lente des institutions.
Et là où Macron devait se faire fort de redresser la barre, tout indique que lui, son gouvernement et sa coterie entretiennent ces dérives avec sinon de la gourmandise, au moins une regrettable obstination. Inquiétant.
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