En Mai 2017, en traversant solennellement l’esplanade du Louvre au son de « l’hymne » européen, Emmanuel Macron se voulait l’acteur incomparable de la relance européenne, de la renaissance française et de la restauration de la fonction présidentielle. Il est aujourd’hui le spectateur du match France-Belgique. Hier, la mise en scène à nouveau grandiloquente de Versailles n’a pas fonctionné. L’illusion s’est dissipée. L’humilité affirmée jurait avec le décor. L’aveu donnait à réfléchir… « Je ne réussis pas tout » suscitait la question : mais, après tout, qu’a-t-il réussi ? Le bilan est en effet bien maigre. Celui qui voyait l’avenir de la France dans une Europe de plus en plus fédérale construite par le « couple » franco-allemand se heurte à la réalité d’une Europe de plus en plus fragmentée et inquiète. Devant le Congrès représentant la nation, il a conclu en chef de parti annonçant dans les futures élections européennes, le choc entre les « nationalistes » et les « progressistes ». Cette opposition illogique est une tentative maladroite de simplifier le réel. Les « progressistes » s’opposent aux conservateurs, et ces derniers peuvent d’ailleurs à juste titre considérer que les « progressistes » sont des décadents qui s’ignorent. La Hongrie comme la Pologne progressent sur le plan économique, mais elles sont souverainistes, et non « nationalistes ». Jupiter-Narcisse nous avait habitué à un usage des mots plus précis. Son discours n’a d’ailleurs été qu’une suite de concepts creux ponctuée par les applaudissements d’une claque servile portée par la vague miraculeuse de l’année dernière : croissance partagée, inégalité de destins, Etat-providence du XXIe siècle, République contractuelle, ordre républicain…
Chacun de ces termes s’inscrit dans le plaidoyer d’un homme qui se sait en échec : la croissance bien modeste et inférieure à la moyenne européenne n’est pas équitablement répartie. Les inégalités se sont accrues. L’Etat remplit de moins en moins ses obligations. La pression fiscale a augmenté. La dépense publique ne diminue pas. Le chômage stagne. Le commerce extérieur qui est le meilleur baromètre des performances comparées entre les Etats creuse chaque jour son déficit. Les sondages laissent apparaître que les Français se sont trompés en élisant un homme qui les a trompés et se trompe lui-même. La surestimation de soi est à l’évidence le grand défaut du Président élu l’année dernière. Le matraquage fiscal des classes moyennes a cassé une confiance qui pouvait être portée par une reprise mondiale et européenne et en particulier par l’alignement de astres, taux-monnaie-énergie. Il est probable que la France ait une fois encore manqué le coche en raison de la vanité et de la présomption de ses dirigeants. En l’occurrence, le pluriel n’est pas de mise, et c’est encore plus grave. Il y a de l’Erdogan dans le Macron : non seulement, il veut au travers d’une réforme constitutionnelle augmenter encore le déséquilibre entre l’Exécutif et le Parlement déjà patent dans la Ve République, mais il veut désormais que le Président soit, de fait, le Premier Ministre, rendant des comptes devant les Parlementaires, mais sans pourtant être responsable devant eux, et condescendant même bientôt à leur répondre, comme si le gouvernement ne le faisait pas chaque semaine devant les Assemblées. Que le Président fasse un discours annuel sur l’état de la France était déjà une évolution présidentielle à l’américaine. Cette fois, on se demande à quoi servira encore le Premier Ministre. Le système américain est bardé de contre-pouvoirs, ne serait-ce que par le biais des élections de mi-mandat. En France, le quinquennat a conduit à l’instauration tous les cinq ans du pouvoir personnel d’un Chef de l’Etat qui pourra dissoudre l’Assemblée sans avoir besoin de le faire tandis que les députés seront condamnés à se soumettre dans l’espoir d’être réélus avec lui. Quand on se souvient de la précipitation de l’opération politico-médiatico-judiciaire qui a permis l’élection de Macron puis de ses courtisans, on ne peut que douter du maintien de la démocratie dans notre pays. Le gouvernement des juges qui se fait jour dans plusieurs décisions comme par hasard hostiles à l’opposition et la chasse aux prétendues « fausses nouvelles » qui s’annonce ne peuvent que renforcer cette inquiétude.
Dans son long et ennuyeux discours d’une heure et demie, M. Macron a évoqué pendant une heure les questions économiques et sociales, et seulement pendant une trentaine de minutes les sujets moins techniques qui sont davantage de son ressort. Il faut y voir un signe supplémentaire de l’inversion des rôles, d’autant plus inquiétante que si le technocrate qu’il est maîtrise le vocabulaire des premières, à défaut de bien les résoudre, il demeure pour les seconds un idéologue amateur de gauche. Son aveuglement sur la spécificité de l’islam, son verbiage sur la laïcité, ses silences sur l’immigration « légale » et sur la sécession urbaine qu’elle entraîne dans certaines grandes agglomérations, comme à Nantes récemment, montrent à quel point il n’était pas l’homme qu’il faut au moment opportun. Certains Français ont cru élire celui qui allait libérer notre économie de ses pesanteurs. Ils ont élu un pur produit du système, incapable de faire des réformes de structure profondes, et dont l’idéologie procède des poisons qui minent la France depuis cinquante ans !
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