Le concert d’éloges qu’a suscité le décès de Simone Veil recouvre bien des ambiguïtés.
D’abord le fait que, surtout de la part de la presse, c’est moins la personne que l’on célèbre que l’avènement du supposé droit à l’avortement. On fait ainsi de l’ancien ministre de la santé une icône de libéralisation des mœurs. Rien dans ses déclarations ne le laisse supposer. La loi Veil visait à encadrer et même réduire le nombre des avortements clandestins. La propagande féministe avait alors répandu le chiffre absurde d’un million par an – alors que la vérité était plus proche de 50 000, ce qui n’était déjà pas rien (1). Simone Veil avait-elle été dupe de cette propagande ? Probablement pas, mais tout laisse penser qu’elle voulait faire une loi d’encadrement et de contrôle plus que d’émancipation.
On ne l’a pas assez relevé : Simone Veil venait clairement de la droite. Elle était issue, comme Marie-France Garaud, de l’écurie de Jean Foyer, grand détecteur de talents et qui deviendrait un des adversaires les plus résolus de la loi de 1974. Il réussit néanmoins à y faire inscrire à l’article 1 que « La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. », le reste de la loi ne venant qu’à titre d’exception : « il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi.»
Simone Veil ne s’était pas engagée dans cette aventure sans crainte et tremblement. Elle devait dire plus tard que la loi n’aurait pas vu le jour si l’épiscopat avait manifesté haut et fort son opposition.
La grande défausse
Une loi qui n’aurait normalement pas dû s’appeler loi Veil. On n’a jamais relevé ce qu’il y avait d’abject dans le fait que trois personnalités de culture et, selon leurs déclarations, de foi catholique, trois hommes, Valery Giscard d’Estaing, président de la République, Jacques Chirac, premier ministre et Jean Lecanuet, garde des sceaux, soient allés chercher une jeune magistrate d’origine juive, rescapée des camps de la mort, pour lui faire porter le chapeau d’une loi dépénalisant (au moins en partie) l’avortement. Sur un sujet qui touchait les droits fondamentaux et donc en premier lieu le ministère de la justice, cette loi n’aurait-elle pas dû s’appeler loi Lecanuet ? Lecanuet icône de la démocratie chrétienne finissante, enterré dans un monastère ! Instrumentalisation et de la judéité et de la shoah à des fins politiciennes : personne n’a souligné à quel point il y avait là une forme d’antisémitisme sournois, en tous les cas de lâcheté. D’ailleurs le piège diabolique concocté par Giscard et Chirac a fonctionné : la bêtise crasse qui caractérise une certaine droite l’a conduite à tomber les yeux fermés dans le panneau pour se livrer à des amalgames douteux qui ont terriblement affaibli la cause des défenseurs de la vie.
L’intéressée était-elle obligée de tenir ce rôle ? C’est une question ouverte.
Le droit de l’avortement actuel n’a plus rien à voir avec la loi Veil
Enfin, et c’est le plus important, il serait temps de rappeler que la loi Veil de 1974 n’a à peu près rien à voir avec la législation de l’avortement de 2017.
Au fil des ans ont été supprimés : le principe du respect de la vie comme norme, la nécessité de l’état de détresse, l’entretien préalable avec une assistante sociale, le délai de réflexion . Le délai légal a été relevé à 12 semaines (ce qui est tout de même différent de pays, comme les États-Unis, où il n’y a pas de délai !). Ont été instaurés en parallèle le remboursent à 100 % de l’acte (et plus récemment de tous les examens préalables) (2) et le délit d’entrave à l’avortement. On n’est pas encore allé jusqu’à en faire un droit fondamental sans considération de délai, mais sous la pression de l’ONU et de l’UE, une motion dans ce sens a été votée récemment à l’Assemblée nationale. L’objection de conscience du personnel médical est menacée et affaiblie, les pharmaciens en étant désormais exclus. A l’instigation de Marisol Touraine, les hôpitaux sont obligés d’atteindre des quotas d’avortements et donc à y pousser les femmes hésitantes pour montrer qu’ils ne se dérobent pas à ce supposé « service public ». Le progrès du dépistage prénatal (et les actes de dépistage multipliés par la loi) ont fait de l’avortement, en France plus qu’ailleurs, un instrument quasi-généralisé d’eugénisme, ce dont on ne mesure sans doute pas encore toutes les conséquences[3]. La science a entretemps découvert le RU 486 qui semble rendre l’acte plus anodin et qui peut être délivré par les infirmières de lycée.
Nous ne comptons pas au nombre des dérives la suppression de l’autorisation parentale, prévue à l’origine pour les mineures, tant le rôle des parents est, en cette matière, le plus souvent négatif.
On est ainsi passé de la loi de 1974 pour laquelle l’avortement provoqué était une exception à une règle générale de protection de l’enfant à naître, assortie d’un dispositif à finalité dissuasive, à un régime juridique, en théorie de semi-liberté, mais en fait d’encouragement. La sociologie contemporaine, de plus en plus hostile l’enfant, fait que les institutions les plus diverses : entreprise, hôpital, lycée, services sociaux et souvent famille se liguent pour pousser à l’avortement des femmes qui, au fond d’elles-mêmes, voudraient garder leur enfant. Tenter de dissuader une femme d’avorter est puni par la loi, l’y pousser, en soi, ne l’est pas (4). On estime à 60 % le nombre d’avortements sous pression de l’environnement et peu contestent qu’une femme entourée de gens, employeur compris, qui accueillent favorablement l’enfant, n’y recourt guère. Qui parle de liberté (5) ?
La loi de 1974 prévoyait que des études en vue de connaitre mieux les motivations de l’acte abortif, dans un but de prévention : cette disposition est passée à la trappe lors de la reconduction de la loi en 1978. Le sujet est devenu au contraire tabou. De même l’entretien préalable n’a la plupart du temps été qu’une formalité bien éloignée de l’esprit de la loi.
Ces évolutions ont été la plupart du temps votées à l’initiative du parti socialiste, la droite ne les remettant jamais en question « pour ne pas rouvrir le débat ». Elles semblent conforter l’argument des pro-vie selon lesquels la loi Veil, sous une apparence restrictive, a ouvert la boîte de Pandore. De même, il n’est pas fortuit que le passage sans retour de la fécondité française au-dessous du seuil de renouvellement des générations date de 1975.
Il reste que Simone Veil a, au moins en privé, déploré la dénaturation de la loi qui porte son nom. Il aurait peut-être mieux valu qu’elle le dise publiquement, comme elle a participé brièvement en 2013 (6) à la manifestation contre la loi Taubira.
Mais on trouve dans ses déclarations de 1974 des prises de position non équivoques : « Il n’y a aucun droit à l’avortement »… « Personne n’a jamais contesté, et le ministre de la santé moins que quiconque, que l’avortement soit un échec »… « C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame », ou encore « si [le projet de loi] admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler, et autant que possible en dissuader la femme ».
« Dissuader la femme ! » Avec de tels propos, Simone Veil serait aujourd’hui allée en prison.
Roland Hureaux (blog)
Notes :
- On compte aujourd’hui environ 220 000 avortements légaux par an. Ce chiffre, un des plus élevés d’Europe, ne baisse pas malgré des dizaines d’années de propagande pour la contraception. Il concerne principalement les populations autochtones.
- Alors que les soins dentaires ou les lunettes ne sont remboursés qu’à hauteur de 20%.
- Combien de grands artistes ou génies scientifiques n’auraient pas survécu au dépistage prénatal , sûrement pas Toulouse-Lautrec ?
- Il y a des condamnations de ces pressions mais, à notre connaissance, seulement en cas de violences physiques , au titre des « violences faites aux femmes ».
- Ces pressions sont d’autant plus déplorables que la plupart des femmes en gardent des traces psychologiques profondes.
- Sa santé déjà compromise ne lui permettait pas de faire plus de quelques centaines de mètres, ce qui est déjà beaucoup.
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