En période électorale, et nous sommes toujours un peu en période électorale dans notre beau pays qui compte près de 600 000 élus, s’écharpent allègrement, en fin de repas ou dès l’apéritif, les partisans du moindre mal : « C’est le moins pire ! », les défenseurs intransigeants des principes : « À la France, il faut un roi ! » et les adeptes de la politique du chaos : « Ça les réveillera ! » Tant il est évident qu’aucun programme politique n’est, aujourd’hui, de nature à susciter l’enthousiasme des catholiques de France profondément attachés à la loi naturelle et à la vocation de leur patrie. N’y a-t-il pas, surtout, au-delà de la chaleur communicative des banquets bien arrosés, confusion des perspectives et des genres ?
Qu’est-ce que la politique ?
Le père Calmel (1914-1975), qui fut une des gloires de l’ordre dominicain au XXe siècle, écrit dans un ouvrage qui n’a pas pris une ride, Sur nos routes d’exil : les Béatitudes, des propos d’une singulière sagesse : « Celui qui veut, dans la société civile, non seulement la justice, mais toute la justice et tout de suite, celui-là n’a pas le sens politique. Il ne comprend pas que la vie de la cité se développe dans le temps et qu’une certaine durée est indispensable pour corriger et améliorer ; surtout il ne comprend pas l’inévitable intrication de bien et de mal à laquelle, de fait, la cité humaine se trouve condamnée, depuis le bannissement définitif du Paradis de justice et d’allégresse. Vouloir détruire immédiatement toute injustice c’est déchaîner des injustices pires. »
Encore faut-il avoir, en ces temps de grande confusion intellectuelle, une idée claire de ce qu’est la justice. L’Église, mère et maîtresse de vérité, est la boussole qui indique le nord, elle dit la vérité sur l’homme, la sublimité de son destin et le tragique de sa situation. Cette vérité ne souffre ni édulcoration ni compromis : Est, est. Non, non. « Que votre oui soit oui. Que votre non soit non » Mat V, 37) La quintessence de cet enseignement se trouve, en particulier dans les encycliques pontificales et les exhortations apostoliques. Ainsi, dans l’exhortation apostolique Sacramentum Caritatis du 22 février 2007, le regretté pape Benoît XVI met l’accent sur trois points dits non négociables à l’intention des laïcs engagés en politique : la protection de la vie humaine innocente de la conception à la mort naturelle, le mariage comme union indissoluble et exclusive d’un homme et d’une femme , la liberté d’éducation des enfants par leurs parents. Cet enseignement ne peut pas changer. L’Église n’en est que la dépositaire pour le compte de son divin Époux, le Christ.
Refuser la prétendue morale kantienne
Malheureusement pour nous nos sociétés civiles laïcisées, sécularisées et déchristianisées sont de moins en moins capables d’accepter un discours qui leur apparaît de plus en plus inaudible. Que faire alors ? « Mue par la certitude que la vérité morale ne peut rester sans écho dans l’intime des consciences, elle (l’Église) encourage les hommes politiques, à commencer par ceux qui sont chrétiens, à ne pas se résigner et à faire les choix qui, compte tenu des possibilités concrètes, conduisent à rétablir un ordre juste dans l’affirmation et la promotion de la valeur de la vie » (Evangelium Vitæ § 90).
Prendre en compte les possibilités concrètes est donc une exigence pour l’homme politique qui risque cependant, à tout instant, plus que d’autres, de succomber à la tentation dénoncée par saint Augustin (354-430) : « À force de tout voir, on finit par tout supporter, à force de tout supporter, on finit par tout tolérer, à force de tout tolérer, on finit par tout accepter, à force de tout accepter on finit par tout approuver. »
Max Weber (1864-1920), dans Le Savant et le politique, a théorisé ces difficultés opposant éthique de conviction et éthique de responsabilité dans une synthèse dite conséquentialiste. Chacun est-il réduit à devoir choisir entre une éthique qui le justifie, soit en s’appuyant sur ses convictions pour le dégager de toute responsabilité, soit en le libérant de la culpabilité d’avoir sacrifié ses convictions ? La vérité est que le Bien à promouvoir n’est pas un impératif catégorique kantien, il est une réalité concrète dont chacun devra rendre compte de l’avoir fait ou non.
Encore faut-il posséder une vision claire de ce qu’est le Bien. « Il n’y a donc plus qu’à reprendre le long et lent travail en profondeur de formation des élites. Enseigner à ces jeunes gens et jeunes filles, et, peut-être aussi à leurs aînés, ce que sont : l’Histoire et le génie de la France » écrivait, cet été, Jacques Trémolet de Villers dans Présent.
On ne saurait mieux dire !
> Jean-Pierre Maugendre préside Renaissance catholique (site). Cette tribune a été initialement publiée dans la revue de l’association (n°135).
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