Tribune libre de Christian Vanneste*
C’est peu dire que l’annonce de la renonciation de Benoît XVI à son pontificat m’a touché. Je trouve dans cette décision insolite une parfaite cohérence avec la personnalité extraordinaire du Pape. Comment un homme d’une intelligence et d’une culture si peu communes avait-il fait pour rester si simple, si humble ? Comment un esprit aussi vaste pouvait-il faire preuve d’une pareille écoute à l’égard de tous ? Aujourd’hui, c’est aussi avec la même humilité qu’il avoue ne plus avoir la force de remplir sa mission, ne pas vouloir être un champion de la foi qui laisserait peut-être une grande image dans l’Histoire, mais rendrait un mauvais service à l’Église. Il ne pouvait plus clairement indiquer que l’important était ce qu’il faisait au nom des autres et pour les autres et non qui il était, le successeur de Saint Pierre, le Serviteur de Dieu, mais rien de plus.
Or, cet homme aura marqué l’Église catholique comme peu avant lui, et cela même avant son élection. Simplement, son travail a porté davantage sur les racines que sur le feuillage ou la décoration de l’arbre. C’est pourquoi beaucoup de commentaires provenant des communicants de notre pays superficiel et décadent l’ont complètement manqué. Oui, il y a moins de monde dans les églises, le dimanche, en France, mais la foule était immense lorsque Benoît XVI a célébré la messe sur l’esplanade des Invalides, en septembre 2008. La veille, j’étais présent à l’Élysée lorsque le Saint-Père avait répondu à Nicolas Sarkozy, en approuvant la laïcité positive, mais surtout en confiant son inquiétude pour notre jeunesse privée de repères dans une société où s’effacent les solidarités familiales. Car ce Pape âgé et réputé conservateur alliait deux qualités complémentaires : la première lui permettait de resituer la doctrine catholique dans ses fondements, si riches, si divers, mais d’une solidité à l’épreuve du temps, et notamment de ce temps sans épaisseur qui est le nôtre. La lecture des Pères de l’Église est de ce point de vue un rare bonheur. Mais la seconde le faisait être d’une lucidité saisissante à l’égard du monde actuel. En témoigne son discours en l’église Saint-Joseph de New York en avril 2008 : « La mondialisation a placé l’Humanité entre deux extrémités : d’un côté le sens croissant de l’interrelation et de l’interdépendance entre les peuples… D’autre part, …les changements font apparaître des signes évidents de fragmentation et de repli dans l’individualisme ». C’est cette prise de conscience des chances et des risques de l’évolution historique qui l’avait amené à cette philosophie de l’écologie humaine, cette synthése si nécesssaire pour redresser les pensées folles de la mode : oui, le progrès doit respecter la nature, mais cela vaut aussi et surtout pour la nature de l’homme, qui doit d’abord se respecter lui-même, de la conception jusqu’à la mort.
Benoît XVI a aussi réussi une autre synthèse : montrer à la fois l’ouverture et la spécificité du catholicisme. En réconciliant tous les catholiques, en s’ouvrant aux autres chrétiens, les orthodoxes, notamment, en dialoguant avec les juifs et les musulmans, le chef de l’Église catholique a montré dans les faits la force de l’unité de la famille humaine, mais l’amour ne peut aller sans la vérité, et la foi ne peut accepter l’indifférence et le relativisme. La religion catholique s’appuie sur les deux piliers qui sont la foi et la raison, deux chemins complémentaires vers la vérité. De ce point de vue, toutes les religions ne se valent évidemment pas. Elles n’ont pas toutes, par exemple, le même rapport à la violence. C’est ce que Benoît XVI avait rappelé à Ratisbonne en citant un empereur byzantin, mais pour en arriver à dire : “la diffusion de la foi par la violence est contraire à la raison. » Certains y ont vu une insupportable attaque contre l’islam. Non, c’était, dit avec beaucoup de délicatesse, puisqu’il soulignait l’expression « peu amène » du Byzantin, une vérité (Le Christ et Mahomet n’entretiennent pas le même rapport à la violence) et un message d’amour : la violence n’est pas raisonnable et vous, musulmans, qui avez une autre foi, êtes aussi raisonnables. Ne soyons donc pas violents, ni les uns, ni les autres. N’insistons pas sur les commentaires incultes qui ont accueilli cette réflexion. Ils émanaient d’un pays où la culture de la foi s’efface aussi vite que malheureusement l’importance de ce pays dans l’Histoire du monde. Le Souverain Pontife parlait non à la France médiatico-mondaine, mais au monde où les catholiques, de plus en plus nombreux, sont plus d’un milliard, et, pour beaucoup d’entre eux, souffrent aujourd’hui de la violence. Comme eux, je vais regretter ce Pape de l’amour dans la vérité, mais aussi placer mon espérance dans celui qui sera appelé à lui succéder. Benoît XVI respirait l’intelligence et la bonté. Son successeur aura besoin de volonté et de courage pour faire entendre son message.
*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.
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