Un an s’est écoulé depuis les tragiques attentats qui secouèrent la France pendant le mois de janvier 2015. Ce dimanche, les commémorations, hommages, discours et déclarations se sont donc enchaînées sur un rythme soutenu. Certains diront « il fallait au moins ça ». D’autres, lucides, remarqueront que le « au moins », c’est déjà beaucoup. Voire trop.
Avant les commémorations, une année écoulée est aussi l’occasion de faire un petit bilan. On pourrait jouer la partition politique, elle ne serait pas tendre. La petite musique de la froide réalité suffira cependant d’autant qu’elle n’est guère plus affectueuse avec les dirigeants.
En une année écoulée, en effet, que constate-t-on ? Le gouvernement Valls, le président Hollande ont-ils pris la mesure des risques qui règnent en France ? Ont-ils sérieusement repensé les stratégies militaires, policières et judiciaires des institutions républicaines pour les remettre à la hauteur des enjeux qu’on pressentait déjà avant le 7 janvier 2015, et que ces événements ont concrétisés ?
Eh bien non. Les efforts de renseignement, d’infiltration, de meilleure gestion des dossiers judiciaires, des enquêtes et des affaires en cours, le traitement des écoutes et la surveillance des réseaux et autres cellules plus ou moins actives sur le territoire français n’a pas bougé d’un iota. La réalité, cruelle, s’est d’ailleurs empressée de montrer par l’exemple que les agitations fébriles, les mains tremblantes, les petits coups de menton et les discours ampoulés du président et de sa misérable clique n’avaient absolument servis à rien : le 13 novembre, la désorganisation et la faiblesse des outils de renseignements républicains éclataient au grand jour, montrant que les neuf mois précédents n’avaient abouti à rien de concret.
Depuis cet abominable 13 novembre, les mêmes clowns se sont encore plus agités. Vigipirate était au maximum ? On fait péter l’état d’urgence, avec force moulinets, agitations fébriles, mains tremblantes, petits coups de menton et discours ampoulés, en Congrès (« il fallait au moins ça, mon bon monsieur »). En quelques semaines, des milliers de perquisitions se succèdent, qui se soldent par un nombre assez ridicule d’armes saisies. Quant aux « réseaux terroristes », on peine à voir les résultats concrets. En terme de libertés civiles, en revanche, on peut déjà établir une longue liste de dérapages et d’abus évidents.
Mais bon, soit, un an s’est écoulé. Il faut marquer le coup. Il faut se montrer, la mine grave et l’œil éventuellement embué.
Alors on commémore, avec componction, emphase et démonstration de moyens. On commémore avec des bougies, des slogans, des déclarations. On commémore avec du chanteur, de la décoration officielle et des discours. Les coups de menton et les mains tremblantes seront pour plus tard.
On commémore en découvrant une plaque officielle. Passons rapidement sur la faute d’orthographe d’un des noms (Wolinsky au lieu de Wolinski). L’approximation est quasiment devenue une marque de fabrique de la République française depuis au moins deux quinquennats, et cette fois-ci n’échappe donc pas à la règle. La médiocrité des officiels se mélange à celle de toute la chaîne d’opérateurs qui auront travaillé à ce résultat dans une farandole de pignouferies consternantes. Si l’instant n’était pas triste, s’il ne s’agissait pas d’un deuil, ce serait presque drôle, avec un petit côté baroque dans le grotesque.
On commémore avec force symboles.
L’année passée, l’émotion encore vive, on avait fait sonner les cloches de Notre-Dame de Paris. On aura la pudeur d’imaginer qu’elles s’adressaient d’abord et surtout aux victimes « collatérales » de Charlie, à ces policiers tués en service, plus qu’à celles du magazine satirique, dont les auteurs assassinés étaient tout de même des athées revendiqués, voire des anticléricaux assumés. Faire pour eux assaut de ce symbolisme religieux ressemble un peu à une maladresse coupable, voire à du cynisme.
Cette année, on a voulu faire plus fort… Ou plus maladroit, c’est selon : on distribue à présent de la légion d’honneur, à titre posthume, comme d’autres des hochets à Noël. Là encore, on préférera se focaliser sur celles qui sont données à certaines des victimes, mortes pendant leur devoir, plutôt que sur celles données aux auteurs du journal lui-même, qui auraient vomi tout leur saoul devant une telle idée. Quant à la présence de Johnny Hallyday, elle est, elle aussi, à placer dans le registre des curiosités très maladroites, tant Charlie Hebdo n’avait cessé de brocarder le chanteur. Charb était connu pour détester Johnny. On admettra sans mal qu’au moins, ce dernier, plus que fair-play, ne lui en a pas tenu rigueur.
Au-dessus (au dessous ?) de tout ça flocule lentement les petits morceaux de bouillie républicaine prédigérée que le président et sa clique nous recrachent.
Pour ces bouts de président en perdition au milieu d’un événement qu’on sent, comme parfois ses pantalons, beaucoup trop grand pour lui, les médias en font des tonnes. Toutes les chaînes sont de la partie, tous les journaux, du reportage en veux-tu en voilà, de l’intervention en direct et des incidents techniques parfois commodes (Sur BFMTV, on ne saura jamais pourquoi certains proches de victimes ont refusé de se rendre à ces hommages lacrymogènes des autorités, par exemple).
Dans toutes les têtes (politiciennes, journalistiques), il fallait « recréer l’esprit du 11 janvier », il fallait attirer du Parisien par milliers, par centaines de milliers voire par millions comme ce 11 janvier 2015 où la place de la République était noire de monde et où Hollande s’était senti pousser une popularité.
Las. Les Parisiens ne sont pas venus. Ils ne sont pas du matin, que voulez-vous. Ils avaient poney. Ou piscine. Ou stage d’acro-branche. Allez savoir. L’esprit Charlie ne vend plus et la popularité de Hollande est en berne. Encore.
De ce constat, la presse mainstream ne tirera aucun enseignement. Personne pour oser noter toutes les incohérences, les maladresses de ces commémorations. Personne ne semble vouloir expliquer qu’après les terribles attentats du 13 novembre, peut-être ces commémorations auraient gagné à la sobriété, tant politique que médiatique. Personne pour oser dire que tout ceci sent, encore une fois, la récupération politique à plein nez : les morts qui étaient déjà régulièrement récupérés pour pousser l’un ou l’autre agenda politique, sont maintenant devenus un prétexte permanent pour les politiciens de montrer à quel point ils sont concernés, impliqués, au cœur de l’émotion.
Parce qu’en définitive, le problème est là : de même que seule l’émotion semblait gouverner le pays les jours qui suivirent le 7 janvier, de même que seule l’émotion semblait dicter les prises de décisions hâtives de Hollande après le 13 novembre, tout indique que ces commémorations ne répondent absolument pas à un désir de commémorer, de tenter de faire son deuil, mais de placer, une fois encore, l’émotion au cœur de l’action présidentielle pour des buts tout à fait terre-à-terre de popularité et de manipulation.
Seulement voilà, la politique d’un pays ne peut pas se décider autour de cercueils ou sur un coup de tête. Malheureusement, depuis un an, ce n’est plus que ça.
Ce pays est foutu.
> H16 anime un blog.
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