Plus on marche, moins on avance ?

L’immense manifestation qui s’est déroulée à Paris aujourd’hui est polymorphe. Un commentaire voulait y voir une marche pour l’Histoire regardée par le monde entier. C’est hélas le propre des démocraties modernes sous la pression haletante des médias de ne pouvoir accéder au long terme et de ne l’évoquer que de manière déclamatoire pour se complaire aux vagues émotionnelles de l’opinion. « La paix pour notre temps » disait Chamberlain au lendemain de Münich et le Roi George n’hésitait pas à évoquer une « ère d’amitié et de prospérité ». Un an plus tard, c’était la guerre la plus meurtrière de tous les temps. C’est pourquoi, il faut se méfier de la projection des émotions du présent vécues par les foules sur un futur qui dépendra de la clairvoyance et de la volonté d’une poignée d’hommes. Churchill n’était pas acclamé comme Chamberlain, mais dans son isolement, il avait raison.

Le grand rassemblement de Paris a d’abord eu une dimension et un retentissement exceptionnels, planétaires. Un Français doit se réjouir que la France puisse bénéficier d’un rayonnement tel qu’une tragédie qui la touche en fasse pour quelques heures la « capitale du monde » selon les mots de François Hollande. La réunion improbable d’un grand nombre de Chefs d’Etats ou de gouvernements étrangers, et des plus importants d’Europe notamment, a montré que la France était encore un grand pays. Toutefois, la politique consiste à agir. Ce gigantesque défilé qui a uni le gotha politique, un grand nombre de politiciens de presque tous les horizons, la masse des anonymes qui voulaient témoigner, et bien sûr les proches des victimes, était-il une action ? Une action symbolique, sans aucun doute. Ni les symboles, ni les discours ne sont négligeables. Encore faut-il mesurer leur capacité d’agir sur le réel, de changer les choses.

Lorsque des centaines de milliers de personnes, que leurs opinions séparent ou opposent, se retrouvent pour manifester ensemble, un effet important en découle. Comme le pensait Durkheim, la solidarité sociale a deux aspects, celle qui vient de la complémentarité, de la division du travail, et donc de différences, mais aussi celle qui résulte de croyances communes et donc de l’identité. La réaction passionnelle face au crime était, selon lui, un des vecteurs du retour de l’identité, de la communion dans une société morcelée. C’est exactement ce que nous avons vécu. Si beaucoup de politiciens n’étaient là que pour être vus, la plupart des participants ont vécu un grand moment de restauration de la communauté nationale, en rendant hommage aux victimes et en dénonçant les assassins. C’est donc une faute lourde que d’en avoir exclu le Front National qui souhaitait y participer. La présence, non loin l’un de l’autre, de Benyamin Netanyahou et de Mahmoud Abbas devrait couvrir de honte certains de nos élus et leurs médiocres arrière-pensées.

C’était aussi Paris-sur-scène avec un spectacle parfaitement maîtrisé. Mais là encore, le spectacle n’est pas la réalité. Lorsque le rideau tombe, chacun quitte le théâtre pour retourner à la vraie vie. Seuls les auteurs, les comédiens et le metteur en scène jouiront ensuite d’un succès, dans le monde réel. On peut penser que les organisateurs du défilé, essentiellement nos responsables politiques, tireront un bénéfice de la réussite d’aujourd’hui. Est-ce légitime ? Quelques islamistes fanatiques issus d’une immigration qui n’est plus assimilée et inspirés par un de ces foyers de djihadisme du Moyen-Orient que nos gouvernements ont laissés se développer quand ils ne les ont pas suscités ont commis des assassinats. Ils étaient équipés d’armes de guerre. Ils étaient connus de la police et avaient déjà eu maille à partir avec la Justice. Les deux frères Kouachi et Coulibaly avaient notamment profité de la mise en liberté « surveillée »d’Ahmed Beghal, avant la fin de sa condamnation, pour le rencontrer. Coulibaly condamné à sept reprises et une dernière fois en 2013 était libre et sans surveillance particulière. La cible choisie, Charlie Hebdo, était très prévisible. Si les assassins sont bien les coupables, la politique menée par ceux qui réclament l’union derrière eux est lourdement responsable de la situation qui a rendu leur crime possible.

L’ampleur de la réaction au massacre de Charlie Hebdo est due d’abord au fait que les victimes étaient des auteurs connus du grand public. Beaucoup de ceux qui les admirent se sont sentis personnellement atteints. Quant à ceux, qui comme moi, n’avaient de goût ni pour leur style, ni pour la plupart de leurs idées, ils veulent, avant tout, défendre la liberté d’expression dont ces dessinateurs et ces journalistes étaient des champions provocateurs, c’est-à-dire courageux. La manifestation d’aujourd’hui n’était nullement une adhésion au gauchisme du journal visé. C’était la défense d’un pilier de notre civilisation, que par ailleurs Charlie Hebdo n’a pas ménagée. La focalisation sur le titre, le « je suis Charlie », ne doivent pas faire oublier qu’à travers les policiers tués, à travers nos compatriotes juifs, l’attaque menée visait avant tout notre pays et notre civilisation, et non la ligne éditoriale d’un périodique qui n’avait pas hésité à demander dans le passé l’interdiction d’un parti politique. La liberté de penser ne doit pas être sélective à l’inverse du terrorisme intellectuel si souvent présent à gauche, et pas seulement, dans notre pays.

Certains ont comparé les foules d’aujourd’hui à celles de la libération. Une victoire contre un ennemi puissant et implacable n’a rien à voir avec le combat actuel contre l’islamisme radical. A présent, c’est surtout contre notre faiblesse que nous devons nous battre, celle qui consiste à accepter que des « jeunes »expriment leur soutien à des actes barbares et stupides, celle qui tolère la présence des pyromanes, le Qatar et la Turquie, lorsqu’on rend hommage aux victimes de l’incendie et aux pompiers. Si la manifestation parisienne n’est pas le prélude à un changement radical de notre politique en matière d’immigration et de contrôle des frontières, si elle n’entraîne pas une révision de notre action à l’étranger, en Syrie notamment, si elle n’induit pas une révolution en matière de justice pénale, elle n’aura été qu’une action symbolique, c’est-à-dire une catharsis, une communication libératrice, ou pire, récupératrice.

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26 Comments

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  • Charles , 12 janvier 2015 @ 23 h 19 min

    Pascal:
    Je ne comprend pas votre position:

    Tasin et Cassen sont en couple et sont tous deux ensemble
    a Dresde en ce moment même.
    Ci dessous lien vers le site RL et vers le site de Christine Tasin.

    Il est vrai qu’il y a encore un PB à résoudre chez eux
    sur le sujet des faux mariages Taubira-GPA-PMA,
    mais cela finira par se résoudre, à mon avis.

    La résistance à l’islamisation ne pourra pas se faire
    sans l’implication active des catholiques de conviction
    qui sont au centre de l’histoire de France.
    Il faudra donc intégrer le fondement du Christianisme
    qui est constitué par le respect de l’enfant.
    Bien sur les évêques pour la plus part ne seront pas concernés
    du simple fait de leur trahison “oumaniste/ripoublikaine”.

    http://ripostelaique.com/pegida-pierre-cassen-et-christine-tasin-attendus-a-dusseldorf/

    http://christinetasin.over-blog.fr/

  • Pascal , 12 janvier 2015 @ 23 h 59 min

    Je ne répondrai pas sur les questions de vie privée, mais il y a visiblement des épisodes qui vous ont échappé. Disons par analogie que l’engagement de RL et de Pierre Cassen contre la loi Taubira a provoqué une longue séquence de Lysistrata.

    Christine Tasin ne fait plus partie de la rédaction de RL pour les raisons que vous ai exposé plus haut, le rendez-vous manqué avec l’Histoire.

    Cela n’empêche pas la collaboration de CT avec RL sur la question de l’islam.

    En revanche l’engagement de Pierre Cassen et de Riposte laïque contre la loi Taubira est sans faille depuis le départ de Christine Tasin.

    Tout cela n’empêche pas Christine Tasin qui est loin d’avoir fait amende honorable de faire une retape insincère et indigne auprès des catholiques.

  • pas dupe , 13 janvier 2015 @ 0 h 12 min

    @Charles,
    Avez-vous dimanche entendu le rabbin de Paris dire que les juifs étaient en France avant Clovis !!!

  • brandenburg , 13 janvier 2015 @ 7 h 31 min

    C’est vrai,désolé!

  • brandenburg , 13 janvier 2015 @ 7 h 32 min

    Pardon,j’aurais du écrire la Gaulle!

  • brandenburg , 13 janvier 2015 @ 7 h 38 min

    Cet article est aussi confus que cette foule où le meilleur cotoie le pire et le rien!Lire:Gustave Lebon:”La psychologie des foules”-vers 1900:il y dit tout sur cette manifestation qui peut tourner dans n’importe quel sens et c’est imprévisible:il faut donc suspendre son jugement,attendre et voir!

  • Charles , 13 janvier 2015 @ 8 h 43 min

    @pas dupe: Non ,je ne l’ai pas entendu.

    J’aurai tendance à lui répondre que en France
    il y a 3 communautés juives principales,
    plus des intermédiaires (c’est compliqué):

    Donc pour les 3, il y en 2 bonnes
    et 1 douteuse/indifférente à notre histoire.

    Dans les 2 bonnes,nous avons:
    (1) les juifs primo-convertis au Christ
    et (2) les juifs “fondus” et post-convertis.

    Les juifs fondus sont liés à notre histoire et entre autre à la révocation de l’édit de Nantes (1685) ou une part très importante des juifs de France se sont “fondus” par mariage avec les indigènes.
    L’impact générationnel étant bien plus important que vous ne pouvez l’imaginer.
    Ils sont une singularité chez les Chrétiens.
    Ils sont très nombreux en France. Ils ne sont plus vraiment juifs mais le sont quand même un peu. Ce sont des “métis” atypiques.

    Les juifs primo-convertis au Christ furent les premiers missionnaires qui se rendirent en Gaule dés l’an 33 ( après la résurrection) pour passer la bonne nouvelle aux “indiens ” locaux qui grimpaient aux arbres pour cueillir du gui ou autre.
    Ce sont eux qui ont transmis l’écriture et la lecture en même temps que le message qui devait être transmis par écrit pour ne pas être déformé au fil du temps.

    En revanche, les juifs non convertis n’ont jamais cherché à transmettre quoique ce soit aux indiens dans les arbres. Ni un message religieux,ni la technique de l’écriture. Ceci quelque soit l’époque, tant en l’an 33 que en l’an 486 que en l’an 1.000 ou ensuite.

    Idem pour les Grecs (700 avant JC) qui avaient un total mépris pour les indiens sauvages de cette époque.

    Le grand Z fait partie des groupes intermédiaires , car il s’est laissé séduire par
    la “magie” Française ,liée à sa douceur de vivre, transcrite dans notre patrimoine littéraire qui est UNIQUE au monde.
    Il est plus “chrétien” que la plus part
    d’entre nous ici sur NDF….

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