Batailles de chiffres et de discours idéologiques autour du travail dominical, à grands coups de petites phrases, de rapports ou de sondages contradictoires. Entre coups bas en verbes hauts, les débats politiques sont manifestement loin d’être à la hauteur des enjeux. Il n’est pas seulement question d’économie, de croissance ou d’emplois, mais aussi d’une certaine conception de la liberté.
Le travail du dimanche est devenue le nouveau cheval de bataille d’idéologues en mal de combat électoraliste. Depuis que la gauche est devenue libérale, il faut bien se trouver de nouveaux ennemis, d’un bout à l’autre de l’échiquier politique. Devenues le dernier symbole à la mode de « l’exploitation par le grand capital », les demandes d’ouverture du dimanche se heurtent à une farouche résistance politique, notamment de la part de ceux qui considèrent que le progrès passe uniquement par l’égalité. Vouant aux gémonies les progrès pour les libertés que pourraient apporter la remise à plat d’une législation complexe et datée, ils en oublient d’ailleurs qu’elle est aussi injuste qu’inégalitaire. Et il est pour le moins piquant de voir de nouveaux Robespierre se draper en défenseurs de la famille et d’une sacralisation du dimanche chômé. Mais le projet de loi en préparation ne corrige pas réellement le tir, même s’il va a priori dans le bon sens. Mesurettes pour les uns, esclavagisme pour les autres, le projet se heurte à l’écueil habituel : à ne vouloir froisser personne, on mécontente tout le monde.
Tirs fratricides
La Mairie de Paris, la première, y va de ses petits tacles au gouvernement. Sur fond d’une argumentation parcellaire (1) (peu de données chiffrées à l’exception de résultats de sondages de provenance inconnue), l’ambitieuse maire de Paris souhaite surtout faire entendre sa voix dans le débat, en réclamant plus de pouvoir de décision pour sa chapelle. Alors que tout le monde ou presque est d’accord sur les mesures à prendre (extension des PUCE, du nombre de dimanche ouvrés, ouverture dominicale pour les gares…), la contestation porte surtout sur le détenteur futur de l’autorité sur les ouvertures : qui décidera, du maire ou du préfet ? Une querelle de clochers, qui passe surtout à côté des vrais enjeux. Même dans son propre camp, les avis sont plus que partagés : « Ce rapport n’est pas au niveau du débat. Moi je veux bien qu’on ait quelques mesurettes, mais ce n’est pas le sujet », estime (2) ainsi Christophe Caresche, députe socialiste de Paris.
Si l’ouverture dominicale dans les gares est envisagée, elles ne concerneraient par contre a priori que la gare du Nord, seule « gare internationale » et éventuellement la gare de l’Est (qui accueille les trains de la Deutsche Bahn). Question de sécurité dans les gares, de vie économique dans les quartiers alentour, de praticité pour les voyageurs d’où qu’ils viennent, les avant-projets semblent surtout définir un nouveau régime d’exception et d’autres cas particuliers se superposant encore à l’amoncellement de régimes dérogatoires. « Un jour par semaine, la gare est morte et une gare où les commerces sont fermés, c’est le sentiment de sécurité des voyageurs qui recule », explique (3) Rachel Picard, à la tête de la branche SNCF Voyages. On est donc encore loin du choc de simplification.
Liberté de travailler sous surveillance
Le débat pourrait être ailleurs, dans la réponse à apporter aux blocages institutionnels et règlementaires qui paralysent la France dans son ensemble, largement au-delà du petit microcosme parisien très centré sur ses petites affaires. Ailleurs qu’à Paris, ce sont souvent les salariés qui se mobilisent, parfois même contre leurs syndicats. De Sephora (sur une question spécifique de travail nocturne cette fois) à Bricorama, en passant par Leroy Merlin, les salariés qui travaillent depuis longtemps le dimanche ou le soir voient d’un très mauvais œil ce coup de canif dans leur liberté de travailler (et dans leur contrat de travail) tout en supprimant une rémunération parfois doublée le dimanche. Des salariés (4) qui se disent même parfois « écœurées, outrées de la façon dont les syndicats s’en sortent. »
La survie des commerces de proximité
De l’Alsace aux Pyrénées, la question de l’ouverture dominicale a pris aussi une autre dimension, celle de l’existence pure et simple des commerces de proximité et de la défense des libertés d’entreprendre, de travailler et de consommer autrement que derrière un écran. Lorsque le Carrefour City d’Anglet (5) obtient enfin son autorisation d’ouverture le dimanche, ce n’est pas un recul social, c’est une liberté en plus pour des salariés volontaires et payés plus chers, et des consommateurs qui n’ont plus besoin de se tourner vers l’Espagne ou Internet pour faire leurs achats. Pour son équivalent Alsacien de Wingen-sur-Moder (6), la situation n’est pas aussi rose. Dénoncé par ses concurrents au grand dam de ses clients et salariés, le Carrefour Contact local doit désormais fermer ses portes le dimanche matin.
Certains opposants arguent de l’inutilité économique d’une telle ouverture ; si tel était le cas, pourquoi le gérant licencierait-il des salariés et pourquoi les consommateurs migrent-ils désormais vers l’Allemagne le dimanche ? « Si ouvrir le dimanche n’était pas rentable, nous ne le demanderions pas ! Cela augmente les frais de personnel mais permet d’amortir les autres coûts fixes », répondent (7) en cœur les professionnels concernés. Certains avancent aussi que le travail du dimanche porte atteinte à la vie sociale et familiale : ont-ils pensé une seconde aux presque dix millions (8) de français qui vivent seuls, parmi lesquels 5 millions (9) souffrent effectivement de la solitude ? Doit-on les condamner à poursuivre une vie sociale virtuelle le dimanche et continuer d’enrichir les géants du e-commerce dont la plupart ne sont pas basés en France ?
Le combat pour l’ouverture dominicale n’est pas réductible à une volonté des grands magasins parisiens d’élargir les plages horaires ; il est aussi celui des consommateurs et salariés qui défendent respectivement leurs droits à consommer et à choisir leurs horaires de travail. Mais aussi celui des maires des petites villes, qui en dehors de toute prétention au tourisme international, souhaite simplement revitaliser leur centre-ville et recréer un peu de lien social.
1. http://www.lopinion.fr/sites/nb.com/files/2014/12/travail-dominical-dimanche-rapport-2014.pdf
2. http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/12/03/20002-20141203ARTFIG00264-le-rapport-qui-ne-croit-pas-au-travail-le-dimanche-a-paris.php
3. http://www.mobilicites.com/011-2166-Ouverture-dominicale-les-gares-SNCF-veulent-etre-logees-a-la-meme-enseigne-que-les-aeroports.html
4. http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/09/23/sephora-contraint-de-fermer-son-magasin-des-champs-elysees-a-21-heures_3483018_3234.html
5. http://www.sudouest.fr/2014/09/26/a-anglet-feu-vert-pour-une-ouverture-dominicale-de-carrefour-city-1684387-3944.php
6. http://www.economiematin.fr/news-travail-dimanche-alsace-risque-emploi-carrefour
7. http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/11/13/travail-du-dimanche-les-syndicats-remontent-au-front_4523058_3234.html
8. http://www.lemonde.fr/vous/article/2012/02/14/le-nombre-de-francais-vivant-seuls-a-augmente-de-50-depuis-1990_1643365_3238.html
9. http://www.marieclaire.fr/,5-millions-de-francais-vivent-dans-la-solitude,20123,694810.asp
Lire aussi :
> Pourquoi je suis opposé au travail dominical, par Eric Martin
6 Comments
Comments are closed.