Comme prévu, l’action syndicale du 5 décembre a largement débordé (tant en délai qu’en violence) ; casses et violences maintenant habituelles des troupeaux humains en mal de frissons se sont ajoutées à un énième mouvement de protestation des services publics refusant de s’aligner sur la situation nettement moins privilégiée du privé, et le message général a largement porté : il est vraiment hors de question que les régimes spéciaux de retraite financés par le privé soient vaguement modifiés, tout comme il est impossible d’imaginer la moindre réforme des retraites françaises sans que l’habituel noyau dur des collectivistes ne paralyse tout le pays.
Et comme on les comprend ! Pour eux, aucun doute possible : le système actuel de retraites françaises est particulièrement plantureux, et d’autant plus qu’on en est directement bénéficiaire, qu’on a fait carrière dans les services publics ou qu’on en est encore salariés, et mieux encore si l’on se qualifie pour l’un des fameux régimes spéciaux particulièrement généreux.
Pas étonnant dans cette situation d’entendre régulièrement les leaders syndicaux, Philippe Martinez en tête, répéter à l’envi qu’on bénéficie du « meilleur système de retraites du monde ». Pour ce dernier, c’est même tout le « socle social » qui est « l’un des meilleurs au monde ».
Évidemment, tout dépend pour qui.
S’il semble acquis que c’est bien le cas pour ceux qui peuvent partir en retraite bien avant 60 ans et toucher une pension quasiment équivalente à leur dernier salaire, il en va probablement assez différemment pour tous les commerçants ou les artisans dont la retraite pleine n’est possible qu’après 60 ans et pour lesquels les pensions sont notoirement plus faibles (elles tournent autour de 281 euros par mois pour les commerçants et 348 euros pour les artisans, à comparer aux 2 636 euros brut de moyenne des retraités SNCF, par exemple).
Eh oui, aucun doute : c’est bien d’intérêts catégoriels dont il est encore une fois question en France, pays de l’Égalité Pour Les Autres. Les actuels grévistes, harpant sur l’inamovible argument du « Le public fait grève par solidarité avec le privé », tenteront toujours de faire croire qu’en bloquant le pays, ils garantissent que les avantages de tous, y compris les non-grévistes, seront préservés.
C’est bien évidemment un mensonge complet, à plusieurs titres.
D’une part, à l’évidence, les avantages des uns ne sont pas financés par une génération spontanée de richesses : ce sont les bien « les autres », c’est-à-dire ceux qui ne bénéficient pas de ces avantages, qui abondent à ces régimes. La solidarité, ici, ne marche bien que dans ce sens là. Question égalité, on repassera.
D’autre part, lorsque les avantages et les droits des salariés et indépendants du secteur privé ont été régulièrement rabotés les décennies passées (notamment pour parvenir à financer les largesses offertes au secteur public), il n’y a pas eu un mouvement, pas une grève. Les leaders syndicaux d’alors et ceux d’aujourd’hui se sont bien gardés de mobiliser qui que ce soit pour défendre ces catégories-là. On se souviendra même des réactions outrées de ces mêmes syndicats lorsque certains indépendants et salariés du privés lancèrent des mouvements de protestations sans en passer par eux (les Pigeons en sont un exemple frappant). Là encore, il est difficile de nier l’évidence d’une lutte bel et bien catégorielle.
En outre, pour un système qui serait l’un des meilleurs du monde, on ne peut que s’inquiéter de la multiplication des rafistolages qu’il a déjà subis, avec des réformes majeures en 1993, 1999, 2003, 2008, 2010 notamment,
Enfin, et c’est à mon avis le point le plus important, il apparaît de plus en plus mensonger de faire croire que l’ensemble des Français seraient effectivement pour la conservation du système en l’état, ou même de faire croire que le peuple serait compactement favorable à l’actuel système par répartition, louangé par Martinez et tant d’autres comme « le meilleur au monde » : non, ce n’est plus le cas depuis plusieurs années, les Français ne veulent plus d’un système de retraite uniquement par répartition.
Deux récentes études démontent en effet l’idée selon laquelle le peuple serait encore unanimement favorable à ce système globalement inique et inévitablement voué à la faillite : une étude du Fondapol et un sondage du CECOP pour le Cercle de l’Épargne, montrent assez bien qu’aucun consensus n’existe sur la question.
L’étude Fondapol montre ainsi que plus de la moitié des jeunes de 18 à 24 ans (52 %) privilégient le système de financement par capitalisation pour leurs futures retraites. Il semblerait qu’une majorité de ceux qui entrent actuellement sur le marché de l’emploi comprend très bien le jeu de dupes que représente la répartition qui aboutira pour eux à une retraite misérable ou nulle, malgré des ponctions croissantes sur leurs salaires actuels.
Quant à l’étude CECOP, elle aboutit au même constat lorsqu’elle interroge sur l’introduction d’une part de capitalisation dans le régime des retraites : c’est une majorité de Français (57%) qui en sont partisans, et notamment 61% des jeunes de 18-25 ans (cf. tableau p.8). Sans surprise au passage, 75% des commerçants et artisans seraient favorables à l’introduction d’une part de capitalisation. Pour ceux dont les retraites sont actuellement les plus faibles (avec les agriculteurs), on ne sera pas trop étonné.
Rassurez-vous cependant : l’idée même que les Français pourraient devenir maître de leur propre retraite, choisir combien cotiser, quand, à quel rythme et dans quel but, voire – soyons carrément fous – imaginer partir plus tôt ou plus tard en fonction de leurs besoins ou de leurs contraintes, tout ça n’est absolument pas sur la table.
Tant du côté des syndicalistes que du gouvernement lui-même, cette question n’est surtout pas posée : comme on le comprend en lisant par exemple l’entretien accordé par Delevoye, le « Haut Commissaire aux retraites », insuffler un peu de liberté dans ce pays est une véritable hérésie que les autorités et les syndicats s’entendront à combattre avec la dernière énergie. Ainsi, parlant des jeunes, le Haut Commissaire explique :
« Ceux qui pensent à leur retraite sont convaincus qu’ils ne pourront compter que sur eux-mêmes, en mettant de l’argent de côté. Cette idée de la capitalisation progresse. Moi, j’ai envie de me battre pour le modèle par répartition, et cette réforme va permettre de le sauver et le consolider. C’est une réforme pour les jeunes. »
Autrement dit : les jeunes ont bien compris qu’ils allaient se retrouver en slip, mais le gouvernement se battra pour qu’il n’en soit pas autrement. Épaulés par les syndicats collectivistes et la frange de population largement créditrice des largesses du système, on peut donc raisonnablement parier sur un nouveau blocage long du pays, un enlisement rapide de toute négociation, une évaporation de toute solution crédible un peu durable et, conséquemment, un abandon en rase campagne des velléités de réformes.
Ce pays est donc foutu.
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