Ce dossier fait penser à un slalom où le skieur maladroit se « paierait » tous les portiques. Le slalom, c’est l’écotaxe ou plus exactement l’éco-redevance poids lourds. Le skieur, c’est l’Etat. Quant aux portiques, chacun les connaît…
A l’origine, il y a le Grenelle de l’Environnement. Sarkozy, élu Président par une vague droitière qui privilégie le travail et la sécurité croit très malin d’ouvrir à gauche, de jouer les écolos, histoire d’équilibrer et de ratisser large. Toujours la même erreur qui consiste à penser qu’on va séduire les adversaires sans décevoir les amis ! Puisque chez le nouveau Président, la politique se réduit à la communication, il fait appel à un spécialiste du mélange, Jean-Louis Borloo qui a senti combien le vert était tendance. Avec un sens du paradoxe qui confine au génie, celui-ci lance une usine à gaz pour rallier les écolos : le Grenelle de l’Environnement, un pachyderme qui accouchera au fil des années d’un certain nombre de petites souris plus ou moins vicieuses. La palme revient à celle qu’on appelle écotaxe, l’éco-redevance poids lourds. L’idée, en phase avec les directives européennes et des mesures diverses prises à l’étranger, n’est pas absurde. 600 000 camions parmi lesquels un tiers d’étrangers parcourent des routes gratuitement, polluent et usent le revêtement. Plutôt que de faire payer tous les Français, on va appliquer le principe du « pollueur-payeur ». Les recettes serviront à l’entretien du réseau et à financer la transition énergétique au travers des infrastructures et des moyens de transports éco-compatibles mis en oeuvre par l’Etat et le collectivités territoriales. L’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France s’attend à percevoir 1,2 Milliards d’Euros.
Premier portique. Le gouvernement choisit de faire appel à une société privée pour collecter la redevance et contrôler le trafic. Ce sont les Italiens d’Autostrade per l’Italia associés à quatre entreprises françaises, notamment la SNCF, dans la société Ecomouv qui remportent le marché. Ce choix de 2009 sera contesté, annulé par le Tribunal Administratif, puis confirmé par le Conseil d’Etat. Le contrat sera signé en Octobre 2011, et le nouveau gouvernement en héritera.
Début 2013, devant les difficultés techniques de mise en oeuvre, et les résistances qui s’annoncent, Frédéric Cuvillier annonce le report de l’application de Juillet à Octobre, puis au 1er Janvier 2014. Pendant ce temps, le changement de climat s’est pour le coup produit. L’environnement est devenu secondaire par rapport à l’emploi, et l’avalanche fiscale commencée sous Sarkozy et augmentée par Hollande devient insupportable. Pour une fois, la France est parmi les bons élèves, les moins émetteurs de CO2. Pourquoi surcharger nos entreprises de transport avec une nouvelle taxe qui pénalisera l’emploi ? La vérité, c’est que l’Etat veut davantage presser le citron fiscal pour faire face à des déficits qui résultent de ses dépenses outrancières. Les prélèvements obligatoires ont atteint le record de 46,3% du PIB. Les Bretons sonnent la révolte. Des foules se rassemblent, des portiques de contrôle sont détruits. L’écotaxe est suspendue. Le gouvernement recule. Bové qui trouve légitime et citoyen de détruire les champs expérimentaux d’OGM est vert de rage devant ces poteaux victimes d’un affreux lobby.
La résistance professionnelle s’organise et projette une de ces bonnes grèves paralysantes, si justes à la SNCF pour sauvegarder des privilèges et scandaleuses chez les patrons du transport pour survivre. Le 22 Juin 2014, le gouvernement tente un repli. C’est le péage de transit poids lourds qui rentrera en fonction en 2015 et évitera soigneusement la Bretagne qui vote si bien d’habitude, mais a mauvais caractère. 4000 kms au lieu de 15000. Evidemment, des rentrées réduites à 600 Millions. La contestation ne désarme pas. Ségolène Royal préfère jeter l’éponge. Le 9 Octobre, elle fait part à la France du décès de l’écotaxe, que la langue de bois appelle « report sine die ». On prévoit de faire payer les riches concessionnaires des autoroutes, c’est-à-dire tous les usagers, bien sûr pour compenser la perte de recettes de l’Etat. Les camions seront donc invités à continuer de polluer gratuitement ailleurs.
Il restera à l’Etat à trouver dans une passe difficile des solutions, d’abord pour indemniser Ecomouv, soit 1 Milliard d’Euros d’après le contrat, ensuite pour reclasser les 200 employés de l’entreprise victimes de son impéritie, enfin pour financer les infrastructures qui avaient besoin des 500 Millions de travaux publics prévus, générant 4000 emplois.
Cette bérézina annoncée est d’une gravité que les chiffres ne mesurent pas. Elle révèle aux derniers distraits la nullité absolue de ceux qui prétendent nous diriger. Le début de l’opération reste douteux. S’agissait-il d’une mesure de transition énergétique, comme le prétend encore NKM ? S’agissait-il d’un expédient fiscal pour financer des travaux que l’Etat impécunieux ne parvient plus à réaliser, comme le dit Bussereau ? Chacun cultive son terreau politique. Le contrat passé était curieusement très généreux pour le prestataire choisi : 250 Millions de recettes sur 1,2 Milliard, alors que la fourchette est habituellement de 2 à 3 %… La dernière mouture lui attribuait 210 Millions sur les 600 contre 360 à l’AFITF et 30 seulement aux collectivités locales. Les retards d’abord puis les reculs du gouvernement ont souligné son amateurisme et en dernier lieu sa faiblesse. Il est coutumier dans notre pays de voir le pouvoir légal céder non devant la rue bon-enfant, mais lorsqu’un groupe est capable d’exercer une pression violente ou une capacité de blocage. Même si on est ennemi de la surtaxation suicidaire pratiquée en France, on doit s’inquiéter de l’affaiblissement d’un Etat qui n’a plus la force ni la volonté d’appliquer sa politique. Cela devient tragique lorsque la légitimité réelle du pouvoir ne tient plus qu’à un fil, que le Président est considéré comme une erreur, et le Premier Ministre en perte de majorité. La marge de manoeuvre déjà faible dans le contexte européen devient inexistante. Qu’est-ce qu’un gouvernement qui ne peut plus gouverner ?
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