« L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans éloignement ». Cette célèbre citation du Général de Gaulle, dans « le Fil de l’épée » condensée dans sa formulation, s’applique alors au chef militaire que l’auteur oppose volontiers à l’homme politique, tant il pense que ce dernier cherche avant tout à plaire, à séduire l’opinion dont il ne peut être le maître qu’en paraissant être son serviteur. Le politique « gagne le but par les couverts », le soldat « y court tout droit ». Ce dernier doit être abrupt, garder son mystère, en inspirant toutefois confiance et « grandir et multiplier les effets de la discipline par une suggestion morale » autrement dit posséder du charisme. « Rien ne rehausse l’autorité que le silence » écrit encore de Gaulle qui prescrit la sobriété des discours. En 1932, quand il expose cette théorie de l’autorité, le futur fondateur de la Ve République pense déjà que l’autorité s’affaiblit dangereusement dans notre pays. » Notre temps est dur pour l’autorité. Les moeurs la battent en brèche. Les lois tendent à l’affaiblir ». Mais il veut contribuer à construire la belle harmonie entre le politique et le militaire, à condition que l’un et l’autre s’élèvent au-dessus de la médiocrité. Finalement, c’est dans sa propre personne qu’il tentera d’unir les deux, non sans échouer en 1969, tout en laissant ses espoirs inscrits dans les institutions qu’il léguera à la France.
Les trois premiers mois du mandat présidentiel de M. Macron et sa spectaculaire chute dans les sondages, plus importante en début de quinquennat que celles connues par ses deux prédécesseurs, montrent que ce problème est toujours au coeur de la politique française. Que l’autorité soit aujourd’hui beaucoup plus affaiblie que dans les années 1930 est une évidence. L’égalitarisme s’est plu a supprimer les distances, à nier les hiérarchies, à en gommer les marques extérieures, telles que les formules de politesse ou l’habillement. L’Armée se doit de les conserver pour demeurer efficace, mais on voit rarement des militaires en uniforme en dehors du service… Le laisser-aller vestimentaire contribue, dès l’école, à cette victoire de l’horizontalité, là où elle est la plus pernicieuse. Pour l’avoir pratiqué moi-même, je n’ai jamais envisagé un professeur qu’en « costume-cravate », vouvoyant ses élèves, dont j’aurais volontiers souhaité qu’ils soient eux-aussi en uniforme propre à leur établissement. Je l’avais d’ailleurs proposé pour répondre au problème posé par le voile. L’égalité est une illusion perverse. Il n’y a aucune égalité entre celui qui possède un savoir qu’il est chargé d’enseigner et celui, qui avec des aptitudes et des mérites de poids différents, le reçoit, non sans participer à cette assimilation en vertu de ses qualités propres. Cette réduction des inégalités nécessaires au bon fonctionnement de la société est particulièrement nocive dans l’exercice du pouvoir légitime. Si les citoyens sont égaux en tant que « législateurs », quand ils donnent leur suffrage, ils ne le sont plus dès lors qu’ils ont délégué leur pouvoir à des élus dont ils doivent respecter la dignité. De même, tous ceux qui concourent à l’application de la loi, au maintien de l’ordre public, doivent jouir d’une autorité reconnue. La curieuse exigence de la légitime défense ou de la proportion des moyens, lorsqu’un policier remplit sa mission, est absurde. Elle suscite l’idée qu’il y a une égalité entre celui qui agit au nom de la loi et celui qui se rebelle. Cette conception paralyse la police et favorise la violence. Combien de policiers quittent leur uniforme dès qu’ils ne sont plus en service ou habitent loin des secteurs où ils travaillent parce que, justement, leur autorité n’est pas défendue avec la plus grande fermeté ? Quant aux députés qui prétendent siéger dans des tenues débraillées et s’exprimer avec un relâchement indigne de l’Assemblée, ils contribuent à l’antiparlementarisme, c’est-à-dire à une remise en cause de la démocratie. Dans une démocratie saine, les parlementaires sont respectables dans leurs comportements privés et publics, et ils s’efforcent par leurs propos et leur tenue de faire honneur à ceux qui les ont élus et au lieu qu’ils ont le privilège d’occuper, qui doit être considéré comme une enceinte sacrée de la République. « Pour croire, faîtes les gestes » disait, à peu près, Pascal. Lorsque le geste disparaît, la foi s’éteint. Ainsi en est-il de nos institutions ! Par ailleurs, les parlementaires doivent jouir de privilèges légitimes. L’un des plus évidents consiste à leur reconnaître un droit absolu à l’expression des opinions, puisque précisément le peuple leur a confié la mission de parler en son nom, et éventuellement de changer la loi. Limiter ce droit à la parole, en dehors des injures et des diffamations, qui ont un caractère personnel revient à nier un pilier millénaire de la démocratie : la fonction tribunicienne ! C’est pourtant la décision scandaleuse que vient de prendre notre Assemblée de sans-cravate en prétendant interdire l’élection de personnalités condamnées pour délit d’opinion ! Comment estimer une institution qui se mésestime ?
M. Macron, conseiller de M. Hollande, puis son ministre, a assisté à ce nivellement de la fonction présidentielle, scandaleux et grotesque, par exemple lorsque le Président « dialoguait » avec une jeune immigrée clandestine ou lorsqu’il se confiait lamentablement à des journalistes. Il en a mesuré les risques plus pour lui-même que pour le pays, et a donc instauré une présidence « jupitérienne ». Le prestige, la distance, l’autorité retrouvée… Certains ont cru qu’il s’agissait d’un retour à de Gaulle. Trois raisons font qu’il n’en est rien. D’abord, certes l’élection confère juridiquement la légitimité, mais celle-ci ne s’accroche à la réalité que si le mérite justifiait l’élection. Être l’Homme du 18 Juin, le Premier Ministre du Général, un brillant Ministre des Finances de celui-ci, son principal rival, le lieutenant de Pompidou et chef du principal parti d’opposition, Ministre de l’Intérieur talentueux, voilà qui motivait le vote des électeurs. Le premier à n’avoir aucun actif de ce genre a été Hollande et l’on sait où cela a mené. Avec Macron, les Français ont élu une page blanche, un ministre éphémère dont le bilan n’avait rien de glorieux. Ensuite, cette autorité sous vide, s’est affirmée de façon ridicule face à un général d’Armée, à la carrière prestigieuse, et son aîné de beaucoup, le général Pierre de Villiers. Qu’un civil, dénué de la moindre expérience militaire, le premier président à n’avoir pas accompli son service militaire, mais se pavanant en uniforme d’aviateur pour imiter Obama, ait cru pouvoir humilier un grand soldat particulièrement compétent, en se croyant obligé de rappeler qu’il était le chef, est exactement le contraire de ce que de Gaulle appelait l’autorité : parler peu, rester à distance, et exercer une suggestion morale… Grand chef ? Non, petit bonhomme, plutôt ! Enfin, si la distance et la parole rare fondent l’autorité du chef, selon de Gaulle, avec Macron, on a eu l’omniprésence, la saturation des écrans, avec la distance en prime : pas d’interview du 14 Juillet, quasiment en tête-à-tête avec les Français, mais des discours creux, mis en scène dans des lieux prestigieux, avec des grands de ce monde, des rencontres avec des « stars » du spectacle et un narcissisme complaisant jusque dans l’importance déplacée donnée au conjoint que les Français n’ont pas élu, une fois encore par souci d’imiter l’Amérique. Certains attendaient de Gaulle et Obama est arrivé !
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