Le moment particulier que nous propose cette négociation de fin de semaine sur le cas Grec voit l’opposition ponctuelle entre deux visions distinctes du projet européen :
• La première repose sur le mème d’une Europe qui aurait fait le deuil de ses oppositions guerrières internes au prix d’une entente vécue comme un principe irrévocable. C’est le fameux “le nationalisme c’est la guerre” de François Mitterrand.
• La deuxième est l’acceptation de la supranationalité par rationalité économique avec pour corollaire que la solidarité ne peut exister sans une part de discipline librement consentie par chaque Etat.
Nous avons donc deux véhicules de la croyance occidentale européenne qui ont pour habitude de se chevaucher sans jamais se confronter l’un l’autre, car ils en partagent la fin dernière, celle d’un retrait volontaire de l’histoire des nations européennes.
Seules les intentions diffèrent :
• Dans le premier cas, il s’agit de la mise en jachère culturelle et politique de l’Europe de l’Ouest par des Etats-Unis. La source en est l’extrême violence de deux guerres mondiales : L’Europe sera désormais un territoire pacifié et inoffensif sous parapluie militaire américain.
• Dans le second cas, ce retrait de l’histoire est une porte de sortie postmarxiste offerte à l’humanité, un modèle réduit de l’organisation mondiale. Volonté originelle prise en charge par Jacques Delors qui a tenté une poussée idéologique hors frontière dans la personne de Pascal Lamy tout au long du parcours de ce dernier à la tête de l’OMC. L’humanité est donc progressivement invitée à se soustraire à l’histoire pour réaliser son destin. Pour vous faire une idée, imaginez ce que serait une pénitence administrée aux peuples afin d’expier leur participation à l’échec des idéaux socialistes du XXème siècle.
D’habitude ces deux versants d’une même croyance eschatologique, collaborent ensemble et leur croisement d’argumentaires contrôle avec sérénité toute velléité d’autonomie nationale au sein de l’édifice communautaire, voire au-delà. Même si leurs temples sont distincts (le siège de l’OTAN et la Commission Européenne) tous les deux sont situés à Bruxelles. C’était sans compter l’orgueil du protagoniste de tout bord.
Le néo-conservatisme américain d’inspiration Wilsonienne fortement représenté dans les deux assemblées américaines, Congrès et Sénat, a poursuivi son affrontement indirect avec les restes de l’Union soviétique, humiliant dans l’affaire ukrainienne la diplomatie des Etats européens. Radicalisant de manière inconsciente leurs élites, surtout allemandes.
Depuis l’établissement de l’Euro, l’Allemagne a fait office de champion commercial et de bon élève de la zone économique. C’est “naturellement” que les élites allemandes se sont portées à la tête du bloc, s’imaginant que leur attitude collective largement récompensée par les faits, les missionnait à ce poste.
Les manœuvres d’Alexis Tsipras sont une éclatante utilisation de la divergence d’agenda de ces deux visions. Les Etats-Unis ne peuvent laisser la Grèce rejoindre un partenaire russe si elle était contrainte de quitter l’Europe. L’Allemagne ne peut se résoudre aux comportements antiéconomiques, aux péchés donc, commis par la Grèce et par-delà ceux-ci, les plus grands encore causés par l’insoutenable légèreté française. La crédibilité de son leadership est en jeu.
La France retrouve son jeu éternel de puissance moyenne apprise sous l’Ancien Régime : faire le jeu d’une des parties en professant le bien fondé des arguments de l’autre. Le positionnement de François Hollande était le seul concevable pour l’intérêt français : sous couvert de solidarité européenne devenir l’agent de la volonté américaine en fournissant l’appui logistique aux Grecs dans des négociations qui lieront une austérité volontaire avec la distribution d’un package financier. Aux dernières rumeurs, ce dernier s’élèverait à plus de 70 milliards.
> Thierry Lhôte anime un blog.
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