Marine Le Pen : l’échec d’une stratégie

Marine Le Pen

par Bruno Mégret*

Quelle que soit l’importance en nombre de voix des résultats obtenus par la candidate du Front national, il est impossible de les qualifier de succès. Au premier tour, le score de 21,3% est à peine supérieur au score cumulé des deux candidats de la droite nationale en 2002.

Quant au pourcentage de 33,9% obtenu au deuxième tour, il est en net retrait par rapport à ce que des reports de voix raisonnables pouvaient laisser espérer.

Or, la configuration politique dans laquelle le FN abordait cette élection était exceptionnellement favorable. Après l’échec du quinquennat de Hollande, le Parti socialiste à bout de souffle s’était choisi un candidat inexistant. Le parti des Républicains, très divisé par la primaire, s’était doté quant à lui d’un candidat gravement affaibli par les affaires. Et surtout, l’écrasante majorité des Français rejetait la classe politique dans sa globalité, exaspérée qu’elle était par la situation catastrophique de notre pays.

Dans ce contexte, il est clair que le FN n’a rien vu de la fenêtre historique qui s’ouvrait devant lui. Les résultats médiocres obtenus par sa candidate sont en effet la conséquence directe de la stratégie qu’elle a adoptée. Au lieu de mettre en avant la lutte contre l’immigration et l’insécurité, elle a centré son discours sur la sortie de l’euro et de l’Europe, avec comme conséquence d’inquiéter et donc de faire fuir une partie de son électorat potentiel. Au lieu de préconiser un programme économique fondé sur la baisse de la fiscalité, des charges et des réglementations, elle a mis en avant un programme social digne de la gauche des années 1970, se coupant ainsi de l’électorat des PME, des artisans et des professions libérales pourtant proche d’elle. Au lieu de chercher à élargir son assise électorale par la droite où se trouvait sa principale réserve de voix, elle a couru après les voix de Mélenchon dans une démarche vaine qui ne pouvait qu’éloigner d’elle l’électorat des Républicains. Au lieu de lancer des thématiques nouvelles et d’incarner une vision d’avenir, elle a donné le sentiment d’une absence de réflexion, de compétence et de perspective. Au lieu de s’élever à la dimension d’un homme d’Etat, elle a privilégié dans les débats le constat et l’attaque, affichant de l’arrogance et de la grossièreté quand il aurait fallu montrer de la hauteur de vue, de la fermeté et de la retenue.

Mais, comme la critique est souvent jugée facile, je voudrais, pour mieux étayer mon propos, expliciter quelques idées pour montrer ce qu’il aurait fallu faire en lieu et place de ce qui a été fait.

En premier lieu, la politique exigeant des formules claires, il fallait conserver un positionnement de droite, quitte à expliquer que l’antagonisme droite/gauche avait changé de nature et qu’il portait maintenant principalement sur la question identitaire. Philosophiquement, la droite a d’ailleurs toujours été du côté des valeurs, des racines et donc de la tradition, quand la gauche est foncièrement universaliste et cosmopolite. Ce positionnement à droite aurait facilité l’arrivée de nouveaux électeurs en provenance des Républicains où se trouvait le principal réservoir de voix.

Il était par ailleurs essentiel que la candidate soit porteuse d’une vision. Une vision qui tienne compte des réalités du monde d’aujourd’hui et qui ouvre des perspectives d’avenir. Or le monde devient multipolaire, marqué par le choc des civilisations. Aussi fallait-il, face à la Chine, à l’Inde, au monde musulman ou aux Etats-Unis prôner l’émergence d’un pôle de puissance européen capable de préserver notre identité, nos intérêts et notre indépendance collective. Il fallait aussi avancer la nécessité d’un changement dans l’organisation du monde visant à substituer au système actuel, fondé sur la libre circulation quasi intégrale des biens et des personnes, un nouveau système reposant sur la régulation des échanges aussi bien économiques que migratoires. L’affirmation d’une telle vision aurait inscrit la candidature du FN dans une perspective historique et géopolitique qui aurait contribué à la crédibiliser tout en ringardisant ses adversaires.

La candidate aurait dû, par ailleurs, s’affirmer plus clairement comme opposée au Système et pour cela s’en prendre systématiquement à la pensée unique et à ceux qui la véhiculent et qui l’imposent. Il fallait dans cet esprit mettre en cause les médias comme vecteur militant de la pensée unique et dénoncer le pouvoir envahissant des juges en contestant explicitement le rôle du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. Quitte à proposer certaines solutions concrètes comme l’instauration d’un droit de recours des décisions du Conseil constitutionnel devant le Parlement ou devant le peuple. Ce faisant, la candidate aurait évité une certaine normalisation qui l’a fait apparaître comme faisant, elle aussi, partie de la classe politique.

Il aurait par ailleurs été souhaitable de présenter un programme structuré autour d’un nombre d’axes limité, hiérarchisés et électoralement porteurs. La priorité devait être donnée à la question de l’immigration, de l’islamisation et de l’insécurité avec des objectifs ambitieux et des mesures choc soutenus par un panel de réformes crédibles. Ensuite devaient venir la politique familiale et celle de l’enseignement avec la défense des valeurs. En économie, c’est la baisse des impôts et des charges ainsi que le recul de la bureaucratie qui devaient être mis en avant. Sur le plan social, c’est la préférence nationale et le protectionnisme aux frontières de l’Europe avec l’impératif de la réindustrialisation de la France et du continent qui devaient prévaloir. Une telle hiérarchisation des thèmes aurait permis à la candidate de toucher les Français sur les questions qui les affectent le plus et dont ses adversaires parlaient le moins.

S’agissant de la question piège de l’Europe, il aurait fallu proposer non pas la sortie de l’Union mais sa refondation par l’intérieur et expliquer que la France, alliée à d’autres Etats membres, pourrait œuvrer efficacement à l’avènement d’une Europe débarrassée de la Commission et dirigée par les Etats : une Europe à la carte, capable de s’ériger en pôle de puissance, d’instaurer un protectionnisme économique à ses frontières, de stopper les flux migratoires et de créer une alliance militaire en substitution à l’Otan. Quant à l’euro, c’est son mode de gestion dont il fallait demander la transformation afin qu’il soit mis au service des économies européennes comme le dollar sert l’économie américaine. Un tel discours, montrant qu’il est possible de concevoir une Europe qui ne soit ni mondialiste ni atlantiste, aurait placé la candidate en position de force sur le sujet, tout en désarmant et en gênant ses adversaires.

Enfin, sur un plan tactique, il fallait, dès le premier tour, désigner Macron comme l’adversaire principal en le qualifiant de parfait représentant de la gauche et cela pour limiter son potentiel de séduction vers la droite.

Un tel dispositif de campagne n’aurait peut-être pas suffi à assurer la victoire, mais il aurait permis un rassemblement très large, tout en ouvrant des perspectives prometteuses de recomposition et de progression. Car, si les Républicains sont défaits, c’est en récupérant leurs électeurs et éventuellement certains de leurs cadres et de leurs élus de base qu’aurait pu se constituer autour du FN une nouvelle et grande force politique capable de devenir majoritaire dans le pays.

En raison de la stratégie choisie par les dirigeants du FN, les électeurs de la droite nationale n’ont pas seulement été frustrés d’un grand succès électoral, ils ont été dépossédés d’une partie de leurs idées et privés des perspectives de voir demain leur convictions triompher.

*Bruno Mégret est ancien polytechnicien, haut fonctionnaire, essayiste…

> Cette tribune a initialement été publié sur le site de la Fondation Polémia.

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15 Comments

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  • Jean NOGUES , 12 mai 2017 @ 19 h 05 min

    Marine Le Pen a écoeuré ses meilleurs soutiens par son débat lamentable.

    Elle a tristement montré les limites de son intelligence. Même sans structurer ses interventions comme il est fait dans l’article (car le temps aurait manqué), rien qu’en étant polie, calme, et en s’en tenant à des fondamentaux simples, tout en rassurant fortement sur l’euro et l’Europe, elle aurait évité la catastrophe.

    Les fondamentaux simples auraient dû la démarquer clairement de son âme damnée Philippot, qui lui avait mitonné un programme clairement mélenchonien. Par exemple, elle aurait pu donner de l’espoir à la classe moyenne (elle n’a même pas dénoncé l’imbécilité et la nocivité de l’ISF). Pour l’euro, il était inutile de rentrer dans des détails qui n’auraient qu’effleuré l’esprit du public. Le projet résumé de Fillon, consistant à ambitionner pour l’euro de devenir une monnaie de réserve mondiale à l’égale du dollar, et à vouloir pour la France un avenir de grande puissance économique, était réellement porteur d’espoir et de VOIX. C’était là le coeur du plébiscite des primaires de la droite et du centre.

    Marine a réussi le tour de force de ne JAMAIS parler à ses électeurs de science et d’excellence universitaire principalement en Sciences, contrairement à Fillon, qui est le seul à en avoir parlé.

    Elle aurait pu s’inspirer de la campagne de Chirac pour les législatives de 1978. Il avait conçu des affiches volontaristes nettement à droite ; je me souviens de ces affiches, l’une d’elles montrait le Concorde en plein vol, avec la légende : OUI A LA FRANCE QUI INVENTE. Tout le monde redoutait une victoire de la gauche à ces législatives, an fait la droite les a brillamment gagnées (avec 47 % au premier tour à la majorité sortante).

    Elle aurait dû défendre le programme nucléaire civil français avec des arguments choc qui auraient anéanti Macron. Voici les deux principaux de ces arguments :

    1) elle aurait dû expliquer que la vente d’Alsthom met les clés de la gestion de notre parc nucléaire civil entre les mains des américains. MAcron aurait protesté, et là elle pouvait insister en expliquant qu’à ce train-là, c’est bientôt, assurément, toute la force de frappe française qui allait bientôt passer sous contrôle américain, par la biais de ‘lOTAN (à laquelle un processus d’intégration de cette force-là semble bien se dessiner….). C’est une suite logique de la vente d’Alsthom, car notre force defrape sans une industrie nucléaire civile puissante est comme une voiture sans roues.

    2) Et come Macron aurait protesté, elle aurait pu rappeler ce qu’ignorent 99 français sur 100 : que Chirac avait vendu à l’IRAK, contre du pétrole, une centrale nucléaire clés en mains que nous avons construite impeccablement et livrée en 1978 en état de fonctionnement parfait : la centrale d’OSIRAK (75 MW). Que cette centrale, sous des prétextes hypocrites, a été critiquée conjointement par les américains et Israël ; et que pour finir, CES DEUX ETATS ONT DETRUIT CETTE CENTRALE, EN LA BOMBARDANT JUSQU”A LA RASER ENTIEREMENT. ELLE AURAIT PU ALORS SOULIGNER L’HYPOCRISIE DES AMIS ÉCOLOS DES SOCIALIESTES QUI FONT CROIRE AU PUBLIC QUE CES CENTRALES POURRAIENT EXPLOSER EN CAS DE BOMBARDEMENT AERIEN (personne n’a protesté, la presse ne s’est pas enflammée, les écologistes n’ont rien dit, n’ont même pas informé les français de ces faits scandaleux).

    Elle aurait pu souligner l’asservissement de notre pays aux USA par les socialistes, qui n’ont pas eu le courage de résister à cette agression impardonnable et de reconstruire cette centrale à l’identique en exigeant des D.I de la part des bombardeurs.

    Mais Marine n’a aucune hauteur de vues, aucune vraie culture historique française, et même si on lui donne de bons thèmes, pour peu qu’ils élèvent le débat, elle est culturellement et intellectuellement incapable de les exploiter dans un débat équitable.
    Elle était créditée de 40 % au lendemain du premier tour. Les 7% qu’elle a perdus auraient dû être gagnés, ce qui aurait complètement changé le cours de la politique française.

    MALHEUR AUX VAINCUS !

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