A l’heure où l’on s’interroge beaucoup, en France, sur la liberté d’expression et ses limites, sur le rôle de l’Etat dans la promotion ou la censure des idées, il nous semble intéressant de verser une pièce originale au dossier. Cette pièce n’est pas une réflexion récente; elle paraîtra même à beaucoup d’égards archaïque, puisqu’elle date de plus d’un siècle. Mais elle émane de l’un de nos grands anciens dans le journalisme de droite qui eut à la fois à subir les conséquences désastreuses de la liberté illimitée de diffusion des idées néfastes et les conséquences non moins désastreuses de la censure d’Etat. Ce journaliste, c’est Pierre-Sébastien Laurentie, directeur de “L’Union”, quotidien officieux du comte de Chambord (et accessoirement le trisaïeul de notre directeur de la publication, comme quoi les chiens ne font pas des chats!) et l’article ci-dessous, paru le 16 janvier 1862, valut à son auteur un séjour de deux semaines à la prison Sainte-Pélagie – à l’âge de 69 ans! La liberté du mal, aujourd’hui, c’est la libre diffusion des sermons enflammés du djihadisme; la liberté du mal, c’est aussi les associations subventionnées par l’argent du contribuable qui crachent sur la France ou qui travaillent à la destruction de la famille. L’Etat, aujourd’hui comme hier fourrier de la subversion, n’aime guère que l’on mette ses turpitudes à nu…
« Liberté du mal ! c’est toute la théorie de la Révolution. « Théorie exposée et pratiquée avec une hardiesse de privilège, qui est comme un démenti systématique aux maximes fameuses de l’égalité.
« Nous avions cru que l’idée de la liberté appliquée à la politique, impliquait la concurrence et la lutte, abstraction faite de la vérité ou de l’erreur des doctrines ou des opinions.
« La Révolution n’entend pas la chose de cette façon. La révolution entend n’être pas combattue ; à ce prix elle est maitresse du monde. C’est l’explication de la haine vouée à l’Eglise, laquelle porte en soi toutes les idées, toutes les maximes, toutes les règles inverses de la théorie et de la pratique de la Révolution.
« Pour cela aussi, la Révolution ne supporte rien de ce qui se déduit naturellement de la liberté de l’Eglise ; elle ne supporte ni son enseignement, ni ses œuvres, ni ses pasteurs, ni sa prédication, ni sa charité même.
« Pour cela enfin, elle fait de l’Eglise une institution à part « de la société politique, se réservant seulement le droit de « l’opprimer et de l’enchainer dans son isolement, et d’en faire pour tous un objet d’attaque, de suspicion et de délation acharnée.
« La Révolution a trouvé un mot, déjà suranné, pour caractériser sa théorie ; elle appelle cela du nom de théorie « laïque; ce qui fait entendre qu’il y a dans la société moderne une séparation radicale de doctrine entre ce qui est du « monde laïque et ce qui est du monde religieux ou chrétien, ou clérical, pour parler de la langue des gens d’esprit.
« Toujours est-il que cela veut dire que la liberté est de « droit acquise à ce qui est laïque, et, de droit aussi, contestée à ce qui est chrétien.
« Ainsi, liberté aux entreprises de subversion morale, contre l’Eglise et contre la foi du peuple, qui croit à l’Eglise ; « liberté exercée par l’insulte, par la diffamation, par le cynisme, par le roman, par le tréteau, par tout ce qui souille le cœur et l’esprit des masses ; mais, en sens inverse, prohibition de ce qui donne à l’Eglise et à ses œuvres une action naturelle sur le peuple fidèle, surtout par la liberté des œuvres et par l’expansion de la charité.
« Dans un ordre d’idées supérieur aux masses, le système est le même encore.
« II y a à Paris de grandes écoles, de grandes académies et de grandes fondations de chaires savantes. La Révolution entend que tout cela soit laïque, ce qui veut dire, que tout cela soit en dehors du monde chrétien, ce qui touche de près à la pratique réelle de l’athéisme.
« Ainsi la Révolution ne souffrira pas que rien de chrétien soit enseigné au nom de l’Etat laïque ; il pourra se faire qu’à tout hasard une opinion chrétienne s’échappe d’une chaire : mais ce sera comme un indice d’éclectisme impliquant le droit de contester et de combattre ce qui constitue le fond même du christianisme.
« C’est de cette façon que la Révolution entend la liberté ; dites à la Révolution qu’au moins serait-il simple que la liberté fût égale, et qu’à côté de la chaire sceptique pût s’élever la chaire chrétienne, à côté de la négation l’affirmation, à côté des ténèbres la lumière.
« Non pas! la Révolution demandera l’expulsion de l’enseigneur, prêtre ou laïque, qui ne fera pas de sa chaire une tribune étrangère à ce qui est chrétien. Cela s’est vu !
« Mais c’est violent ceci, et cela peut aller droit à un système de persécution qui ne serait pas celui de Dèce ou de Dioclétien, mais qui toucherait de près à la théorie philosophique de Julien, un laïque célèbre.
« La Révolution est peu philosophique, et son parti pris n’a rien de ce qui ressemblerait à du génie ; mais l’instinct de ses haines n’en est pas moins habile et profond. Tout ce qu’il lui faut, sans plus d’examen, c’est que la religion chrétienne puisse être contredite et combattue dans les chaires, pour l’instruction de ceux qui visent à l’Institut, tandis qu’elle sera bafouée dans les journaux pour l’édification de la foule inepte.
« Telle est la liberté que veut la Révolution : corrumpere et corrumpi, c’est tout le secret de sa domination.
Laurentie
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