Churchill disait avec humour que « la démocratie était le pire régime, à l’exception de tous les autres ». Le Royaume-Uni, sans doute le plus vieux régime parlementaire, n’était donc pas parfait aux yeux mêmes de l’un de ses acteurs les plus brillants, mais sa durée, la régularité de son fonctionnement, sa résistance dans les épreuves les plus difficiles, peuvent légitimement susciter l’envie chez les Français. Il semble, en effet, y avoir une fatalité française : malgré nos nombreuses révolutions et constitutions successives, à chaque fois, le système se corrompt à la mesure des hommes qui s’y incrustent et y impriment d’abord leur médiocrité puis leurs vices. La première a trois visages : le manque de courage, l’insuffisance du savoir, la préférence donnée à la posture idéologique ou au calcul électoral sur l’intérêt national ou le Bien Commun.
La « droite » au pouvoir n’a pas eu le courage des réformes nécessaires. La gauche a laissé croire qu’il était possible d’augmenter la redistribution sociale et de faire reculer le chômage sans redynamiser d’abord l’économie. Il lui a été difficile ensuite d’inverser le discours et elle s’est enlisée dans ses contradictions. Dans ce marasme, les fantasmes idéologiques de ceux dont la pensée politique ne dépasse guère le niveau du slogan et les calculs électoralistes personnels des démagogues s’en donnent à coeur joie. Dans un élan réformiste et réaliste, le gouvernement envisageait une loi qui avait le malheur de plaire à l’opposition et au patronat puisqu’elle fluidifiait le marché de l’emploi tout en introduisant des mesures positives pour les salariés, comme le référendum d’entreprise ou le compte personnel d’activité. Quelques manifestations et une grotesque « nuit debout », plus loin, avec une majorité de 74% des Français hostiles à une loi si mal présentée, le gouvernement a reculé. En offrant des gages à sa gauche, comme la taxation des CDD, il a perdu le soutien de la droite. Le résultat pour la démocratie parlementaire à la française est calamiteux : une nouvelle fois, l’exécutif va éteindre la bronca d’une partie de sa majorité en ayant recours à l’article du 49/3, qui résonne comme un calibre meurtrier du débat. Les 5000 amendements vont tomber. Autrement dit, le Parlement n’aura servi à rien. Certes, le général de Gaulle voulait que l’exécutif l’emporte pour redonner à l’Etat une vigueur salutaire, mais lorsque le pouvoir n’a convaincu ni sa majorité ni la population et qu’il passe en force, pour la seconde fois, sur des sujets économiques, le divorce est acté, et il serait plus juste d’avoir recours au peuple. On peut imaginer d’ailleurs que cela se produise si un nombre suffisant de frondeurs joignaient leurs voix à une motion de censure de droite( article figaro ). Ce suicide collectif conduirait sans doute à une dissolution, et peut-être à une période nocive pour la santé économique du pays, pour sa place dans le monde. L’impréparation politique de l’opposition, qui l’emporterait haut la main, pourrait même, dans le pire des cas, aboutir à une réélection inattendue après une cohabitation chaotique. Là encore, ces hypothèses montrent combien le fonctionnement de notre démocratie est bancal.
S’ajoute à cela un délabrement intellectuel et moral consternant du personnel politique. DSK, Cahuzac, Thevenoud, Sylvie Andrieux, qui comme le ministre frappé de phobie administrative, siège toujours à l’Assemblée, malgré sa condamnation en appel, et maintenant Baupin dénoncé par des « amies » politiques qu’il serrait de trop près, cela commence à faire beaucoup. Il s’était mis du rouge à lèvres avec quelques collègues pour affirmer son féminisme. Les victimes de ses « débordements d’affection » ne l’ont pas supporté. Les comportements sont indignes, le niveau est minable. Philippe de Villiers disait récemment que le milieu politique était devenu « un cloaque irrespirable », et il pensait aussi aux règlements de comptes de ses anciens amis de « droite », en l’occurrence. Il reprenait le mot employé par Maurice Barrès, cet écrivain et député, qui avait dénoncé le climat délétère de la politique parlementaire lors de l’affaire « Rochette ». C’était en 1914, « Dans le cloaque » à la suite de sa participation à la Commission d’enquête présidée par Jaurès. La Commission de 1914 n’avait abouti à aucune sanction contre les Ministres en cause, Caillaux, notamment, dont la femme assassina le journaliste Calmette. Le spectacle a perdu de son éclat. Les grands orateurs ont disparu. Les affaires ne se terminent plus par des assassinats ou des tentatives de coups d’Etat. Mais l’inefficacité du système est angoissante. Ce système et ces gens sont-ils à la mesure des problème de la France, à la mesure de la France, tout simplement ? Le cloaque est un canal d’évacuation. Il ne faudrait pas l’oublier.
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