Le jour même où le peuple néerlandais vote non à l’Europe sans frontière, sans limite et sans nation, Emmanuel Macron lance un mouvement appelé En Marche. Les initiales qui sont aussi celles de l’intéressé fleurent bon le narcissisme qui règne dans le microcosme politico-médiatique. Il fait une bonne photo de une, avec un style proche de celui de Le Maire, jeune et lisse, sobrement décontracté, au centre : un produit « bio » de la politique éloigné de tout extrémisme, ni à gauche ni à droite, un bon candidat de consommation courante et sans danger, sans odeur ni saveur, vide pour une société ouverte, à moins que ce ne soit le contraire (Article du Point). La société ouverte, quel beau thème ! Chez Bergson, chez Popper encore, elle était le contraire des nationalismes qui avaient conduit à l’hécatombe, aux totalitarismes qui avaient écrasé les personnes. Chez Hayek, elle représentait l’état social assagi, vidé de ses rêves constructivistes, et réunissant des citoyens rationnels autour d’une loi issue de la sagesse du temps, la société commerçante plutôt que militaire. Chez Soros, dont la Fondation se réfère à ce concept, elle représente la fin des Etats-Nations, c’est-à-dire des peuples, la mort des démocraties au profit de la loi planétaire du marché dont une oligarchie seule peut saisir les mécanismes. Jacques Attali frétille d’enthousiasme à l’idée des risques d’une société ouverte. Il est vrai que quand on a toujours vécu dans l’ombre des pouvoirs, le mondialisme ne fait pas peur. Il ne peut inquiéter que ceux qui en sont éloignés, non seulement plus faibles, mais maintenant suspects de ne pas vouloir l’ouverture, le vivre-ensemble proclamé par ceux qui vivent entre soi de Paris à New York et ailleurs. On comprend pourquoi ses partisans usent du mot populisme pour disqualifier leurs adversaires. On comprend aussi pourquoi les peuples se rebiffent. La société ouverte leur annonçait l’avènement d’une démocratie libérale délivrée de l’autoritarisme, la victoire d’Athènes sur Sparte, et voilà que par un renversement progressif, c’est elle maintenant qui les prive de la liberté de choisir leur destin, d’avoir leur mot à dire. On en arrive au point où le libéralisme et la démocratie qui faisaient chemin ensemble se séparent et s’affrontent.
Alors, les Néerlandais, très démocratiquement, très tranquillement, ont dit non. Ils ont pu le dire parce qu’on leur a posé la question, parce qu’on a usé de la démocratie directe qui épouvante les oligarques parce qu’elle va briser leur tentative de domination continentale, puis mondiale. Les citoyens des Pays-Bas ont refusé le traité permettant l’ouverture de l’Union Européenne à l’Ukraine sur le plan économique, commercial et politique. Ils ont dit trois fois non : non à un élargissement sans fin, à une fuite en avant qui prive l’Europe de toute identité et de toute volonté raisonnable ; non à la tentative de détacher l’Ukraine du monde russe auquel elle est majoritairement et historiquement attachée, avec le risque de tendre à nouveau et inutilement les relations de l’Europe occidentale avec Moscou ; non aussi à l’Europe telle qu’elle est devenue, une technocratie sans âme, qui ignore les peuples et échoue dans ses entreprises, de l’Euro à Schengen. Les Hollandais ont voté à 61% contre le traité et ont participé au scrutin à 32%. Le vote est donc clair et légitime. Les parlementaires vont-ils contredire ce choix ? Les politiciens vont sans doute chercher un compromis afin de faire passer la pilule, comme Cameron l’a fait en négociant à Bruxelles pour donner moins de chances au Brexit. Mais, de plus en plus, l’idée que le destin des peuples est univoque, connu seulement de ceux, de centre-gauche ou de centre-droit, qui n’ont de cesse de gouverner ensemble, va lasser les électeurs, les convaincre que la seule manière de sauver la démocratie est de refuser la voie unique et de choisir l’autre, celle où il se sentiront à nouveau libres. Ce jour-là, M. Macron pourra retrouver sa banque. La révolution sera En Marche !
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