Que François Hollande ne soit pas l’homme qu’il faut où il faut est une évidence. Mais il n’est pas là par hasard, même celui d’une rencontre matinale dans un hôtel new-yorkais. L’ancien Premier Secrétaire du PS n’est pas fait pour être Président de la République, c’est entendu, mais c’est un homme de pouvoir, peut-être plus habile à agir dans les coulisses et à jongler au milieu des arcanes politiciennes qu’à représenter et diriger la France. Le voici en train d’exploiter le marasme de la gauche et du parti socialiste, en particulier. En touchant le fond après le naufrage municipal, il saisit l’occasion de rebondir par une manoeuvre qui révèle d’ailleurs la réalité du pouvoir dans notre pays.
Le pouvoir se compose d’une apparence et de trois réalités. Constitutionnellement, dans la Ve République, le pouvoir, c’est d’abord l’exécutif, avec le Chef de l’État, élu du suffrage universel, et à peu près délivré de la cohabitation par le quinquennat, mais surtout avec le Gouvernement, à l’origine de la plupart des lois, et qui en assure l’application, ainsi que la conduite des affaires du pays, au quotidien. C’est une illusion. M. Copé a beau jeu de dire que le nouveau gouvernement est conçu pour la « com » plus que pour mener le redressement du pays. C’était vrai du temps de Nicolas Sarkozy. Ses gouvernements reposaient sur un « casting », une distribution d’affiche plus que sur le choix des convictions et des compétences, l’un n’excluant pas toujours l’autre. C’est ainsi que M. Jouyet, ancien collaborateur de Jacques Delors à la Commission de Bruxelles, avait été chargé des Affaires Européennes, dans le cadre de l’opération de communication calamiteuse de l’ouverture à gauche. Le premier film du mandat présidentiel ayant vidé les salles avec un acteur vieillissant entouré d’une bande de comédiens désinvoltes qui connaissaient mal leur texte, mais n’hésitaient pas à lui voler les répliques, le metteur en scène essaie de se refaire. Le genre est cette fois défini. C’est le drame. Il fut sauver la France, et en passant, le soldat PS. Dans le rôle du jeune premier sauveur, un espagnol au regard fier et au discours volontaire, Manel Valls joue à merveille. Autour de lui, la parité, le dosage des icônes médiatiques, des incompétents beaux parleurs ou taiseux, des courants du parti permettront de satisfaire les militants et peut-être des électeurs qui apprécient la franchise parfois maladroite, mais pas toujours à gauche de Ségolène Royal, le patriotisme économique revendiqué par Montebourg ou l’idéologie gauchiste de Hamon. La réunion bimensuelle de l’ensemble des ministres et Secrétaires d’Etat sous la présidence de Valls aura pour but de mieux répéter les séquences et d’éviter les couacs. Le premier vrai pouvoir derrière le spectacle gouvernemental, c’est celui des critiques, c’est-à-dire des médias.
“Valls en vitrine, la boutique rénovée a un an pour retrouver sa clientèle aux prochaines régionales.”
Mais un jeu de chaises musicales révèle les deux autres. Le lamentable Harlem Désir qui assumait son rôle de disque rayé de SOS racisme à la tête du PS est éjecté. Il devient Secrétaire d’Etat aux Affaires Européennes. Cette étonnante récompense d’un échec désastreux et d’une incompétence notoire est riche d’enseignements. N’importe qui peut être ministre, et les Affaires Européennes sont secondaires. Il a pantouflé comme la plupart des députés français au Parlement Européen, c’est bien suffisant. En revanche, Jean-Pierre Jouyet qui occupa ce poste sous Sarkozy, devient Grand Vizir, Secrétaire Général de l’Elysée, comme Balladur sous Pompidou, Villepin sous Chirac, mais comme beaucoup de ses prédécesseurs, sans ambition présidentielle. C’est un haut-fonctionnaire, ami de François Hollande, depuis qu’ils ont été ensemble de la promotion Voltaire à l’ENA, et tout aussi social-démocrate que lui. J’ai eu l’occasion de l’auditionner pour mon rapport sur les Autorités Administratives Indépendantes lorsqu’il présidait l’Autorité des Marchés Financiers. Courtois, pondéré, compétent, il offre au Président, par son parcours, de Bruxelles jusqu’à la Caisse des Dépôts, un savoir-faire technique qui à travers ses antennes dans tous les ministères lui permettra d’être le véritable pilote du navire. Le second vrai pouvoir, c’est celui de la technocratie, une technocratie en phase avec la pensée unique qui règne à Bruxelles.
Enfin, il y a le pouvoir par lequel, aux antipodes de ce que voulait le Général de Gaulle, tous les Présidents sont entrés à l’Elysée depuis Mitterrand : le Parti. Le parti, à gauche comme à droite, ce ne sont pas les militants, la claque pour applaudir, le tiroir-caisse lorsque l’argent des contribuables ne suffit pas. Le parti, c’est l’appareil, ses apparatchiks et ses barons, les mêmes quelques années après, lorsqu’ils n’ont pas confondu les affaires publiques avec les affaires tout court. C’est par lui qu’on garde ou qu’on prend le pouvoir : Balladur ne l’avait pas compris. Sarkozy a su en tirer la leçon. Le corps-à-corps Copé-Fillon a été mortel pour cette raison. En se désintéressant de plus en plus d’une politique dont la cuisine leur paraît peu ragoutante, les Français s’abstiennent ou votent distraitement pour un sigle plus que pour une personne. Les municipales viennent de le confirmer globalement. Le départ de l’image symbolique du métissage du sommet du PS, et l’arrivée de Cambadélis, qui devra éviter les paroles à contre-temps et redonner du sérieux à un parti qui a perdu de sa crédibilité, verrouillent le troisième pouvoir. Venu de l’extrême-gauche, Cambadélis, adversaire acharné du Front National, était proche de Strauss-Kahn. Capable de faire oublier des condamnations qui ne portaient ni sur ses moeurs ni sur ses propos, il jouit d’une faculté d’adaptation remarquable. Il est vrai qu’on survit davantage en politique après des affaires douteuses qu’après avoir usé de sa liberté d’expression. J’en sais quelque chose.
Les élections européennes ne changeront rien, quel qu’en soit le résultat, tant elles comptent peu. Valls en vitrine, la boutique rénovée a un an pour retrouver sa clientèle aux prochaines régionales.
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