Tribune libre de Jean-Michel Castaing*
De quoi le projet de loi du « mariage pour tous » est-il le signe ? D’abord d’une époque où la subjectivité des émotions passe avant l’objectivité de la vérité « partout et toujours ». L’argument « ils s’aiment » a remplacé la constante anthropologique pour laquelle le mariage est fondé sur l’union de deux personnes de sexe différent et sur la nécessité de perpétuer l’espèce. C’est ainsi qu’il ne manquera jamais de stars qui vous expliqueront doctement qu’ils connaissent des couples homosexuels tout à fait capables d’élever des enfants. Comme si les réseaux de ces people valaient à eux-seuls vérité universelle !
Ce subjectivisme prolonge aussi une ancienne hérésie affirmant qu’à la loi du corps incarné, c’est à dire le temps de l’Église Corps du Christ, doit succéder une période, un « âge » de l’humanité, marqué du sceau de « l’Esprit ». Durant cet âge « spirituel », ce ne seront plus les cléricaux et leur religion positive (avec ses dogmes, ses commandements, ses sacrements, sa hiérarchie) qui délivreront l’ultime message du vrai Christ, mais les « spirituels ». Ceux-ci, en s’abreuvant directement à la source de l’Esprit sans passer par la lourdeur des médiations ecclésiales, ne seront plus tributaires de la loi du corps, de tout le bric-à-brac charnel dont l’Église institutionnelle s’encombre encore (par exemple avec ses sacrements qui doivent passer par le corps : manger, boire, oindre d’huile, parler, etc.).
Quel rapport cette “loi de l’Esprit” succédant à celle du “Corps incarné” a-t-elle à voir avec le projet du « mariage pour tous » ? C’est que, maintenant, la sexualité est censée dépendre davantage de « l’esprit » que du corps, de l’identité fantasmée que de la différence biologique masculin-féminin. Celle-ci est conçue comme une gangue essentialiste, c’est-à-dire comme une donnée naturelle contraignante dont nous devrions nous débarrasser afin d’accéder à la liberté. La nature, voilà l’ennemi ! Vivent les orientations sexuelles librement choisies !
Le projet de loi du « mariage pour tous » est aussi le signe d’une époque qui désire en revenir à l’indifférenciation originelle. Qu’est-ce qui peut bien la motiver dans un tel projet ? Tout simplement le désir de voir le principe de plaisir prendre le dessus sur celui de réalité. « La nuit, toutes les vaches sont grises », comme le remarquait Hegel. La nuit, en gommant les formes, les aspérités du réel, nous ramène à un monde sans conflit, un monde fœtal. Symptôme régressif. Monde de bisounours où il n’y rien à craindre des emmerdements liés à la différence sexuelle et ses malentendus sans fin. “Le mariage pour tous”, c’est un peu la même chose. Qui ne signerait pas des deux mains ? Seulement, ce monde-là n’existe pas, et c’est ici que les choses se compliquent.
Le déni de l’altérité homme-femme plonge ses racines dans ce désir d’en revenir à cette indifférenciation qui est comme un pied de nez lancé à la Création. Car Dieu créé en séparant. Il ne s’agit pas de ne pas reconnaître la réalité de l’homosexualité. Mais l’inscrire dans le cadre du mariage, c’est faire de celui-ci l’institutionnalisation d’un ressenti, d’un penchant. Or le mariage ne sanctionne pas des sentiments ou une orientation: il est une réalité objective, une loi du « corps incarné », qui ne peut être à la merci de la loi de l’offre et de la demande. Le mariage d’un homme et d’une femme nous rappelle qu’il n’appartient pas à l’homme de décider de la vérité de l’homme.
Seuls les totalitarismes ont désiré changer notre nature: surhomme « arien » ou homo sovieticus. On connaît la suite.
Le « mariage pour tous » signale également le triomphe des spiritualités sauvages au sein du paysage religieux postmoderne. Notre civilisation, aussi matérialiste qu’elle se veuille, n’a pas congédié définitivement toute spiritualité. Le « mariage pour tous » nous apprend que celle-ci est désormais centrée sur les besoins changeants de l’individu. Ce n’est plus le sujet qui tourne autour de la Vérité, c’est maintenant le spirituel (assez nébuleux et malléable pour cela) qui est au service de mon “épanouissement”. Révolution copernicienne dont le « mariage homo » est un symptôme parmi d’autres. « L’épanouissement pour tous! » car « c’est mon choix » et que « je le vaux bien » !
Avant, le mariage était le signe d’une réalité transcendante, l’Alliance de Dieu avec les hommes, une Alliance venue d’ailleurs, comme il était aussi une réalité objective sanctionnée par la société. Aujourd’hui, il est devenu le signe d’une époque syncrétiste valorisant le choix individuel, les croyances venues d’ailleurs. Mariage comme réalité immanente, ne renvoyant qu’aux seuls sentiments de ceux qui le contractent. Et on s’étonne après qu’un sur deux capote !
La spiritualité est désormais un bien de consommation comme un autre. Le mariage idem. De même que le marché global nous a tous transformés en consommateurs, de même la libre concurrence des religiosités sauvages a rendu le mariage aussi plastique que l’individu invertébré de la postmodernité, zombi inconsistant livré pieds et mains liés aux prescripteurs de Babylone. Il est « pour tous », car nul ne saurait s’exempter de le consommer, quelle que soit la façon dont on s’y prendra pour cela. Et pas besoin de « consommation » à la mode catho, avec deux corps de sexe différent qui s’étreignent. Cette modalité n’a plus cours à l’âge du « Verseau ». On veut désormais du sentiment et du « spirituel », même si c’est de la contrefaçon de supermarché. Spiritualité régressive nous ramenant quelques années en arrière. Un canon pointé sur nos identités patiemment construites d’adultes. Une arme fœtale.
*Jean-Michel Castaing est l’auteur de 48 objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent aux Éditions Salvator.
Du même auteur :
> Derrière le «mariage pour tous», le ressentiment
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