Tribune libre d’Alain Mathieu*
Nicolas Sarkozy ne ménage pas sa peine : à peine rentré d’un voyage de 36 heures à la Réunion, il a dévoilé le 5 avril une lettre aux Français, les 32 propositions de son programme et le chiffrage intégral de ses promesses de campagne et de leur financement. Il a, en outre, tenu une conférence de presse d’une heure et demie pour expliquer le tout.
Cette débauche de quatre initiatives majeures le même jour a sa contrepartie : des contradictions entre ces initiatives, qu’apparemment, personne n’a coordonnées.
La conférence de presse, à laquelle assistaient de nombreux journalistes étrangers, fut impressionnante, tant par les réponses éloquentes et acérées aux questions des journalistes que par la définition des priorités du candidat : 1) la compétitivité des entreprises françaises ; 2) la réduction de la dette et des déficits.
Deux heures pour rétablir les finances publiques
Enfin les vrais problèmes de notre pays étaient mis sur la table et clairement exposés ! Car, après les élections, la France ne pourra pas attendre deux ans pour lancer un programme de rétablissement de ses finances publiques comme en 1983, mais deux heures, a dit le président.
Deux heures est peut-être exagéré, mais deux semaines ne le sera sans doute pas. La réaction de nos prêteurs étrangers sera rapide, comme ils l’ont montré à l’égard de la Grèce, de l’Espagne ou de l’Italie. S’ils ne croient pas que la France est en voie de redressement financier, le gouvernement français rencontrera des difficultés insurmontables pour financer ses dépenses.
La lettre de 34 pages aux Français ne vise pas à rassurer nos prêteurs, mais à gagner des voix. Il y est donc question d’immigration à réduire, de parachutes dorés à supprimer, du droit d’appel pour les victimes de criminels.
Il faut attendre la page 16 pour aborder les questions financières, du reste de façon démagogique : la « mondialisation sans règles » a mis « le profit au-dessus de l’humain » et « substitué le pouvoir des marchés à celui des peuples et des Etats » ; les causes de la crise sont « les hedge funds, la titrisation, la spéculation », bref les financiers internationaux qui assurent les fins de mois du gouvernement.
Des promesses déjà faites
Il n’y est pas question d’économies de dépenses publiques. D’ailleurs « les mesures de relance ont évité le pire » et l’augmentation des impôts est nécessaire. Cette lettre est en totale contradiction avec les priorités annoncées dans la conférence de presse.
Les 32 propositions du candidat sont une récapitulation de promesses déjà faites. Peu de précisions nouvelles y sont annoncées. Cependant les accords « compétitivité-emploi » qui permettraient aux entreprises, comme en Allemagne, de déroger aux accords de branche ne concerneront plus les salaires (à la différence de l’Allemagne), ce qui réduira fortement leur efficacité pour préserver l’emploi.
Le 29 janvier, Nicolas Sarkozy avait dit que ces accords permettraient de« décider de privilégier l’emploi sur le salaire ou le salaire sur l’emploi ». Il n’en est plus question. Pourquoi une telle inutile concession aux syndicats ?
On se demande comment la promesse d’augmenter de 30 % les droits de construire sera tenue, alors que ces droits sont octroyés par les maires. A quoi seront occupées les « sept heures d’activité d’intérêt général obligatoire par semaine pour les titulaires du RSA » ? A quel rythme seront créées les« 750 maisons de santé supplémentaires » et les « 200 000 places de gardes d’enfants » ? Que sera la « réforme de la justice des mineurs » ?
Toutes ces questions sont sans réponse. Le chiffre de 26 heures par semaine de présence à l’école pour les enseignants du secondaire, annoncé précédemment, n’est pas repris, et d’ailleurs les enseignants du lycée ne se verront plus proposer une augmentation de leurs heures de présence, limitée maintenant aux seuls enseignants du collège.
Un chiffrage contradictoire
Quant au chiffrage du programme, il est en contradiction sur de nombreux points avec les documents précédents. Les sept heures d’activité générale ne seront plus obligatoires pour « les titulaires du RSA » mais seulement pour moins de 20 % d’entre eux, ceux qui sont à plus de 24 mois de RSA. Le coût en sera évidemment réduit.
Les 18 milliards prévus pour la rénovation urbaine ne coûteront que 0,3 milliard par an à l’État, les collectivités locales et les HLM étant supposées financer le reste. Le risque « dépendance » ne coûtera que 0,7 milliard par an, car il s’agit d’une « enveloppe », c’est-à-dire d’un chiffre tombé du ciel, et non d’une estimation à partir de mesures concrètes.
La baisse de 50 % des droits de mutation sur les résidences principales ne coûtera rien, car elle sera compensée par l’augmentation des transactions. Le raisonnement n’est pas faux, mais pourquoi ne pas l’étendre à tous les impôts : on pourrait ainsi les baisser tous, sans perte de recettes.
Cette politique a été mise en œuvre avec succès par Kennedy, Reagan, Fabius et bien d’autres, mais toujours refusée par les fonctionnaires du ministère des Finances. Ils doivent s’étrangler à la lecture de cette compensation qu’ils ont toujours refusé d’envisager !
Le chiffrage du programme a été fait si rapidement que les économies de dépenses de personnel y ont été comptées deux fois : une première fois comme économies dues à la RGPP (revue générale des politiques publiques) (6 milliards) et une deuxième fois comme économies de dépenses de personnel proprement dites (7 milliards dont 2,5 pour les frais de personnel des collectivités locales de plus de 30 000 habitants, chiffre bien peu réaliste quand on sait que la RGPP n’a procuré chaque année que 0,2 milliard d’économies de dépenses du personnel de l’État).
Quant à la Prime pour l’emploi, la sixième des 32 propositions annonce qu’elle sera « intégrée » au salaire, ce qui procurera une « hausse du salaire net des salariés de 840 euros par an » pour sept millions de salariés. Elle ne sera donc pas supprimée et aucune économie ne peut en être attendue. Cependant le chiffrage du programme comporte l’économie suivante : « suppression de la prime pour l’emploi (2,5 milliards) ». Où est la vérité ?
L’«exit tax» pourrait rapporter 500 millions d’euros par an
L’ « exit tax », c’est-à-dire l’impôt payé par les contribuables qui quittent la France, ne devait être perçu qu’au moment où ces exilés vendraient leur patrimoine, c’est-à-dire à une date incertaine et pour la plupart éloignée. Le chiffrage l’évalue cependant à 500 millions par an dès la première année ! Dans sa conférence de presse, Nicolas Sarkozy a même indiqué que ces exilés pourraient y échapper en changeant de nationalité !
Toutes ces incohérences ne seront pas perçues par les électeurs. Elles auront donc peu d’influence sur le résultat des élections. Un programme électoral n’est pas fait pour être appliqué, mais pour attirer des voix. Elles illustrent une méthode de gouvernement brouillonne, sans la moindre conviction.
A l’exception d’une seule : il est plus facile d’augmenter les impôts et charges (qui doivent passer de 43,8% du PIB à 45,8 % en 2016) que de lutter contre les gaspillages d’argent public. Cette conviction a guidé la politique menée depuis cinq ans.
Mais cette politique ne pourra pas être poursuivie cinq ans de plus. Nos créanciers étrangers s’y opposeront. Car ils savent que les augmentations d’impôt pénalisent la compétitivité des entreprises et affaiblissent le pays, alors qu’une meilleure gestion des fonds publics le dynamise.
Le nouveau président, quel qu’il soit, l’aura probablement compris, peut-être même dans les deux heures suivant son élection. Si ce n’est pas le cas, les Allemands et le FMI le lui feront comprendre.
*Alain Mathieu est le président de l’association Contribuables associés (site).
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