Le paysage politique du proche et du moyen orient paraît un écheveau d’une complexité inouïe, un noeud gordien qu’aucune épée ne pourrait trancher, même si c’est l’endroit du monde qui en attire le plus. Etats, nations, ethnies, religions, civilisations, ressources énergétiques, et puissances étrangères y composent un entrelacs que l’histoire a compliqué à plaisir. Les musulmans y sont les plus nombreux, mais sont divisés entre la minorité chiite, la majorité sunnite et d’autres appartenances confessionnelles comme les druzes ou les alaouïtes. Les chrétiens dont c’est le berceau ont survécu à la persécution musulmane, mais sont eux-mêmes, malgré leur nombre réduit, divisés en de multiples églises. Les Arabes, les Juifs, les Turcs et les Perses, mais aussi les Kurdes sont des groupes qui revendiquent leur identité linguistique et civilisationnelle souvent, mais pas toujours, reliée à la religion. La volonté émancipatrice des Arabes s’est forgée d’abord contre les Turcs de l’Empire ottoman qui les a dominés pendant des siècles. Elle a emprunté ensuite deux voies radicalement opposées, celle du nationalisme arabe, laïc, et volontiers imitateur du nationalisme européen, avec le parti Baas, celui de Bachar Al-Assad, par exemple, et celle du réveil islamique, cette fois clairement anti-occidental, nostalgique d’un retour aux heures glorieuses du califat, avec les Frères musulmans. Les Turcs se sont eux libérés de l’islam qu’ils accusaient, non sans raison, à l’époque d’Atatürk, d’être responsable de leur décadence et de leur retard. L’AKP d’Erdogan, proche des Frères musulmans, caresse, au contraire, à nouveau l’idée d’une Turquie reprenant le glaive de l’islam pour assurer son rayonnement sur la région. L’Iran, d’abord séduit par la révolution laïque turque, avait pris le même chemin avec le fondateur de la dynastie Pahlavi, mais en permanence humilié par la mainmise des puissances étrangères, il a, le premier subi une révolution islamique, chiite, puisque la vieille et persistante identité perse a toujours cultivé sa différence religieuse. Les deux guerres mondiales ont permis à un peuple de revenir s’établir dans la région et d’y construire un Etat, d’une force sans commune mesure avec sa surface, profondément différent de tous ceux qui l’entourent, notamment en raison de son développement économique et scientifique, et aussi parce qu’il est, dans cette partie du monde, l’exception démocratique. Il s’agit d’Israël. Enfin, tous les autres Etats de la région ont leur spécificité historique et politique. Seuls les Kurdes sont en attente du leur, frustrés d’une promesse non tenue depuis le lendemain de la première guerre mondiale. Le destin du moyen-orient a, en effet, depuis ce temps été grandement influencé par les richesses énergétiques de son sous-sol, et les convoitises qu’elles ont suscitées.
La politique française a manqué, là comme ailleurs, de constance et de cohérence. La France aurait pu y jouer le premier rôle comme elle le fit, au XIXe siècle, en soutenant Mehemet Ali, le vice-roi d’Egypte dans sa révolte contre l’Empire ottoman, mais elle a préféré se mettre dans la roue de l’Angleterre. C’est ainsi que lors du partage des dépouilles arabes de l’Empire turc, elle a laissé l’Irak et son pétrole à Londres en limitant son mandat à la Syrie et au Liban actuels. La France avait une mission particulière qui était la protection des chrétiens sujets des Ottomans. Cet enracinement français datait pratiquement des croisades et s’était maintenu notamment dans le lien particulier avec les maronites libanais, et la protection des lieux saints de Jerusalem, obtenue lors des « capitulations », rappelée récemment lors d’une visite du président Macron. Mais là encore, le désintérêt des derniers gouvernements français pour les Chrétiens d’Orient, leur tropisme vers les richesses des émirats pétroliers, ont souligné une inconstance, qui a déçu nos alliés. Nos traditionnels rivaux auprès des chrétiens ont pris la place : ce sont les Russes qui occupent désormais le terrain. On serait en peine de définir la stratégie française dans l’histoire récente de cette région du monde : alliée d’Israël contre les nationalistes arabes sous la quatrième république, à l’époque de la guerre d’Algérie, puis plus distante de l’Etat juif, et plus proche des nations arabes, comme l’Irak et la Syrie, et de l’Iran du Shah, sous la cinquième république gaulliste, la France n’a cessé de brûler ses vaisseaux. Elle a accueilli l’Imam Khomeyni avant qu’il ne renverse le Shah, puis a soutenu l’Irak de Saddam Hussein contre l’Iran des mollahs. Cela nous a coûté les cinquante-huit parachutistes tués au Drakkar par le hezbollah au service de l’Iran. Par la suite, elle a courtisé non sans succès les monarchies du golfe, le Qatar sous Sarkozy, l’Arabie Saoudite sous Hollande, sans toujours voir que les richesses présentes de pays fragiles valent moins que l’avenir politique des grandes nations. Engagée avec les Anglo-saxons auprès des islamistes et contre les nationalistes, au nom d’une fallacieuse ingérence humanitaire glorifiée de manière grotesque par BHL et cie, au premier rang en Libye, puis comme comparse en Syrie, la France a démenti son orientation précédente, celle qui avait suscité l’opposition à l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis. Cette volte-face est sans doute le point culminant de la bêtise de notre « diplomatie » : nous avons contribué au chaos qui menace le Sahel, été les complices du massacre des chrétiens en Syrie, et laissé la place aux Russes sur le plan politique et aux Anglo-saxons sur le plan économique. Nous avons, du même coup, favorisé les migrations que notre pays supporte de plus en plus mal. On peut difficilement être plus mauvais ! Il est essentiel pour notre pays de renouer avec lui-même, avec une stratégie qui soit à la hauteur de son passé. (à suivre)