Certes, il y a l’individualisme des Français, mais l’explication serait un peu courte. Le fait que nos compatriotes aient été si peu nombreux à pavoiser, comme le leur avait demandé Hollande, leurs balcons et fenêtres du drapeau tricolore, le vendredi 27 novembre, jour de l’hommage national aux victimes du terrorisme islamiste, est avant tout le signe d’une perte totale de légitimité.
Ce n’est pas d’être récupérés par le pouvoir que les Français ont craint. Non, c’est bien plus simple que cela : Hollande parle désormais dans le vide et un hommage rendu par un gouvernement qui n’est plus ressenti que comme un pouvoir de fait est à leurs yeux nul et non avenu. Et ce n’est pas le raout écologique, la green party du Bourget à laquelle, paraît-il, la survie de la planète est suspendue, qui va les réconcilier avec leur « président normal ». Comment camper en sauveur du monde l’homme qui s’est révélé incapable de protéger ses concitoyens au cœur du XIe arrondissement de Paris ?
« Ceux qui nous frappent savent que nous sommes vulnérables. Ils savent que la société française, que les sociétés européennes, occidentales sont fragiles parce qu’un profond malaise les étreint. Ce malaise est dans l’école, dans la culture, dans la justice, dans l’économie, dans la politique. » Comment ne pas être d’accord avec une analyse aussi lucide ? Oui, il convient de dénoncer « des décennies de renoncements, de reniements et de lâchetés collectives », ainsi que la politique européenne, notamment l’incapacité à « réformer Schengen », ou l’obsession aveugle « à s’élargir » sans fin. Oui, nous aussi, « nous n’acceptons pas de voir disparaître » « la France de toujours ». Oui, « un pays n’est pas une page blanche » — Maurras évoquait un « terrain vague » — sur laquelle il n’y aurait « plus de nations, plus d’État, plus de frontières, plus d’identités, plus d’attaches, plus d’héritage ». Et pourtant, comment le dégoût ne nous prendrait-il pas en apprenant que c’est Sarkozy qui a osé proférer de tels mensonges — dans sa bouche — à Schiltigheim en Alsace, le 25 novembre dernier ? Cherchant à se présenter non pas tant comme le chef des Républicains que comme l’ancien chef de l’Etat, évitant dès lors, pour prendre de la hauteur, de critiquer trop directement Hollande et la gauche mais désireux tout de même de (re)lancer la campagne pour les régionales, il est surtout apparu comme un ancien président en campagne pour 2017… Instrumentaliser la situation dramatique du pays pour retrouver les accents virils et patriotiques de 2007 et de 2012, quelle indécence ! Croire que les Français seront majoritairement dupes, quel aveuglement ! Lui dont la politique a précisément eu pour effet d’aggraver le malaise « dans l’école, dans la culture, dans la justice, dans l’économie, dans la politique ». Lui qui a soumis la France au délire de l’Europe ouverte à tous les vents via la forfaiture du traité de Lisbonne. Lui qui a déstabilisé la Libye, dont la situation devient chaque jour plus menaçante, et commencé d’apporter un soutien aux « rebelles » syriens avant que Hollande ne poursuive dans la même voie. Lui qui a favorisé comme jamais l’immigration et a écrit, le 31 mars 2009, dans sa lettre de mission pour le débat sur l’identité nationale, que « l’ensemble des personnes qui vivent sur le territoire de la République, quelles que soient leurs origines, qu’ils soient étrangers ou français », « tous sont appelés à être des citoyens ». « Notre Nation est métissée. L’immigration constitue une source d’enrichissement permanent de notre identité nationale. […] La France dont nous défendons les couleurs est une France ouverte sur les autres, sur le monde, sur l’avenir. C’est une France qui évolue avec son temps. C’est une France à laquelle chaque nouvel arrivant, chaque nouveau Français apporte son histoire, les richesses de son origine, sa contribution. » Oui, pour Sarkozy, la France est bien une page blanche que chacun peut venir colorier, et ensanglanter, à sa guise.
Il lui était d’ailleurs facile de prouver sa toute nouvelle conversion à la « France de toujours » : Baroin lui en offrait l’occasion sur un plateau. Sur ordre du Grand Orient de France, le président de l’Association des Maires de France (AMF) n’a-t-il pas demandé, moins d’une semaine après les attentats islamistes contre les « croisés » et les « infidèles » et à une semaine de l’Avent, une loi interdisant les crèches dans les lieux publics ? Or Sarkozy s’est bien gardé de dénoncer cette atteinte à la « France de toujours ». Chez les Baroin, on est maçon de père en fils et l’AMF, que quittent des maires patriotes chaque jour plus nombreux, n’est plus que le vecteur de cette haine froide du christianisme qu’une définition particulièrement sectaire de la laïcité doit propager : « Une approche philosophique du vivre ensemble que l’on peut qualifier d’humaniste parce qu’elle ne se réfère à aucun dogme religieux ni à aucune vérité “révélée” et qu’elle n’est soumise à aucun appareil religieux. » Comme l’a commenté Gérard Leclerc sur Radio Notre-Dame (24 novembre), « cette définition, qui sent bon le rationalisme rabougri et le b-a ba de la rue Cadet, est tout simplement inepte ». Et n’a évidemment rien de laïque, si être laïque, c’est simplement respecter la croyance ou la non-croyance de chacun. Oui, nos élites sont décidément indignes de la situation où leur carriérisme et les groupes de pression les ont placées. A droite comme à gauche, elles témoignent d’une coupure totale avec l’être même de la France.
Un être qu’ignore le régime des partis, lequel transforme tout ce qu’il touche. Ainsi des élections régionales, qui n’ont plus de régionales que le nom. Comment en serait-il autrement alors que les nouvelles régions arbitrairement dessinées par le pays légal ne correspondent à rien ? On n’est même pas sûr qu’elles aient une logique économique puisque aucune étude d’impact n’a précédé leurs nouveaux contours. Ce qui ne signifie pas que l’enjeu régional n’existe pas, au contraire : fédéraliste par essence, l’Action française est peut-être la seule à proposer un projet en ce sens. Mais en attendant, il faut bien se prononcer au plan national, c’est-à-dire, car la république travestit tous les mots, au plan politicien. Un vote PS ou LR est évidemment inenvisageable. Que reste-t-il ? Les candidats qui partagent sur l’indépendance nationale, l’Europe ou l’immigration des analyses proches des nôtres. Deux listes sont donc théoriquement possibles. Mais tout est aussi fonction des personnalités, régionales ou départementales. Par exemple, dans la Somme, l’une des deux listes possibles cache, derrière un paravent patriotique, un vrai vote LGBT. Quant à l’Île-de-France, Wallerand de Saint-Just joue, pour compenser son défaut de notoriété, sur un homonyme de sinistre mémoire et ne propose aux Franciliens sur ses affiches d’autre choix qu’entre la djihadiste en bonnet phrygien de 1793 et celle, voilée, d’aujourd’hui. Avant de se faire siffler par ses éventuels électeurs pour avoir taclé les positions sociétales de Marion Maréchal-Le Pen. Manifestement, certains croient que se dédiaboliser, c’est comme s’encanailler sur le tard : il suffirait pour cela d’adopter les codes devenus ringards de l’après Mai-68, alors que le train de l’histoire, en avançant, a donné naissance à une jeunesse décomplexée qui n’a pas peur de renouer avec les fondements de la société.
C’est cette jeunesse qui renversera tous les politiciens qui, quelle que soit l’étiquette arborée, se révéleront indignes d’incarner la « France de toujours ».
> Cet éditorial a initialement été publié dans L’Action Française 2000 n°2921.
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