Le mois de Novembre est celui qui invite le plus aux souvenirs. Il commence avec la Toussaint confondue avec son lendemain, le jour dédié aux morts. Le 11 Novembre est l’anniversaire de l’armistice de 1918 qui marqua la fin de la Première Guerre Mondiale, cette grande illusion qui avec son million et demi de morts français, et sa victoire apparente, a surtout signé le déclin de l’Europe que la seconde guerre allait précipiter. Le 9 Novembre 1970, il y a 47 ans aujourd’hui, disparaissait le Général de Gaulle, qui avait incarné sa vie durant la volonté de restaurer la grandeur de la France. Le 7 Novembre c’est avec une grande discrétion que la Russie s’est souvenue de la Révolution d’Octobre, le coup d’Etat bolchéviste qui eut lieu le 25 Octobre du calendrier orthodoxe de l’époque, lequel est en retard par rapport à celui des catholiques, qui a prévalu.
L’Histoire n’est pas le passé mais la lecture de celui-ci. Bien des pages ont été arrachées par le temps et l’usure, d’autres l’ont été volontairement par les hommes, certaines sont lues avec éclat tandis que d’autres sont passées sous silence. L’Histoire est un objet d’étude qui aboutit à des connaissances toujours imparfaites, soit en raison de l’insuffisance des traces ou des documents, soit au travers de l’interprétation qu’on leur donne. La sélection des faits, le sens qui leur est attribué, le jugement porté sur les actions menées et sur les acteurs empêchent de considérer l’Histoire comme une science. L’utilisation partielle et partiale du passé par les commémorations distingue la mémoire de la connaissance historique. La mémoire est fondée sur l’intention de donner une signification présente au souvenir, peut-être aussi un sens porteur d’avenir. Pour certains hommes politiques, la célébration de faits anciens a pour but d’associer leur image à celle de personnages historiques ou de séduire des électeurs sensibles à l’évocation d’événements révolus dont le rappel constitue une source de cohésion. Il peut s’agir de ranimer l’unité nationale autour des fêtes ainsi qualifiées ou simplement de saluer une « communauté » particulière dont l’identité se nourrit d’une mémoire spécifique. Le 14 Juillet est pour la plupart des Français l’anniversaire de la prise de la Bastille et en quelque sorte celui de la République. C’est doublement faux puisque, officiellement, ce qu’on célèbre c’est le 14 Juillet 1790, la Fête de la Fédération, le jour de la réconciliation des Français au sein d’une monarchie constitutionnelle. Au début de la IIIe République, il fallait tenir compte des monarchistes encore nombreux. L’importance conférée à l’anniversaire de la rafle du Vel d’hiv par Mitterrand, et l’interprétation faite par Jacques Chirac ne sont pas anodines. Elles reconnaissaient le caractère particulier de la souffrance juive, quelque peu oubliée par rapport à la valorisation de la Résistance, mais elles traduisaient aussi le souci de saluer les mémoires des communautés au même titre que celle de la nation. L’évolution est significative : en 1993, Mitterrand instaure la célébration. En 1995, Chirac fait l’événement en reconnaissant la responsabilité de l’Etat français. Depuis Hollande et Macron sont allés plus loin, trop loin, en parlant de la responsabilité de la France, comme si la nomenclature vichyste et collaborationniste pouvait être assimilée à la France dans sa totalité, alors que le régime ne représentait plus les Français, et qu’une partie de ceux-ci entendait être la « vraie » France en continuant le combat contre l’Allemagne.
De Gaulle avait établi cette idée de la « vraie » France en dogme. Sans doute plus nombreux ont été les Français qui ont été complices de la persécution des Juifs que ceux qui ont répondu immédiatement à l’appel du 18 Juin 1940, mais ce sont ces derniers qui ont permis à la France de participer à sa propre libération et de retrouver sa place parmi les grandes nations. Vouloir mettre en garde contre la lâcheté et ses conséquences inhumaines est une intention louable, mais qui devient nocive lorsqu’elle souligne la médiocrité supposée de tout un peuple au lieu de mettre en valeur à travers des exemples son aptitude au courage et à la résilience. Le message compassionnel, pas nécessairement désintéressé électoralement, adressé à une communauté, ne doit pas se transformer en une stigmatisation de toute une nation sauf à ôter à celle-ci la fierté indispensable pour qu’elle soit debout face à l’avenir. Le Président Macron veut donner de l’importance à un homme historique, Clémenceau, dont il va célébrer le centenaire du second gouvernement, le 16 Novembre prochain. Un vainqueur, le « Père la victoire », un politique volontariste, un républicain : quoi de mieux pour s’identifier positivement et pour réaliser une OPA sur l’électorat patriote voire souverainiste de gauche, celui de Valls, de Chevènement, de Philippot ? Que Clémenceau ait gouverné la France pendant peu de temps et qu’il ait mis la main aux traités qui ont créé les conditions de la seconde guerre mondiale sera évidemment estompé. L’année prochaine, M.Macron nous conviera à nous souvenir de 1968, le « temps des illusions et des utopies ». On se doute que ce sera pour lui l’occasion de souligner son progressisme sociétal en rappelant les avancées et les libérations de cette année-là en même temps qu’il regrettera le manque de réalisme économique qui a habité la gauche depuis et jusqu’à son arrivée.
Il n’est pas facile pour un dirigeant de séparer ce qui est utile au pays de ce qui l’est pour son maintien au pouvoir. En Russie, Vladimir Poutine semble y parvenir. Le centenaire de la révolution d’Octobre 1917 aurait sans doute suscité des célébrations grandioses si l’URSS ne s’était pas écroulée. Le 7 Novembre n’a même pas été férié. Quelques rassemblements nostalgiques de communistes ont eu lieu. Manifestement, le Président russe, qui n’a pas non plus interdit les petites reconstitutions historiques, s’en est tenu à la ligne qui définit la formation politique qui le soutient : « Russie Unie ». L’Histoire doit rassembler et non diviser. Le coup d’Etat de Lénine a divisé la Russie, poussé des millions de Russes blancs à l’exil, créé un régime totalitaire impitoyable qui a coûté la vie à des millions de Russes, porté atteinte à l’identité nationale au travers de la persécution religieuse. Mais Poutine dit aussi que, si celui qui regrette l’URSS n’a pas de cerveau, celui qui se félicite de son effondrement n’a pas de coeur, parce qu’il efface une phase historique qui a vu la Russie accéder au sommet de sa puissance, et obtenir sur le nazisme une victoire d’une ampleur sans doute unique dans toute l’Histoire par le nombre des victimes, mais aussi par le courage déployé. Le défilé du 9 Mai sur la Place Rouge cherche tous les ans à être à la hauteur de ce passé.
Il serait bon qu’en France aussi, les célébrations appellent à l’unité et à la grandeur du pays. Rappeler cette exigence du devoir de mémoire le jour anniversaire de la mort du Général de Gaulle est un hommage à lui rendre.
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