La commission européenne de Jean-Claude Juncker, successeur de Manuel Barroso, n’est pas encore en place, car les noms des commissaires doivent encore être approuvés par le Parlement européen. Mais on s’interroge déjà sur ce qu’elle va proposer pour sortir l’Union européenne de la stagnation économique actuelle. De grands espoirs ont été fondés sur le « plan Juncker », qui ne sera connu en détail que cet hiver, mais dont on connaît l’essentiel : une relance par l’investissement de 300 milliards d’euros ! C’est une énième version de la relance keynésienne – qui a échoué partout – et à laquelle on peut prédire le même échec.
Croissance zéro et faible inflation dans la zone euro
Tout le monde, même le G20, s’inquiète de la faiblesse de l’activité dans l’Union européenne et en particulier dans la zone euro : 0,3% de croissance au dernier trimestre 2013, 0,2% au premier trimestre 2014 et 0% au second. Le Monde parle de l’Europe « maillon faible » et de « l’inquiétante faiblesse de l’activité ». Il est vrai que la croissance se porte mieux dans les autres pays développés et bien mieux dans les pays émergents et même dans les pays en développement. C’est dans la zone euro que la croissance est la plus faible au monde.
Certes on devrait nuancer d’un pays à l’autre. Dans certains pays, le chômage est inférieur de moitié à la moyenne européenne, c’est le cas de l’Allemagne qui a par ailleurs, sauf au second trimestre 2014, un rythme de croissance plus élevé que ses voisins, et qui continue à montrer sa compétitivité par ses excédents extérieurs, quand d’autres creusent leurs déficits commerciaux. En regardant dans le détail, on s’apercevrait que ceux qui s’en sortent un peu mieux sont ceux qui ont fait des réformes structurelles. Et on verrait aussi que l’Allemagne s’en sort mieux avec un budget équilibré, ce qui en dit long sur l’efficacité des relances budgétaires.
Ce qui chagrine les observateurs, c’est surtout la faiblesse du taux d’inflation : + 0,3% pour les douze derniers mois dans la zone euro. Le Monde en explique naïvement les raisons : « la faible inflation ralentit le processus de désendettement des Etats ». C’est sûr, car d’une part les Etats ne peuvent pas éternellement voler les épargnants en les remboursant en monnaie de singe, dépréciée par l’inflation, et d’autre part les Etats peuvent moins facilement voler leurs contribuables, alors que l’inflation gonfle les revenus nominaux, donc les impôts. Avec de l’inflation, les Etats pourraient se désendetter à moindre prix, sur le dos des autres, alors qu’avec la stabilité des prix, ils ne se désendettent que s’ils réduisent les dépenses.
Les médecins keynésiens au chevet de l’Europe
La situation européenne n’est guère brillante. Pourtant, ce ne sont pas les médecins qui manquent. Le docteur Draghi joue au super Mario en faisant tourner à toute vitesse la planche à billets, par des mesures non conventionnelles, sans effet, comme si on pouvait faire boire un âne qui n’a pas soif. Les médecins français laissent filer les déficits, persuadés qu’une vraie réduction des dépenses publiques freinerait plus encore la croissance. Bref, la politique keynésienne, monétaire ou budgétaire, séduit toujours nos dirigeants, même si tout démontre l’échec de ces politiques.
Voici un espoir nouveau, porté par Jean-Claude Juncker, soutenu par le gouvernement français. Le président de la Commission a déjà fait connaître ses idées novatrices et miraculeuses : un plan de relance de l’investissement de 300 milliards d’euros.
Il ignore sans doute que le bon investissement n’est pas fait par l’Etat, mais par des entrepreneurs qui innovent et prennent des risques, quand on les laisse faire, quand ils sont libres, qu’on ne leur confisque pas leurs profits par des impôts, qu’on ne les paralyse pas par des réglementations absurdes et qu’on ne change pas les règles du jeu toutes les cinq minutes. Cet investissement-là ferait repartir la croissance, mais il ne se commande pas par des manettes gouvernementales, mais par la liberté d’entreprendre.
300 milliards tombés du ciel ?
Ce n’est pas vers les entrepreneurs que se tourne Jean-Claude Juncker. C’est vers une opération audacieuse que certains (comme la Tribune) assimilent au « Saint Graal » que chercheraient en vain les gouvernements depuis plusieurs années. Cette audace a été du goût de François Hollande, qui a soutenu Juncker dès la mi-juillet, au moment où le futur président de la commission avait annoncé ce projet, destiné à être mis en œuvre dès la prise de fonction de la nouvelle Commission (au premier novembre prochain).
Pourtant, un léger détail du projet est encore ignoré : où trouver 300 milliards ? L’ancien premier ministre luxembourgeois écarte a priori tout nouvel endettement des Etats membres. Alors, va-t-il chercher le financement dans le budget de l’Union Européenne, peut-être en levant de nouveaux impôts? Même au prix d’un nouveau sacrifice du contribuable européen, ce serait un tour de magicien et personne n’y croit réellement. Le financement ne pourra donc venir que de la Banque Européenne d’Investissement, banque des Etats européens, qui pourrait emprunter sur les marchés financiers. Voici un nouveau tour de magie : les actionnaires de la BEI sont en effet les Etats, qui ne seront pas obligés d’accroître leur dette « souveraine » puisque c’est la BEI, dont ils sont actionnaires, qui empruntera à leur place ! D’autre part, la BEI ne répartira pas et ne gèrera pas elle-même 300 milliards, mais les projets d’investissements sélectionnés par la Commission induiront un accroissement spectaculaire des investissements privés. En passant, il évoque aussi une augmentation du capital de la BEI, c’est-à-dire un nouvel apport des Etats, qui trouveront de l’argent…en empruntant ! Avec un coup de pouce pour « réamorcer la pompe » (pomp priming) tout va donc redémarrer en Europe.
L’erreur keynésienne généralisée à l’Europe entière
Nous sommes en pleine magie keynésienne ; revoici le multiplicateur qui, à partir d’un effet initial de relance provoqué par des investissements publics, va répandre ses bienfaits sur toute l’économie. On dira que, grâce à la sélection de la BEI, ces investissements concerneront de grands projets, des infrastructures fort utiles. Mais on sait que les dirigeants des Etats ou de la Commission s’y entendent pour financer de grands projets qui ne correspondent souvent à rien de nécessaire ou restent inutilisés : en France, la Cour des comptes en dénonce chaque année de tragiques illustrations.
Quelle naïveté pour croire que ces investissements vont faire des petits, un effet boule de neige, parce que les entreprises vont suivre le mouvement, enthousiasmées par l’utilité des investissements publics dont on connaît la pertinence. Les tenants de ce plan de relance (sur trois ans, soit 0,78% du PIB européen par an, ce qui n’est pas le big bang) oublient l’effet d’éviction : les investissements publics, financés par les impôts ou les emprunts, vont évincer les investissements privés qui ne pourront avoir lieu faute de financement. Toute politique macro-économique débouche sur le « malinvestissement » : l’argent ne va pas aux emplois indiqués par le marché, le critère de rentabilité privée est ignoré.
La BEI pourra aussi garantir des financements privés, via des « Project Bonds » des « placements durables ». Nous voilà rassurés, surtout si c’est la Commission qui juge de leur pertinence : on sait que l’Etat pense savoir mieux que les entrepreneurs où il faut faire des investissements d’avenir. Si la Commission met en place un projet industriel, on peut être sûr d’avoir les dégâts observés en France par la « politique industrielle ». Jusqu’à présent l’échec de la « politique des grands travaux » a été observé partout et toujours.
Le plan Juncker, c’est le mythe de la relance par l’investissement public, transféré des Etats à l’Union européenne toute entière. Une erreur utilisée sur une plus vaste échelle reste une erreur. Le plan Juncker, c’est l’erreur keynésienne généralisée à l’Europe entière.
> Cette tribune est publiée en collaboration avec l’ALEPS.
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