Quand le sport télescope la géopolitique…

Sofiane Sehili est un sportif français dont la discipline est totalement confidentielle : les courses cyclistes d’ultradistance, c’est à dire de plusieurs milliers de kilomètres, sans assistance et sur tous les terrains. Il fait partie de ses sportifs dont on parle peu en dehors de leur discipline et qui n’ont les honneurs de l’Equipe que pendant les vacances, entre le pastis et la pétanque, à condition que le championnat de première ligue de football soit en suspens. Il y en a d’autres comme lui qui gagnent et qui méritent dans la pénombre et l’humilité, avec un courage et une abnégation peu commune. Pour mémoire citons le jeune Victor Bosoni, vingt-trois ans, qui a gagné cette année la course transcontinentale européenne : cinq mille kilomètres en dix jours, en vélo toujours, sans assistance. Sofiane Sehili a gagné beaucoup de courses et s’est lancé ( enfin plus précisément s’était) un nouveau défi : battre le record, en vélo et sans assistance toujours, entre le Portugal et Vladivostok : une soixantaine de jours de souffrances.

Jusqu’à ces jours derniers il était en avance sur ses prévisions et n’était plus qu’à quelques jours de son triomphe. Pour cela il devait quitter la Chine et finir en roue libre les derniers kilomètres de Sibérie.

Le problème est que, jusqu’à preuve du contraire, la Sibérie c’est la Russie.

L’histoire de Sofiane Sehili prend donc une portée symbolique dans son échec et elle témoigne définitivement de la triste réalité de notre société française.

Les faits sont simples. Les Russes interdisent le franchissement de la frontière sino-russe à cet endroit aux particuliers. La frontière n’est pas fermée mais elle ne peut être franchie qu’en train. On y voit une sage décision car dans le contexte géopolitique actuel, il me paraît évident qu’elle serait une autoroute à barbouzes de premier ordre. Les passagers d’un train sont bien plus faciles à contrôler. Le souci de notre sportif était que ce passage ferroviaire aurait invalidé son record. Il a donc décidé de passer la frontière sur son vélo, en dépit des règles locales. Aux dernières nouvelles il est au trou quelques part entre le Birobidjan et les rives de L’Amour. Pour sa gloire, France Info en parle, non sans suggérer dans le non- dit que ce serait la faute à Vladimir. Espérons que le consulat arrive à le faire libérer bien vite, la vanité et la bêtise humaine ne relevant pas des crimes de droit commun. Il est certain que la fatigue ait alteré son discernement.

Les courants d’air de l’histoire renvoient dans les faces des candides, les portes blindées du réel et évidemment cela fait très mal au nez.

Ce qui est particulièrement significatif dans cette histoire consternante c’est la succession de naïveté, d’infantilisme, d’immaturité, d’impréparation qui a abouti à cette situation désastreuse digne de « la septième compagnie chasse le kodiak au pistolet à bouchon ». Essayons d’en faire la liste.

La première interrogation qui vient à l’esprit est celle de la sélection de l’époque pour le faire. Je ne parle pas de la saison mais du contexte géopolitique. Il n’aura échappé à personne que la France et la Russie ne sont pas en excellents termes. Personne ne doute une seule seconde que les ressortissants de chacun de ces pays pensent que ceux de l’autre sont par essence des dangereux mangeurs d’enfants. Le mieux aurait été de prendre en tous cas quelques conseils auprès de l’ambassade à Paris pour éviter de goûter aux geôles sibériennes. Je ne pense pas que cette histoire de trajet obligatoire en train soit une nouveauté de la semaine dernière. Peut mieux faire.

Les autres anicroches de cette histoire révèlent par contre une crise bien plus profonde.

Le fond du sujet est la validation d’un record sportif. Attention cette expédition n’était pas une exploration, c’était une tentative d’exploit. De ce fait il s’agit d’un combat d’un homme contre lui même et les éléments, en dehors de toutes autres considérations. Cette tentative est la preuve d’une suprématie du moi individuel sur la nature et sur tout ce qui peut entraver ce moi. Dans cette catégorie nous mettrons bien sûr, les lois de la Russie, définies souverainement par et pour les russes. D’un point de vue psychologique, c’est une attitude perverse dans la mesure où elle substitue un ordre supérieur à l’individu par un autre où la volonté de celui-ci se pose en règle suprême. Les psychologues vous diront que ce type de comportement est le résultat d’un état infantile non dépassé, d’une impossibilité à maîtriser sa frustration. Cela peut être un excellent moteur si cet état est transitoire mais il y a des limites à ne pas dépasser. C’est tellement la France télévisuelle actuelle.

En refusant de prendre le train sur les cent vingt kilomètres que les russes imposaient, Sofiane Sehili ne perdait aucune valeur dans son exploit, il ne perdait que son record et encore dans une vision très étroite de celui-ci. Il s’était déjà montré immature en refusant des règles tellement au dessus de son individualité mais il y rajoute la soumission à d’autres, tout aussi absurdes et contraires à son instinct de conservation. Nous sommes bien dans une dualité comportementale qui semble paradoxale. Elle est en fait parfaitement logique dans le cadre d’un comportement infantile. Presque comme une preuve ( le sujet est trop complexe), notre sportif n’a pas d’enfant.

Ce type de comportement immature est facilement renforcé dans les régimes post démocratiques modernes où sans arrêt les gouvernements vantent la souveraineté du peuple en augmentant sa sujétion. Pour mémoire j’écris ces lignes le dix septembre 2025.

Dans la même lignée, en tant qu’« Occidental », Sofiane Sehili doit être persuadé que son mode de vie est « normal » dans les deux sens du terme. Cela signifie qu’il est partagé par la plupart des personnes sur terre et qu’il ne présente pas de preuve d’un état pathologique. Il ne serait pas étonnant d’envisager qu’il doive en plus être un modèle pour l’humanité.

Quinze secondes d’observation montrent que le qualificatif le plus adapté pour ce type de circonstances est au moins d’ « exceptionnel ». Imaginez juste un instant ce que peut penser un kazakh ou un ouïgour d’un énergumène transpirant arrivant dans leur désert inhospitalier habillé comme un lombric sur un vélo avec le minimum d’équipement de subsistance.

Ce voir en « normal » est une considération assez urbano-centrée car elle considère qu’il aura toujours partout, une structure humaine apte à accueillir un sportif. Examinons les peuples nomades d’Asie centrales pour se convaincre du contraire. La réalité économique de Sofiane Sehili peut même être considérée comme « parasitaire » dans la mesure où il ne produit rien d’autre que du rêve et de la publicité destinés à l’occidental dans son quotidien feutré pour lui vendre un sorte de mythe de liberté à laquelle il n’accédera jamais. Ce n’est pas mal en soit. La société permet ce type de positionnement mais c’est une réalité de niche.

Le dernier point calamiteux de cette affaire est le triste constat qui impose que cet homme a pensé que lui-même en tant qu’individu était supérieur à des lois nationales et que «  ça va le faire », «  non mais pas de problème », « je gère », « je ne fais pas de mal » et l’obligatoire excuse «  je ne fais de mal à personne ». La confrontation avec la pensée plus traditionnelle des sibériens, qui ont certainement un sens de l’humour désopilant mais pas trop sur ce sujet, est saisissante. Cette attitude est tellement représentative de la réalité française et même gauchiste de l’occident. C’est bien sûr l’enfant dégénéré de la philosophie de l’individu roi issu des lumières, du bourgeois satisfait qui s’ennuie ( l’illettré explorateur ne filme pas ses exploits), du citadin qui sait que sa supérette est ouverte toute la nuit pour ses laitues bio.

En conclusion, j’aurais tellement aimé être fier des réussites d’un de mes compatriotes mais la gestion désastreuse de l’événement me navre au plus au point. Il ne me reste plus que le Vendée-Globe pour rêver d’aventures en espérant qu’aucun navigateur considère qu’il a le droit de passer par le canal de Suez sous prétexte qu’il y a de l’eau.

Olivier Lardoux

Related Articles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *