Le 8 Mai 1945, le totalitarisme nazi était vaincu. Le bras-de-fer entre les démocraties occidentales et le totalitarisme marxiste commençait. En 1989, la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique avaient soulevé l’espoir d’une victoire définitive des démocraties. Certains imaginaient que la Fin de l’Histoire était en marche avec l’avènement d’un monde unipolaire faisant régner, selon le voeu de Kant, une paix perpétuelle au sein d’une humanité vouée aux échanges commerciaux et culturels encadrés par un droit unanimement reconnu. Près de trente ans après, le bilan est désolant. La démocratie comme la paix semblent en panne. Jour après jour, le voile des illusions se déchire. Deux élections viennent de se dérouler, au Liban et en Tunisie. Les électeurs ne se sont pas bousculés : 49,2 % pour les législatives libanaises, 33,6% pour les municipales tunisiennes. On peut se consoler en disant qu’au Liban, on élisait des députés après 9 ans de gel des élections en raison de l’insécurité, et qu’en Tunisie, ce sont les premières municipales depuis 2011, et la chute de la dictature. On peut encore se réjouir que ces deux pays, que la France a fortement marqués, soient les moins éloignés d’une démocratie à l’occidentale, et pour la Tunisie le seul à avoir maintenu les acquis politiques du Printemps arabe, tempérés par le marasme économique et les actes terroristes. Il s’agit d’une bien mince consolation, lorsqu’on observe que le vainqueur en Tunisie, avec 27,5% des voix est Ennadha, le parti islamiste qui est l’émanation locale des Frères Musulmans. Ils offrent dans ce pays une vitrine présentable. En Libye ou en Syrie, ils ont le visage de la guerre, en Egypte, celui du terrorisme, et la Turquie sous leur férule s’éloigne à grands pas de la démocratie et de l’Occident.
Au Liban, ce sont les islamistes chiites du Hezbollah qui l’ont emporté, ce qui n’a rien de rassurant. Néanmoins, à Tunis comme à Beyrouth, il y a une représentation de la diversité. Dans le premier cas, celle-ci passe par la résistance relative du parti présidentiel, avec 22,5% des voix, dans le second, par le maintien du système confessionnel qui garantit un Président chrétien et un Premier Ministre sunnite. Que le chef du parti battu, Saad Hariri, soit sûr de conserver son poste est quand même une curieuse conception de la démocratie, d’autant plus que cette exigence s’appuie sur le soutien de l’Arabie saoudite. Pour les chrétiens alliés pour les uns aux chiites, avec le Président Aoun, pour les autres aux sunnites, avec les Forces Libanaises, les résultats ont été meilleurs qu’attendus et leur permettront de conserver un rôle essentiel. Autour de ces deux pays, et à l’exception d’Israël, ni les interventions militaires occidentales, ni les prétendues révolutions arabes n’ont changé un décor qui s’est, au contraire assombri. Les alliés des démocraties occidentales sont des monarchies féodales islamistes dont les valeurs sont aux antipodes des nôtres. Les moyens financiers gigantesques dont elles disposent grâce à leurs ressources énergétiques leur permettent de promouvoir une conception des droits de l’homme paradoxale, où les discriminations sexuelle et religieuse ont une grande place, et d’irriguer la planète par un prosélytisme multiforme qui va de la conversion à la guerre. Cette alliance contre-nature, qui pouvait être justifiée contre le bloc communiste, perdure en soulignant l’imposture des démocraties occidentales. Les courbettes empressées de nos dirigeants convertis en VRP spécialisés dans la vente d’armes et plus que jamais grands lécheurs de babouches, leur volonté absurde de faire perdurer la guerre froide contre la Russie, soulèvent des doutes sur l’authenticité de leur posture. Partout dans le monde, des oligarchies sont en place. Il n’est même pas sûr que celles qui bénéficient du plus fort soutien populaire soient celles qui respectent le plus formellement les règles de l’Etat de droit, et s’en prétendent les dépositaires légitimes.
L’Union Européenne offre un étonnant spectacle où la sainte alliance des démocrates se noue contre le populisme en mettant au ban de l’Empire du Bien, les Etats qui ont le front de résister à ses décrets. Viktor Orban vient de gagner les élections législatives hongroises haut-la-main, mais c’est une commission présidée par l’ex-Premier Ministre battu d’un confetti fiscalement paradisiaque qui prétend le rappeler à l’ordre et menacer de lui couper les vivres. La démocratie est devenue pour les tenants de la pensée unique, le nom qui désigne un système politique où le droit concocté en haut est le noeud coulant qui étrangle la volonté populaire qui s’exprime en bas, où les droits des étrangers doivent l’emporter sur ce que veut le peuple et au détriment de celui-ci. Les défaites les plus inattendues ne s’expliquent le plus souvent que par la trahison. La trahison des élites, dénoncée à juste titre par Christopher Lasch, est la seule explication de l’état lamentable de nos démocraties.
5 Comments
Comments are closed.