La France se retrouve à présent dans cette période un peu délicate où son ancien président n’est pas encore parti, son nouveau n’est pas encore arrivé, le gouvernement sortant n’est pas encore sorti et le gouvernement entrant n’existe même pas encore. Avec, de surcroît, des législatives particulièrement pleines de rebondissements, la presse française se retrouve ensevelie sous les sujets politiques, qu’elle traitera avec le brio qu’on imagine. Pourtant, le monde continue d’avancer, obstinément, et notamment celui des cryptomonnaies.
Et comme cela faisait un petit moment que je n’avais plus abordé ce sujet, je pense utile d’y revenir dans cette période où tout le monde se polarise un peu trop sur les actions politiques alors que, sur le plan économique, se jouent sans doute des heures décisives.
Je n’exagère pas et je l’ai déjà dit : de la même façon qu’internet a représenté une révolution humaine comparable à celle de l’imprimerie, les monnaies numériques – dont Bitcoin est le premier avatar – introduisent un bouleversement aussi fondamental dans l’économie, en annulant complètement le besoin d’un tiers de confiance (comme les banques) et en s’affranchissant intégralement et par construction des contraintes étatiques.
Or, de nouveaux chapitres sont actuellement écrits avec fébrilité et une bonne partie de l’Europe ne doit sa complète ignorance en la matière qu’à l’actualité particulièrement chargée sur le plan politique qui parvient à complètement occulter ce mouvement de fond (et de fonds) pourtant décisif.
Il y a bien sûr le simple cours du Bitcoin dont la valorisation journalière ne cesse de grimper. Atteingnant actuellement plus de 1700 dollars (1580 euros), la cryptomonnaie bénéficie toujours de son positionnement de premier arrivant dans le monde des monnaies numériques. Mais pas seulement : sur les six derniers mois, plusieurs nouvelles renforcent l’attrait que les investisseurs en particulier et le public en général peuvent montrer pour cette technologie.
D’une part, les régulateurs de différents pays commencent à comprendre que cette technologie est là pour durer. S’il y a encore débat pour savoir si, dans cinq ou dix ans (et a fortiori plus loin dans le futur), ce sera toujours Bitcoin qui représentera la plus grosse capitalisation (atuellement supérieure à 28 milliards de dollars), il n’y en a plus en ce qui concerne la blockchain, technologie sous-jacente de la monnaie reine : non seulement, un nombre croissant de banques a adopté celle-ci pour effectuer leurs opérations internes, comme je le mentionnais dans un précédent billet, mais encore trouve-t-on de nombreux exemples de cette technologie appliquée à d’autres domaines – signalons par exemple Tezos dont le fondateur, Arthur Breitman, avait répondu à un entretien pour Contrepoints il y a quelques mois et dont la société vient de lever des fonds auprès de Tim Draper, un milliardaire enthousiaste au sujet des cryptomonnaies.
Cette tendance des cryptomonnaies (et en particulier Bitcoin) à intéresser un groupe de moins en moins marginal d’investisseurs se vérifie de plus en plus à mesure que l’importance de la révolution en cours touche un nombre croissant de personnes. Si l’on doit garder son calme devant les prévisions parfois hardies de certains d’entre eux sur le cours futur de la cryptomonnaie, il n’en reste pas moins que le mouvement global d’investissement semble enclenché, d’autant que les fondamentaux qui favorisent l’expension de l’usage et de la valeur de ces monnaies sont raisonnables : non seulement, la croissance naturelle du nombre d’utilisateurs pousse à l’augmentation des prix, mais la valeur stockée par chaque utilisateur dans les monnaies cryptographiques ne cesse d’augmenter, poussant toujours plus de nouveaux entrants à s’ajouter à la foule de ceux qui viennent d’arriver.
D’autre part, on constate ces derniers mois une tendance à l’assouplissement de la part des régulateurs des pays les plus en pointe dans le domaine technologique. Ces dernières semaines, notons le cas du Mexique dont le ministère des Finances entend bien réguler les acheteurs et les vendeurs de la monnaie, sans toutefois réguler la monnaie elle-même. De l’autre côté de la planète, le Japon vient lui aussi d’assouplir sa position vis-à-vis de la monnaie, en l’acceptant comme forme légale de paiement. Pour certains médias, ce serait même la raison principale derrière la récente hausse du cours du Bitcoin. Du reste, cet assouplissement s’est directement traduit par une augmentation notable (et assez inattendue) de l’utilisation de Bitcoin pour les paiements effectués dans l’Île. Le même engouement est d’ailleurs remarqué en Australie où un système de paiement local par Bitcoin, « Living Room of Satoshi », annonce avoir permis de payer des factures à hauteur de plus de 4 millions de dollars en 16 mois.
En somme, le régulateur étatique est maintenant plus souple et semble un peu mieux comprendre les principes de monnaie cryptographique ; si cela ne change rien pour celui qui veut s’affranchir de la tutelle étatique (ce dernier profitant alors de la latitude disponible par construction dans le procédé de blockchain), cela aide en revanche les individus qui, précautionneux, souhaitent conserver un pied dans les deux systèmes, celui de la cryptomonnaie d’un côté et celui de la monnaie fiat étatique de l’autre, d’autant qu’à mesure que la valeur de Bitcoin monte, le nombre de participants augmente, rendant le système plus intéressant pour chacun.
Cet assouplissement du régulateur est particulièrement intéressant à mettre en rapport avec ce qui se passe dans certains pays où ce dernier, justement, tente absolument tout pour faire disparaître Bitcoin. C’est typiquement le cas du Venezuela où la cryptomonnaie sert de moyen d’échange particulièrement efficace et solide face à une monnaie locale gérée n’importe comment par le pouvoir en place et depuis complètement dévaluée ; j’en faisais mention dans un précédent article qui détaillait différentes façons que les citoyens vénézuéliens ont trouvées d’utiliser Bitcoin pour contourner les restrictions et autres pénuries que provoque le régime socialiste de Maduro.
Enfin, la hausse quasi-continue des cryptomonnaies et du Bitcoin en particulier profite aussi de l’élargissement continu du marché aux individus lambdas. Si, il y a quelques années, il était relativement compliqué pour ne pas dire presque impossible d’acheter des bitcoins en ligne avec une simple carte de crédit, ce n’est plus le cas depuis un moment. Évolution discrète mais réelle, de plus en plus de places de marché et de sites proposent maintenant l’achat de cryptomonnaies directement ce qui ouvre ces marchés spécifiques bien au-delà du public d’avertis voire de spécialistes informatiques de la question.
Pour illustrer, citons différents sites qui offrent précisément cette facilité, comme Kraken ou Bitstamp sur lesquels il faudra s’enregistrer en fournissant plus ou moins de données en fonction des volumes qu’on souhaite acheter ou Localbitcoins qui permet d’acheter directement à des particuliers ou via virement SEPA (banque à banque). On trouve même à présent des sites qui permettent de faire fructifier ses bitcoins en utilisant différents mécanismes de trading (Usi-Tech par exemple).
Si l’on ajoute à ce tableau le développement et le lancement de cryptomonnaies vraiment anonymes (i.e. qui garantissent l’anonymat des transactions au contraire de Bitcoin qui, lui, en garantit la publication complètement ouverte) comme Monero ou Zcash, qu’on factorise le fait qu’à présent, « l’industrie Bitcoin » crée de l’emploi et génère plus de deux milliards de dollars en deux ans, on comprend que cette récente poussée de fièvre de ces nouvelles technologies monétaires ne doit rien au hasard.
Certes, la rapidité et la violence de l’envolée justifie amplement qu’on puisse parler de bulle spéculative et il est possible, probable même, que ces cryptomonnaies continueront de connaître des trous d’airs dans les semaines et les mois qui viennent. Néanmoins, cela ne change rien aux fondamentaux qui installent progressivement et durablement ces cryptomonnaies dans le paysage financier mondial.
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