Dans le flot incessant de billevesées que nous offre tous les jours une presse déchaînée, on trouve parfois des petites notules amusantes ou, encore plus rarement, informatives. C’est avec surprise que je suis tombé sur un article du Monde qui nous parle de prisons néerlandaises.
L’information, en elle-même, n’est pas nouvelle : aux Pays-Bas, les prisons sont sous-employées. Cela fait même plusieurs années qu’il en est ainsi et que leur taux d’occupation est de l’ordre de 80% (10.500 places occupées sur les 12.400 disponibles), avec de surcroît une tendance à la baisse puisqu’on s’attend à ce que ce taux s’établisse à 60% en 2018.
Ce qui est nouveau, c’est que cette information, assez connue outre-Quiévrain (et pour cause, les Belges louant les prisons néerlandaises pour y entasser leurs condamnés surnuméraires), ne l’est qu’assez peu en France. En outre, il est fort rare qu’on trouve ainsi détaillée la situation favorable d’un pays tiers dans un organe de presse qui se fait fort d’entretenir, avec son style si tendrement parisien-centré, l’illusion d’une France globalement indépassable.
Mais voilà, tout arrive : dans Le Monde, on trouve donc le compte-rendu factuel de l’état des prisons néerlandaises qui souffre très avantageusement la comparaison avec les vieux centres carcéraux surpeuplés, sales et pour tout dire, carrément dangereux de France. Et chose encore plus intéressante, on y décrit même les raisons qui ont amené le Royaume à cette situation que certains pourraient qualifier hardiment d’enviable.
Dans ces raisons, on trouve certes une criminalité en baisse (de 8% en 2015 par rapport à 2014). Cette dernière, souvent corrélée à l’état général de la société, explique sans doute pourquoi les Pays-Bas, dont l’économie est en bien meilleure forme que la France, s’en sortent notoirement mieux. Peut-être pourrait-on même affirmer (avec pas mal de raisons et d’exemples historiques pour l’appuyer) qu’une économie florissante favorise l’émergence d’une société moins agressive ; du reste, du point de vue strictement pragmatique, si les efforts demandés pour prospérer légalement dans une société sont inférieurs ou égaux à ceux qu’il faut déployer illégalement, le crime devient une opération économique peu rentable.
Cependant, et comme le reconnaît l’article du Monde, cette baisse de la criminalité ne suffit guère à expliquer une évolution aussi due aux particularités du système judiciaire des Pays-Bas qui envoie moins en prison mais demeure plus répressif qu’au début du siècle.
En fait, en seconde analyse, il apparaît que les juges distribuent moins les peines de prison et beaucoup plus les peines financières (amendes notamment), et recourent aussi aux peines alternatives comme le bracelet électronique et les travaux d’intérêt général, qui peuvent diviser par deux les peines de prison. Un détenu qui passe moins de temps en prison, c’est une meilleur rotation des cellules, et une pression carcérale plus faible.
En outre, les spécificités légales néerlandaises permettent au ministère public de décider seul d’une sanction qui ne prive pas un suspect de sa liberté. Cela entraîne deux effets bénéfiques pour le système judiciaire dans son ensemble : d’une part, cela permet de réduire le nombre d’affaires qui devront être traitées par des juges et contribue donc à désengorger les tribunaux. D’autre part, cela permet aussi de réduire les peines de prison et par voie de conséquence, l’occupation des cellules.
Enfin, notons qu’aux Pays-Bas, les prisons ne servent plus à gérer les malades psychiatriques, et que les étrangers en situation irrégulière ne sont plus détenus aussi longtemps, parce qu’ils sont expulsés plus vite.
En somme et pour résumer, les Pays-Bas ont appliqué une justice rapide dont la mise sous écrou n’est pas l’alpha et l’oméga, qui n’hésite pas à expulser les impétrants irréguliers, qui sait faire le choix entre incarcérer et imposer des sanctions financières ou des peines de travaux publics.
Or, aucune de ces solutions n’est impossible à mettre en oeuvre en France.
Au contraire, même : il ne semble pas invraisemblable de réserver la prison aux éléments violents ou dangereux pour la société, en utilisant toute la panoplie des peines alternatives pour les condamnés d’autre nature (trafics, escroquerie, vol simple…). De même, serait-il vraiment impensable de ne plus utiliser la prison comme dépotoirs de cas psychiatriques ?
En outre et en théorie, il devrait être raisonnablement possible de simplifier beaucoup de ces centaines de procédures existantes pour alléger le travail des tribunaux, quitte à augmenter aussi les moyens dont disposera cet élément effectivement régalien de l’Etat français, pour le moment parent pauvre des ministères et des budgets pourtant votés en déficits depuis plus de 30 ans. Quant à appliquer les mêmes préceptes que ceux des Néerlandais pour les expulsions (dont il ne me semble pas avoir entendu dire qu’ils étaient inhumains et tabassaient tous les jours les Droits de l’Homme avec vigueur), là encore, le bon sens commanderait sinon l’optimisme, au moins la conclusion que cela reste réalisable.
Enfin, soyons fou, construire de nouvelles prisons ne semble pas, là encore, complètement absurde lorsqu’on compare le nombre de cellules disponibles et le nombre d’habitants : comme je l’écrivais du reste il y a quelques temps dans un précédent billet, il semble bien que la France soit encore une fois fort en retard sur ses voisins et sur ses besoins avérés.
Autrement dit, rien, dans la lecture de cet article, ne permet d’affirmer que les solutions mises en place aux Pays-Bas seraient impossibles à transposer en France… À ceci près, bien sûr, qu’il faudrait pour corriger ces problèmes en avoir pris conscience, et que les politiciens concernés soient subitement dotés d’un courage qui les a, en pratique, complètement abandonnés quelque part, un jour d’hiver 1970 (ou quelque chose comme ça).
Sans surprise, Le Monde nous a offert un petit aperçu de ce qu’il est possible de trouver ailleurs, de ce qui fonctionne, et pourquoi. Et sans surprise, une fois l’aperçu offert, le journal s’est bien vite contenté de refermer ses paupières. La République du Bisounoursland sait comment il faut procéder pour régler ses problèmes, et ce ne sont pas quelques Bataves lointains et bien trop pragmatiques qui viendront troubler cette science infuse.
Non mais.
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