Durant les cinquante minutes de son discours, le nouveau Premier ministre a marqué trois temps différents : il a su garder le meilleur pour la fin. Sa conclusion pleine d’énergie et d’émotion ne pouvait laisser aucun Français indifférent. Ce désir de France du jeune Catalan exprimé comme la recherche de l’honneur d’être français pour participer au destin d’une nation, avec ses qualités, sa générosité, et même avec ses défauts, son arrogance assumée, c’est évidemment le sentiment qu’on souhaite reconnaître chez tout immigré et que souvent on ne perçoit nullement Un discours de fierté nationale, fût-il de gauche, est le bienvenu. Beaucoup de députés inquiets pour leur avenir sur les sièges de la majorité doivent avoir perçu dans ce discours une lueur d’espoir. Ils devraient surtout s’interroger sur leurs si nombreuses allusions aux heures sombres de notre histoire, sur leur pédagogie absurde de la repentance qui depuis des années ont freiné l’intégration. Je veux espérer que beaucoup de députés de l’actuelle opposition ont dû regretter leur chahut indécent alors qu’ils écoutaient, qu’ils le veuillent ou non, le Premier ministre de la France.
Lorsque j’ai quitté l’Assemblée, j’avais le sentiment que les dix ans durant lesquels j’avais participé à la majorité avaient été à peu près inutiles. Aucune des réformes structurelles que je souhaitais n’avait été mise en oeuvre à temps. La TVA sociale ou la suppression des départements étaient à peine esquissées pour n’être entamées qu’après l’incertaine réélection de Nicolas Sarkozy. A Hortefeux qui me demandait pourquoi je ne votais pas la réforme territoriale, je répondais : parce que vous n’avez pas le courage de supprimer les départements. L’une des premières décisions du gouvernement de gauche avait abrogé ces embryons de réformes. L’annonce la plus importante faite par Manuel Valls consiste au contraire dans la disparition programmée du mille-feuille. C’est un renversement de la politique précédente. On peut en contester les modalités. La suppression des Conseils Départementaux restaure la réforme en demi-teinte de Sarkozy. On élague l’échelon électif, le Conseil, mais pas l’échelon administratif. On doit aller plus loin. En revanche, la fusion des Régions n’est pas une idée qui doit être systématisée. Il y a des identités régionales, quelle que soit la taille des régions. S’il ne doit y avoir qu’une Normandie, il n’y a qu’une Alsace et elle doit demeurer. La France n’a pas vocation à devenir au sein de l’Europe un Etat Fédéral constitué de « länder » puissants. Néanmoins, il s’agit d’une réforme courageuse qui demandera du temps mais que la droite n’a pas eu le courage de faire.
Mais celle-ci a dû se rassurer en entendant la partie économique de l’intervention de Manuel Valls. Il y avait de quoi mettre du baume au coeur de l’opposition pour deux raisons. D’abord parce que c’était un aveu, celui de l’erreur ou du mensonge qui ont marqué la campagne présidentielle et les premières années du quinquennat. Oui, le premier moteur de la croissance et de l’emploi, c’est la compétitivité, et le coût du travail y joue un rôle essentiel. La baisse des charges sur les bas salaires, toujours un peu moins bas, est inscrite une nouvelle fois dans les mesures annoncées. Une partie des cotisations sera non pas économisée, mais transformée en salaire. C’est une vieille idée évoquée par la droite en 1993. Mais alors la solution la plus communément avancée pour compenser la perte des cotisations était la TVA sociale à la danoise. La protection sociale est assurée par la consommation et si le coût de production français baisse, le prix des produits importés augmente. L’avantage est double pour le pays. Dans une économie redynamisée par ce biais, il n’est pas absurde de redistribuer du pouvoir d’achat. Mais aujourd’hui, c’est différent : cet aveu et ce changement de cap arrivent trop tard et dans un contexte qui compromet gravement la réussite d’une politique qui relève de la quadrature du cercle. Dans la situation actuelle, le pouvoir d’achat peut favoriser un déséquilibre de nos échanges, et d’autant plus s’il limite le gain de compétitivité. Or c’est sur l’ensemble du coût du travail que se joue la compétitivité. Le gouvernement se heurte donc à deux obstacles : d’une part l’équilibre du discours entre la responsabilité, la baisse des charges, et la solidarité, le pouvoir d’achat risque de tourner à la contradiction. D’autre part, il n’était déjà pas facile de réaliser 50 Milliards d’économies et de compenser 30 Milliards de cotisations supprimées alors que les prestations qu’elles financent sont maintenues. Or, ces montants vont devoir être revus en hausse. Le discours enthousiasmant va laisser la place aux chiffres désolants.
Un temps économique, un autre réformateur, un troisième patriote. Ce beau crescendo peut avoir deux destins. Soit il prélude à une véritable reprise quasi miraculeuse et la dyarchie au sommet de l’Etat créera une situation politique explosive. Soit le discours ira se fracasser sur le mur d’une réalité que l’arrogance française persiste à ignorer. Dans les deux cas, Manuel Valls se prépare des temps difficiles.
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