Le Jeu européen s’achève. La « construction européenne » consensuelle marchait sur ses deux pieds. L’un d’eux faisait semblant d’être à gauche et l’autre prétendait être modérément à droite. Les pays étaient tous dirigés par l’un puis par l’autre en alternance. De même, les deux formations qui dominaient le « parlement européen » étaient la social-démocratie et le parti-populaire européen. L’Histoire et la culture propres à chaque pays, le mode de scrutin aussi introduisaient quelques nuances nationales. Les sociaux-démocrates portugais sont plutôt des centristes libéraux. Les Français ne se voulaient ni conservateurs, ni chrétiens et ont fini par préférer « républicain » à « populaire » à droite tandis qu’une remontée continue de marxisme marquait une différence à gauche. Pour les admirateurs fascinés du modèle américain, nous avions quand même nos démocrates et nos républicains dans une Europe fédérale, ouverte et multiculturelle… Disons-le : c’est raté ! Les cartes se redistribuent !
Comme la belle construction et ses ballets de technocrates ne maîtrisent pas les problèmes des Européens, ceux-ci rejettent en masse le système. L’Eldorado promis a laissé place à la rigueur budgétaire et à la croissance atone. Les maillons faibles ont cédé, comme la Grèce, l’Irlande ou l’Espagne. Remonter la pente est pénible pour les peuples, même si certains ont plus de mal que d’autres, la Grèce davantage que l’Irlande. L’Euro qui devait faciliter la péréquation a accentué les inégalités entre le bloc allemand, les pays qui ne s’en tiraient qu’en dévaluant, dont nous sommes, et ceux qui ont gardé la maîtrise de leur monnaie. L’Espace Schengen a fait de l’Europe une passoire, un terrain vague et de non-droit où la clandestinité du séjour et du travail prolifère. Bref, l’Europe promettait de l’or et elle nous plombe ! Alors les Européens y croient de moins en moins et expriment cette défiance par des votes qui rendent les pays européens de moins en moins gouvernables, ou de moins en moins favorables à l’Europe. Les uns, comme les Britanniques ont envie de partir, et le puissant parti conservateur confirmé par la promesse d’un référendum, se déchire sous la menace de souverainistes que le mode de scrutin contient. Les autres connaissent des lendemains d’élections difficiles, même lorsque, membres dociles de la zone euro, ils ont obtenu des résultats positifs après la cure d’austérité. Ni l’Espagne, ni l’Irlande, ni la Slovaquie n’ont aujourd’hui des majorités claires pour gouverner. La Belgique a un gouvernement baroque présidé par un libéral wallon, minoritaire une fois comme wallon, et une autre comme libéral ! De manière générale, les partis du centre-droit et du centre-gauche, pro-européens sont débordés par une extrême-gauche qui renoue avec l’anti-capitalisme et une extrême-droite nationaliste qui remettent en cause l’Europe de la circulation des biens, des capitaux et des personnes, les uns au nom de l’égalité, les autres au nom de l’identité. Les indépendantismes régionaux profitent de cet affaiblissement des Etats. En Grèce, c’est un cocktail d’extrême-gauche avec une rondelle de souverainisme qui gouverne sous la tente à oxygène des crédits. Au Portugal, c’est à gauche toute. Dans les quatre pays de Visegrad, l’opposition résolue à Schengen se traduit par une montée de la droite souverainiste. En France, le gouvernement ne représente plus qu’une petite minorité des Français. Le mode de scrutin et les arrangements entre amis maintiennent une partie croissante des Français, eurosceptiques, à l’écart du pouvoir. Cela ne pourra durer sans dommage pour la démocratie.
La fuite en avant, sans doute la manière la plus stupide de gouverner, caractérise aujourd’hui la ligne suivie par le tandem socialo-libéral qui dirige encore à Bruxelles. L’Euro est un échec. Tout doit être fait pour le maintenir, y compris par la souffrance des peuples. Elle serait pire si on l’abandonnait. Schengen est un échec. Tout doit être fait pour sauvegarder l’ouverture des frontières intérieures européennes, sans laquelle la construction européenne s’effondrerait. A force de vouloir l’Europe à tout prix parce qu’elle est la condition de leur pouvoir, nos gouvernants vont perdre l’Europe, et leur pouvoir. Un tel aveuglement ne peut que conduire à une crise et à des changements radicaux. Plus ils seront retardés, moins on les maîtrisera !
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