Billet initialement paru le 19.02.2016
Il y a trois ans, dans les scories des attentats du Bataclan, on découvrait la position sans ambiguïté au sujet du port d’arme du chanteur du groupe Eagle Of Death Metal, rescapé de la tuerie. Alors que, depuis, l’État français a continué à montrer la même médiocrité à assurer la sécurité de ses concitoyens, et a même amplement démontré ne rien vouloir diminuer de sa propre violence (au contraire), un petit retour sur cet événement me semblait intéressant à mesure que le pays se rapproche doucement mais sûrement du moment où les uns et les autres de ses habitants vont vouloir s’expliquer directement sans plus en passer par les urnes…
Parfois, les journalistes, voulant innover, tentent de faire leur travail correctement et interrogent les bonnes personnes avec les bonnes questions. Et là, c’est le drame : la façade de papier peint rose et décorée de petits bisounours duveteux se déchire violemment et la réalité leur vole au museau sans qu’ils puissent la réfuter, sans pouvoir s’opposer à cette irruption inopportune et malpolie dans leur monde propre et politiquement correct. C’est la terrible mésaventure qui est arrivée à Laurence Ferrari.
Tout avait pourtant bien commencé, et sous les meilleurs auspices puisqu’il s’agissait simplement pour la maintenant célèbre journaliste d’interroger Jesse Hughes, le leader du groupe Eagles Of Death Metal, témoin involontaire et miraculeusement rescapé de la boucherie du 13 novembre dernier au Bataclan où son groupe donnait un concert ce soir là. L’idée générale de ce genre d’entretien est de revenir sur la douloureuse soirée, d’obtenir les impressions et les émotions – surtout les émotions, ça fait vendre, coco ! – du chanteur de rock devant l’horreur qui s’est déroulée devant ses yeux, parler des victimes, d’expliquer pourquoi le groupe se devait de rejouer à l’Olympia quelques mois plus tard, en présence des rescapés…
Mais voilà, l’envie de déclencher une petite polémique a été sans doute la plus forte pour la journaliste. Alors que l’entretien est déjà long d’une quinzaine de minutes et parcouru des sanglots de l’artiste qui se remémore les scènes atroces qu’il a vécues, il semblait nécessaire de savoir si le chanteur, bouleversé, avait changé sa position vis-à-vis des armes. Parbleu ! Avant ces événements, Américain pur jus, il était un fervent partisan de l’auto-défense. Devant les abominations que les armes à feu provoquent, il était possible qu’il se soit rangé à la raison qui impose qu’on les interdise enfin…
Manque de pot, la réponse ne se fait pas attendre :
« Le contrôle des armes n’a rien à voir avec cela, mais puisque vous amenez le sujet, je vais vous demander : est-ce que ces contrôles ont empêché une seule putain de personne de mourir ? Si une personne peut répondre oui, j’aimerais l’entendre, parce que je ne le pense pas. La seule chose qui l’a stoppé ce sont des hommes parmi les plus courageux que j’ai vus dans ma vie, chargeant tête la première faisant face à la mort avec leurs propres armes à feu. Je sais que des personnes ne seront pas du même avis que moi, mais il me semble que Dieu a créé l’homme et la femme et cette nuit là, les pistolets les ont fait égaux. Je déteste qu’il en soit ainsi. Mon seul changement d’avis, c’est qu’avant que plus personne n’aie d’arme, tout le monde doit en avoir une, parce que je ne veux plus jamais revoir une telle chose. Je veux que chacun ait la meilleure chance de survivre. J’ai vu des gens mourir qui auraient peut-être pu vivre… »
Bien sûr, sur cette déclaration, certains ne pourront pas s’empêcher de trouver, subitement, que le chanteur n’est plus du tout aussi rock’n’roll, ou trop, ou en tout cas qu’il mérite largement ses petits bios retaillées pour l’occasion : le Point nous gratifie par exemple d’une petite resucée d’un article paru en décembre, histoire de bien rappeler qu’il a des opinions très déviantes et que celles sur les armes ne sont qu’une partie de ses tares.
Pour le reste, les déclarations sulfureuses du leader de Eagles of Death Metal seront bien vite passées sous un silence de plomb dans la presse française. Cela n’a pas été dit, circulez, oubliez, rien à voir, rien à dire.
Parce qu’en France, le port d’arme est rigoureusement interdit. Après tout, c’est l’État qui s’occupe de votre sécurité et qu’il le fait bien.
Ainsi, moyennant à peine plus de 80 appels au 17, le numéro (gratuit, pas surchargé) dédié aux petits tracas de la vie quotidienne comme les fusillades, vous pourrez expliquer aux forces de l’ordre ce qui se passe et qu’elles doivent intervenir, vite de préférence.
Ainsi, lorsque l’État prend conscience qu’il pourrait y avoir comme un petit trou dans son maillage pourtant hyper-fin et hyper-efficace de protection de la population sous sa responsabilité, il prend tout de suite la mesure du problème et enquille alors sur une communication efficace, qui donne ceci (attention à vos yeux, ça pique un peu) :
Oui, en cas d’attaque, ne comptez que sur vous-mêmes, et surtout, avant toute chose : fuyez. Imaginer ici que vous puissiez disposer d’une protection personnelle et, mieux encore, que vous vous en serviez, est évidemment complètement à proscrire. Si l’on compare aux messages qu’on peut trouver ailleurs dans le monde (par exemple celui-ci), la dose de pragmatisme de ces derniers est si violente que le bisounours français pourrait, s’il en prenait connaissance, s’en trouver gravement choqué. Oubliez donc.
De toute façon, l’État français — qui veille sur vous, et qui vous surveille — a clairement défini ce que vous deviez faire (fuir) et ne pas faire (vous défendre). Il a clairement expliqué pourquoi (vous défendre ? Allons, vous ne savez pas faire, vous êtes un enfant, et vous allez juste agacer votre agresseur, c’est évident, et il va vous tuer encore plus fort – « lui toujours faire ça quand lui agacé »), d’autant qu’après tout, la vraie force, c’est l’acceptation sereine de son sort pour les moutontribuables, et surtout, c’est la police et l’armée officielles de la République qui ont le droit de l’utiliser. Point. D’ailleurs, est-ce que les représentants de l’État portent des armes sur eux ?
Dans ce contexte, on comprend que les paroles de Jesse Hughes choquent, au point qu’elles ne seront reprise par à peu près aucun journal, aucun média français et qu’il faudra aller fouiller les médias suisses ou les réseaux sociaux pour que la question soit mise sur la table… Et si on aura systématiquement le droit, après chaque tuerie d’innocents désarmés par contrainte ou sur des lieux où les armes sont prohibées, à de longs articles pas du tout biaisés expliquant pourquoi la possession et le port d’armes sont une abomination très malpolie, on n’aura jamais, a contrario, d’exemple où ces armes sauvent des vies, exemples qui existent pourtant à la pelle, tout comme on n’évoquera que trop rarement le trajet inverse que d’autres pays font en armant les citoyens devant les menaces qu’ils subissent.
Alors à force, comment s’étonner de ce genre de démarches où l’on apprend que, bondissant sur l’occasion d’ajouter une nouvelle interdiction et un nouveau contrôle pour les citoyens honnêtes, l’Union Européenne envisage de renforcer encore les interdictions des armes sur le territoire européen ?
Rappelez-vous une chose : qui a arrêté le massacre du Bataclan ? Les lois ? Les bons sentiments ? Le 17 ? La propagande de l’État ? Ou des hommes honnêtes eux aussi armés ?
Pétition contre la restriction de détention légale d’armes à feu
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