L’obsession médiatique Dieudonné a été pour le microcosme médiatique parisien une excellente occasion de ne pas trop parler d’un problème qui, par sa régularité, ne relève plus de l’événement ni de la jouissive émotion : ces plans sociaux qui condamnent des milliers de personnes au chômage et aux fins de mois difficiles dans nos lointaines provinces. Celui de La Redoute, à Roubaix, supprime 1 178 emplois, sur 3 437. C’est l’histoire de cette agglomération de Roubaix-Tourcoing, qui a connu son apogée industrielle au XIXe siècle jusqu’à l’occupation et à l’hécatombe de 14-18. La plupart des entreprises comme l’emblématique Lainière ont aujourd’hui disparu. Celles qui ont survécu ont anticipé le recul de l’industrie textile, la première marche de l’industrialisation, qui allait inévitablement se déplacer vers les pays à bas coût de production. Elles ont choisi d’autres voies, notamment le commerce. À un moment, elles ont été à la pointe car elles avaient lancé de nouvelles méthodes de vente. Là encore, la destruction créatrice a agi. La correspondance a laissé la place à l’e-commerce. On pourra toujours accuser les dirigeants de s’être plus intéressés à l’art contemporain qu’au redéploiement opportun de leurs activités dans le Nord, et aux pouvoirs publics de n’avoir pas anticipé l’évolution économique et sociale. Mais ce désastre réel qui meurtrit les salariés et symbolique pour une ville qui tirait une grande fierté de cette activité n’est pas un accident.
C’est un recul économique de notre pays. Les plans sociaux ont certes été nombreux en 2009 : 2 400, avec la crise. Mais ils le sont demeurés, avec un millier en 2013. Ils touchent des secteurs en mutation, comme la presse sur papier. Mais ils concernent aussi des filières industrielles qui comptaient parmi les atouts français et qui sont victimes de notre manque de compétitivité et de notre exécrable gouvernance. L’agro-alimentaire, la filière télécom, l’automobile et les pneumatiques, le ferroviaire sont tour à tour frappés par des fermetures et des plans sociaux. Il y a là une véritable exception française. Alors que l’indice PMI du secteur industriel grimpait dans la zone Euro en décembre de 51,6 à 52,7, en Allemagne, bien sûr, mais aussi en Italie et en Espagne, il stagnait en France en dessous de 50, la limite entre croissance et récession, après avoir reculé 21 fois ! Celui des Etats-Unis était à 55, ce qui prouve qu’un déclin n’est jamais irréversible. Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Parmi les grandes économies, notre pays est lanterne rouge, à 13% de part du PIB vouée à l’industrie, 15ème sur les 17 de la zone Euro, loin derrière l’Allemagne, mais aussi le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne, ou la Suède. On dira que la France est un pays de services. Non, elle est surtout un pays d’emploi public, de chômage masqué, où l’on travaille moins et pendant moins longtemps, un pays où une caste politique privilégiée ment en permanence au peuple par démagogie et lâcheté. Ils disent vouloir la croissance et pas l’austérité. La croissance viendra d’ailleurs, de ceux qui auront pratiqué la rigueur et fait les choix courageux : la baisse du coût du travail, notamment par la TVA sociale, en Europe du Nord, l’énergie du gaz de schiste aux USA… Les gouvernants français ont opté pour les réformettes compliquées qui évitent par trop de révéler l’hypocrisie des discours. Ils ont aussi choisi les impôts et la dette, que la Cour des Comptes vient de dénoncer une fois encore.
Dans son rapport, Louis Gallois parlait de « seuil critique », d’un « décrochage » de l’industrie française. L’emploi industriel est passé de 26% de l’emploi salarié à 12,6%, depuis 1980. La part de nos produits sur le marché européen est en net repli ( 9,3% contre 22,4 pour l’Allemagne) : merci, l’euro ! Pour conserver un peu de compétitivité, les marges se sont abaissées alors qu’elles progressaient en Allemagne. La formation professionnelle, le lien entre l’école et l’entreprise, l’orientation de la recherche sont autant de facteurs qui s’ajoutent au coût du travail pour expliquer que nous soyons distancés. L’État s’agite beaucoup, parle fort et se disperse : 71 Pôles de compétitivité, 34 Plans d’excellence, 15 Comités de filières, saupoudrent électoralement le territoire, fleurissent les discours mais n’assurent pas à notre pays la spécialisation indiscutable, le coût concurrentiel et justifié qui lui permettraient de rebondir de lui–même et non en attendant le réveil des autres. Cette question qui intéresse la vie quotidienne de millions de familles est, certes, plus cruciale que les dérapages d’un bouffon ou les amourettes des uns et des autres.
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