Tribune de Thibaud Collin* parue dans le livre Tous pour le mariage – Le mariage homosexuel en question, qui sort ce jeudi et publiée en exclusivité sur Nouvelles de France
L’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe n’est-elle que l’extension à une nouvelle catégorie de citoyens des droits et des devoirs inhérents au mariage tel que le Code civil les détermine ? Le terme extension implique que le mariage ne serait pas modifié dans sa nature ; ainsi étendre la majorité aux jeunes gens de 21 à 18 ans n’a pas modifié la signification du mot majorité. Ou encore l’autorisation des mariages interraciaux aux États-Unis dans les années 60 n’a pas transformé l’essence du mariage. Le projet de loi sur l’ouverture du mariage est-il analogue à ces deux derniers exemples ? Précisons la question : le refus d’exiger la différence de sexe entre les candidats au mariage modifie-t-il la nature du mariage ? Et si oui, quelle serait la nouvelle définition du mariage et quelles en seraient les implications nécessaires, pouvant se traduire par des évolutions futures ? Nous pensons principalement à l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour les couples de femmes, à la gestation pour autrui (GPA) pour les couples d’hommes, mais aussi à la suppression de l’obligation de monogamie.
Puisque le mariage porte jusqu’à aujourd’hui comme condition la différence des sexes, permettre à deux personnes de même sexe de le contracter implique que toutes les références à la dualité des sexes soient supprimées et remplacées par des mots neutres (époux, parents). De même, puisque le mariage entretient un lien intrinsèque avec la possibilité de la filiation, le désexualiser entraîne nécessairement une refonte des lois de la filiation et même une compréhension radicalement nouvelle de la procréation. En effet, au nom de quoi le mariage est-il revendiqué par certains couples de même sexe ? Au nom du droit de vivre comme ils le veulent et d’en recevoir une reconnaissance publique. Le fondement ultime de la justification est donc la liberté individuelle. La volonté peut-elle dès lors devenir principe premier de la filiation ?
Que signifie être parent ? Jusqu’à aujourd’hui, la parenté est fondée sur la procréation naturelle. Est parent celui qui a engendré ou qui est susceptible en raison de son lien matrimonial d’avoir engendré. La présomption de paternité comme son nom l’indique est impliquée dans une des clauses du mariage, le devoir de fidélité. Depuis quelques années, au nom du droit de l’enfant de découvrir la vérité sur son origine, est autorisé l’établissement de la filiation par des tests génétiques. Là encore, l’ancrage naturel est confirmé. L’horizon d’intelligibilité de l’adoption, ou même de la possession d’état, est la référence à la procréation naturelle, c’est-à-dire à la différence des sexes.
“L’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe porte nécessairement en elle la possibilité de l’AMP, de la GPA et la levée de la monogamie.”
La mise entre parenthèses de celle-ci comme condition au mariage a donc pour conséquence inéluctable de concevoir désormais la procréation comme une activité humaine dont l’élément essentiel et déterminant est la volonté, volonté dont la réalisation pourra passer soit par des voies naturelles, soit par des vois artificielles. Ce qu’il faut saisir est que l’intervention des techniques médicales ou juridiques ne sera donc plus mesurée à partir d’un référent antérieur, l’ordre naturel de la transmission de la vie, mais deviendra parfaitement autonome. Allons plus loin dans la prise de conscience des implications : la procréation naturelle sera elle-même considérée comme une espèce parmi d’autres d’un genre neutre dont la signification centrale sera le projet parental. Sera dit parent celui qui aura manifesté son intention en bonne et due forme.
Nous pouvons donc affirmer que l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe porte nécessairement en elle la possibilité de l’AMP, de la GPA et la levée de la monogamie. En effet, à partir du moment où le mariage s’est séparé de son référent dans un ordre naturel antérieur auquel son caractère institutionnel s’adossait, au nom de quoi limiter a priori les volontés contractuelles ? Seuls les principes d’égalité et de liberté des individus peuvent apparaître comme la nouvelle butée à laquelle adosser le dispositif juridique. Mais au nom de quoi s’opposer à la volonté explicite d’une femme décidant d’offrir ses services corporels pour permettre de devenir mère à une femme ne pouvant ou ne voulant pas porter elle-même l’enfant qu’elle a « conçu » avec son conjoint ? Au nom de quoi empêcher trois ou quatre adultes de créer une vie commune organisée par des droits et devoirs
réciproques et leur permettant de réaliser des projets parentaux à géométrie variable ?
L’ouverture du mariage aux couples de même sexe signifie donc sa radicale contractualisation puisque l’État n’a plus de référent externe pour déterminer des limites objectives. On entre ainsi dans la logique de l’arbitraire où seuls l’état des mœurs et la mentalité présente sont les critères momentanés du permis et de l’interdit. Le vote de cette loi illustrerait ce que l’on pourrait appeler un État libertaire. Autant dire que l’État nierait sa responsabilité de garantir les droits des plus faibles, en l’occurrence de certains enfants qui seraient privés de biens essentiels nécessaires à leur développement.
*Thibaud Collin est un philosophe et écrivain français, agrégé de philosophie.
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