Tout commence toujours par autre chose
Tout commence par un “banal” assassinat, le 21 mars 2011, un soir d’élection départementale. Un membre du cabinet de Paul Giacobbi, un dénommé Dominique Domarchi, est assassiné en rentrant chez lui après avoir supervisé le dépouillement du scrutin dans son village de Sant’Andrea di Cotone. En épluchant les comptes bancaires de sa famille, les enquêteurs de la police judiciaire de Bastia découvrent que son fils Jean-Marc avait bénéficié d’une subvention de 45 000 euros pour construire trois gîtes ruraux, subvention utilisée en réalité pour l’édification de sa propre villa de grand standing.
À partir de là, les enquêteurs tirent sur la pelote et découvrent une véritable machine à détourner les fonds publics. Il apparaît très vite que ces aides aux gîtes ont servi, à partir de 2007, à rétribuer la clientèle électorale de Paul Giacobbi.
La parfaite machine du clientélisme
Le clientélisme transparaît clairement lorsque l’on observe la géographie des aides. Toutes les subventions ont été versées dans la deuxième circonscription de Haute-Corse, celle de Paul Giacobbi. Aucune ne relève de la première circonscription, qui comprend pourtant de nombreuses zones rurales et touristiques. Mieux, l’examen plus fin des microrégions concernées par les aides indique que les fiefs électoraux de Paul Giacobbi, comme le Fiumorbo, le Cortenais ou le Vénacais, où il compte ses plus fidèles apporteurs de voix, ont été les plus copieusement arrosés. Quant aux heureux bénéficiaires, ils appartiennent tous au petit cercle des familiers du clan Giacobbi. Outre le fils de son conseiller Dominique Domarchi déjà cité, on y trouve sa secrétaire particulière à la CTC, par ailleurs nièce de son conseiller Augustin Viola et sa secrétaire de mairie à Venaco.
Toute la machine déballée au tribunal
Evidemment, cette affaire de corruption sur les gîtes ruraux qui vaut à Paul Giacobbi d’être jugé à Bastia, aux côtés de 23 autres prévenus, ne porte pas sur des sommes considérables au regard des budgets départementaux. Tout au plus 500 000€ sur trois ans. Mais au cours de la première semaine d’audience, devant un public nombreux, attentif et silencieux, c’est tout un « système claniste et clientéliste dont Paul Giacobbi était le seul et unique bénéficiaire », selon les mots du procureur, qui a été décortiqué et mis à nu. Pour la première fois en Corse, dans une enceinte judiciaire, on est venu dire tout haut ce que tout le monde savait…. tout bas.
Lorsque Paul Giacobbi a été appelé à livrer sa version des faits, il a dit tout ignorer des détournements. Il a affirmé que si sa signature figure sur des courriers d’attribution de subventions, c’est qu’elle a été imitée… que si les aides ont été attribuées indûment, c’est que l’administration n’a pas fait son travail…. bref, pauvre défense de celui qui se sait prit dans les cordes. Il s’est ensuite longuement étendu sur son travail à l’Assemblée nationale, sur son diplôme de l’ENA et ses excellentes relations avec les anciens préfets de Corse dans l’espoir, peut être, d’impressionner les juges.
Mais d’autres, à la barre, ont clairement exposé les mécanismes du “système Giacobbi” de 1998 à 2010, avant d’être élu président de l’exécutif de la CTC de 2010 à 2015. Parmi eux, l’ancien conseiller général Jacques Costa, aujourd’hui président du parc naturel régional de Corse, qui, probablement rassuré de voir son ancien patron dans le box des accusés, a déballé quelques secrets qu’il avait tus pendant l’instruction. « Tout se passait au cabinet des deux soit-disant chargés de mission de Paul Giacobbi. C’est là qu’étaient dressées les listes des bénéficiaires des subventions pour les gîtes, ainsi que les aides aux communes. L’un est décédé et l’autre n’est pas devant ce tribunal. ». Il semble bien que ces deux là, Dominique Domarchi, dit Dumè, et Augustin Dominique Viola, dit Mimi, se comportaient comme les véritables maîtres du département. Présents en permanence à Bastia, alors que Paul Giacobbi passait l’essentiel de son temps à Paris, où son épouse travaille comme haut fonctionnaire à l’Unesco, ils étaient les seuls à pouvoir entrer dans le bureau du président sans frapper. Ils l’ont d’ailleurs suivi à la CTC à partir de 2010. Tous les parapheurs passaient par eux avant d’être soumis à la signature du président.
Interrogé par le procureur sur son silence tant qu’il était en poste, Jacques Costa n’hésite pas: « personne ne disait rien. On marchait avec la carotte, vous savez, celle qui est douce ». Une justification qui sonne comme un aveu d’en avoir croqué que le procureur fait mine de ne pas avoir entendu…
La force quand il le fallait
Si certains en croquaient, d’autres n’avaient pas compris à qui ils avaient à faire et ce qu’ils risquaient. Ceux là se faisaient remettre brutalement et quelques fois définitivement à leur place.
Thierry Gamba-Martini, directeur général des services du département à l’époque des faits, puis DGS de la CTC, a raconté à la barre l’agression dont il a été victime de la part de Jean-Marc Domarchi en 2012. Après l’assassinat de son père, Stéphane Domarchi, le frère de Jean-Marc, avait remplacé le défunt au cabinet de Joseph Castelli, le successeur de Paul Giacobbi à la présidence du conseil général. Thierry Gamba-Martini venait de rédiger une note de service dans laquelle il se plaignait des interférences de Stéphane Domarchi. « Jean-Marc a surgi dans le parking, j’ai cru voir une arme sous sa veste. Il était fou de rage. Il m’a bousculé et menacé en “ce n’est pas parce que mon père est mort que tu crois pouvoir changer les choses !” ». Il n’a plus écrit de note de service sur le sujet……
Un grand absent du procès, c’est Jean Leccia. Jean Leccia était directeur des interventions départementales à l’époque des faits. C’est lui qui supervisait les subventions aux associations, les aides aux communes et l’argent des gîtes… Un poste stratégique qui le soumettait à la pression constante des deux “conseillers spéciaux” du parrain président car il servait de courroie de transmission avec les services administratifs. Jean Leccia a été assassiné le 23 mars 2014, encore un dimanche électoral, alors qu’il sortait du bureau de vote de son village de San Gavino di Fiumorbo, où il avait participé au dépouillement du premier tour de scrutin de l’élection municipale. « Ce n’est pas le dossier des gîtes ruraux qui a provoqué l’assassinat de Jean Leccia, mais il a dû emmener dans sa tombe de lourds secrets. Nombreux sont ceux qui ont dû être soulagés de sa disparition …», n’a pas hésité à affirmer le procureur Bessone.
Les instructions judiciaires sur ces deux assassinats, celui de Jean Leccia et celui de Dominique Domarchi, sont toujours en cours, l’une à Marseille, l’autre à Bastia.
Un réquisitoire somme toute clément
Trois ans de prison ferme, cinq ans d’inéligibilité et 100 000 euros d’amende. Bien sûr qu’au regard des charges retenues contre Paul Giacobbi, le procureur pouvait difficilement requérir plus, mais après avoir appris ce qu’on a appris et vu déballé le mode de fonctionnement du député PRG (Parti radical de gauche), on ne peut s’empêcher de trouver cela un petit peu “léger”. Il parait qu’en descendant les marches du palais de justice, comme toujours encadré par ses gardes du corps, l’ancien président du conseil général de Haute-Corse et ancien président de l’exécutif de la Collectivité territoriale de Corse (CTC) et toujours député semblait faire grise mine. Qu’espérait-il? La Légion d’Honneur?
Anticor s’est greffée sur le procès
Pour la première fois en Corse, l’association Anticor était partie civile. Dans quel but? Récupérer quelques subsides au titre des dommages et intérêts? Rappelons que cette association n’a pris en rien part à l’éclatement de la vérité dans cette affaire. Il serait temps de s’interroger sur la pertinence de ces associations qui se greffent continuellement sur ce type de procès en qualité de parties civiles. Ce sont les propriétaires de (vrais) gîtes qui ont été lésés dans cette affaire, ce sont les citoyens contribuables du département qui ont été lésés dans cette affaire, pas les membres continentaux de l’association “Anticor”!
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